Meurtre de Marjorie : faut-il punir les enfants ?

par Emmanuel Jaffelin, sur le site Entreprendre. Emmanuel JAFFELIN, est philosophe, auteur de l’Apologie de la punition (Plon, 2014)

Tribune. A un moment où les enfants s’entre-tuent, la question de punition peut paraître ridicule, les médias préférant expliquer la cruauté et la morbidité des enfants tueurs par le rôle du virtuel sur l’actuel, c’est-à-dire leur manie de jouer sur internet jusqu’à l’addiction et de ne plus faire la différence entre tuer virtuellement dans un jeu vidéo et actuellement dans la rue ! Il est vrai que les jeux et les enjeux des enfants, qui nouent des relations via internet, ne sont pas sans conséquence sur ces crimes infantiles. Il serait également bon de montrer que les enfants sont si protégés par la loi qu’ils ont perdu tout sens de la limite, ce qui est le cas d’un garçon de 15 ans tuant la jeune Marjorie de 17 ans à Ivry-sur-Seine en lui donnant plusieurs coups de couteaux dans la poitrine et l’abdomen.

Rappelons d’abord deux choses : l’enfant est rare, dans un pays vieillissant dont la démographie est faible (taux  de fécondité=1,86 enfant par femme en 2020). Mais, ce qui est rare est cher, conduisant l’enfant à devenir un roi. Or, dans les monarchies d’autrefois, le roi était impunissable (mais tuable, tel Henri IV)). L’enfant croit donc qu’il est roi, même quand il assassