Aimables critiques du pape François sur nos entreprises missionnaires…

Le pape François a écrit un « Message aux Oeuvres Pontificales Missionnaires » daté du jour de l’Ascension (21 mai 2020).

Je vous encourage à le lire, vous trouverez le texte complet sur le site VaticanNews.

Le Cardinal Tagle, qui préside les OPM, dit qil s’agit de « redécouvrir l’authentique esprit missionnaire en ne s’appuyant pas sur des pratiques qui, sous couvert de l’efficacité et du succès, s’éloignent du cœur de la mission: l’annonce de la Bonne Nouvelle à tous les peuples. »

Je ne résiste pas au désir de vous en donner un petit florilège de citations. Un choc bénéfique pour donner un nouvel élan à l’engagement missionnaire de l’Église.

Paul écrit aux Galates que la plénitude de joie des Apôtres n’est pas l’effet d’émotions qui procurent satisfaction et rendent joyeux. C’est une joie débordante qui ne peut être vécue que comme fruit et don du Saint-Esprit (cf. 5, 22). Recevoir la joie de l’Esprit est une grâce. Elle est la seule force que nous puissions avoir pour prêcher l’Évangile, pour professer la foi au Seigneur. La foi, c’est témoigner de la joie que le Seigneur nous donne. Une telle joie, personne ne peut se la donner à soi-même.

Avant de quitter ses disciples, Jésus leur a dit qu’il leur enverrait l’Esprit, le Consolateur. Ainsi, il a confié aussi à l’Esprit l’œuvre apostolique de l’Église, tout au long de l’histoire, jusqu’à son retour. Le mystère de l’Ascension, avec l’effusion de l’Esprit à la Pentecôte, imprime et transmet à la mission de l’Église son caractère génétique le plus intime à tout jamais: celui d’être l’œuvre du Saint-Esprit et non la conséquence de nos réflexions et intentions. C’est ce caractère qui la rend féconde et la préserve de toute autosuffisance présumée, de la tentation de prendre en otage la chair du Christ – monté au Ciel – en vue de ses propres projets cléricaux de pouvoir.

Lorsque, dans la mission de l’Église, on ne saisit pas et on ne reconnaît pas l’œuvre actuelle et efficace du Saint-Esprit, cela signifie que même les paroles de la mission – voire les plus exactes ou les plus réfléchies – ne sont plus que des « discours de sagesse humaine », utilisés pour se donner la gloire ou pour refouler et masquer ses déserts intérieurs.


LA JOIE DE L’ÉVANGILE

Le salut n’est pas la conséquence de nos initiatives missionnaires, ni même de nos discours sur l’incarnation du Verbe.

C’est le Saint-Esprit qui enflamme et garde la foi dans les cœurs, et le fait de reconnaître cela change tout. En fait, c’est l’Esprit qui enflamme et anime la mission, il l’imprègne des connotations « génétiques », des accents et des mouvements singuliers qui font de l’annonce de l’Évangile et de la confession de la foi chrétienne une autre chose par rapport à tout prosélytisme politique ou culturel, psychologique ou religieux

On ne peut pas « s’émerveiller par force ». Ce n’est que de cette manière que le miracle de la gratuité, du don gratuit de soi-même, peut s’accomplir. Même la ferveur missionnaire ne peut jamais être obtenue à la suite d’un raisonnement ou d’un calcul. Le fait de se mettre « en état de mission » est un reflet de la gratitude.

On ne peut jamais penser servir la mission de l’Église en faisant preuve d’arrogance en tant qu’individus et à travers les structures, avec l’orgueil de celui qui dénature même le don des sacrements et les paroles les plus authentiques de la foi chrétienne, les considérant comme un butin qu’il nous a mérité.

« Sortir » en mission pour atteindre les périphéries humaines ne signifie pas errer sans direction et sans sens, comme des vendeurs impatients qui se plaignent parce que les gens sont trop frustes et primitifs pour s’intéresser à leur marchandise.

Jésus a rencontré ses premiers disciples sur les rives du lac de Galilée alors qu’ils étaient occupés par leur travail. Il ne les a pas rencontrés lors d’une convention, d’un séminaire de formation ou dans un temple.

Surtout en ce temps-ci, il ne s’agit pas d’inventer des formations « réservées », de créer des mondes parallèles, de construire des bulles médiatiques dans lesquelles on fait écho à ses propres slogans, à ses propres déclarations d’intention, réduites à de rassurants « nominalismes déclaratifs ».

Le Peuple de Dieu mendie le don de son Esprit : il confie son attente aux paroles simples des prières et ne s’installe jamais dans la présomption de son autosuffisance

Les personnes directement impliquées dans les initiatives et les structures missionnaires de l’Église ne devraient jamais justifier leur inattention aux pauvres avec l’excuse – largement utilisée dans certains cercles ecclésiastiques – de devoir concentrer leurs énergies sur les tâches prioritaires de la mission.

Il arrive que de nombreuses initiatives et instances liées à l’Église, au lieu de laisser transparaître l’œuvre du Saint-Esprit, finissent par n’être qu’autoréférentiels. De nombreuses structures ecclésiastiques, à tous les niveaux, semblent être en proie à l’obsession de se promouvoir elles-mêmes et leurs propres initiatives. Comme si tel était le but et l’horizon de leur mission.

PIÈGES À ÉVITER

Autoréférencialité. Au-delà des bonnes intentions des individus, certaines organisations et entités ecclésiales finissent parfois par se replier sur elles-mêmes, dépensant énergies et attention avant tout à leur autopromotion et à la célébration publicitaire de leurs initiatives. D’autres semblent être dominées par l’obsession de redéfinir continuellement leur importance et leurs espaces au sein de l’Église, avec la justification de vouloir mieux relancer leur mission.

Souci de commander. Il arrive parfois que des institutions et des organismes, nés pour aider les communautés ecclésiales, en servant les dons suscités en eux par l’Esprit Saint, prétendent, au fil du temps, exercer la suprématie et les fonctions de contrôle sur les communautés qu’ils devraient servir. Cette attitude s’accompagne presque toujours de la présomption d’exercer envers les autres le rôle de « détenteurs » et dispensateurs de licences de légitimité.

Élitisme. Parmi les personnes qui font partie d’organismes et de réalités organisées dans l’Église, s’installe souvent un sentiment élitiste, cette idée inavouée d’appartenir à une aristocratie ; une classe supérieure de spécialistes qui cherche à élargir ses propres espaces en complicité ou en concurrence avec d’autres élites ecclésiastiques, et qui forme ses membres suivant les systèmes et les logiques mondains du militantisme ou de la compétence technico-professionnelle, toujours avec l’intention principale de promouvoir ses propres prérogatives oligarchiques.

Isolement du peuple. La tentation élitiste, dans certaines structures liées à l’Église, s’accompagne parfois d’un sentiment de supériorité et d’impatience à l’égard de la multitude des baptisés, envers le peuple de Dieu qui fréquente peut-être les paroisses et les sanctuaires, mais qui n’est pas composé de « militants » engagés dans des organisations catholiques. On agit comme si la certitude de la foi était le résultat d’un discours de persuasion ou de méthodes de formation.

Abstraction. Des organismes et des réalités liés à l’Église, lorsqu’ils deviennent autoréférentiels, perdent contact avec la réalité et tombent dans la maladie de l’abstraction. On multiplie des lieux inutiles d’élaboration stratégique pour produire des projets et des lignes directrices qui ne servent qu’à l’autopromotion de leurs auteurs. Les problèmes pris en compte sont alors fractionnés dans des laboratoires intellectuels, où tout est maîtrisé et interprété selon les clés idéologiques préférées. Extrait du contexte réel, tout peut être transformé en simulacre, même les références à la foi, les appels verbaux à Jésus et au Saint-Esprit.

Fonctionnalisme. Les organisations autoréférentielles et élitistes, y compris dans l’Église, finissent souvent par tout miser sur l’imitation des modèles mondains d’efficacité, tels ceux imposés par la concurrence économique et sociale exacerbée. Le choix du fonctionnalisme garantit l’illusion de « résoudre les problèmes » avec équilibre, de garder les choses sous contrôle, d’augmenter sa propre importance, d’améliorer l’administration ordinaire de ce qui existe. Cependant, comme je vous l’ai déjà dit lors de notre rencontre de 2016, une Église qui a peur de compter sur la grâce du Christ et qui se concentre sur l’efficacité de son organisation est déjà morte, même si les structures et les programmes en faveur des clercs et des laïcs « auto-engagés » devaient durer des siècles.

CONSEILS POUR LE CHEMINEMENT

S’il vous plaît, dans la prière, demandez d’abord au Seigneur de nous rendre tous davantage prêts à saisir les signes de son œuvre, pour ensuite les faire connaître au monde entier. Seul ceci peut être utile : demander pour nous, pour le fond de notre cœur, que l’invocation du Saint-Esprit ne se réduise pas à un postulat stérile et redondant de nos rencontres et homélies. Il n’est pas utile de spéculer et de théoriser sur de super stratégies ou sur les « directives centralisées » de la mission, à qui confier, comme à des « gardiens » présumés et immodestes de dimension missionnaire de l’Eglise, la tâche de réveiller l’esprit missionnaire ou de donner aux autres des licences pour la mission. Si dans certaines situations la ferveur de la mission diminue, c’est le signe que la foi faiblit. Dans ces cas, la prétention à raviver la flamme qui s’éteint par des stratégies et des discours finit par l’affaiblir encore plus, et ne fait que faire avancer le désert.

L’idée d’une activité missionnaire autoréférentielle qui passe son temps à contempler ses propres initiatives et à s’auto-encenser serait en soi absurde. Ne perdez pas trop de temps et d’énergies à vous « regarder dans la glace », à élaborer des plans autocentrés sur des mécanismes internes, sur la fonctionnalité et les compétences de votre structure. Portez votre regard à l’extérieur, ne vous regardez pas dans le miroir. Brisez tous les miroirs de la maison. Les critères à suivre, même dans la mise en œuvre des programmes, doivent viser à alléger, à assouplir les structures et les procédures

Ne cédez pas aux complexes d’infériorité ou aux tentations d’émulation envers ces organisations super-fonctionnelles qui collectent des fonds pour des causes justes, utilisées ensuite, pour un bon pourcentage, afin de financer leur propre fonctionnement et faire la publicité de leur marque. Même cela devient parfois un moyen de prendre soin de ses propres intérêts, tout en montrant qu’on travaille pour le bien des pauvres et des nécessiteux.

Je vous demande que le caractère distinctif de votre proximité avec l’Évêque de Rome consiste précisément en ceci : le partage de l’amour de l’Église, reflet de l’amour envers le Christ, vécu et exprimé en silence, sans s’enfler, sans marquer « ses propres territoires ».

CONCLUSION

Lorsqu’elle est allée voir Elisabeth, Marie n’a pas agi à titre personnel : elle est allée en tant que servante du Seigneur Jésus qu’elle portait dans ses entrailles. Elle n’a rien dit d’elle-même, elle n’a fait que porter le Fils et louer Dieu. Ce n’était pas elle la protagoniste. Elle est allée comme la servante du seul protagoniste de la mission. Mais elle n’a pas perdu de temps, elle est allée en toute hâte pour assister sa parente. Elle nous enseigne cette disponibilité, cette promptitude, cette hâte de la fidélité et de l’adoration.

Décapant !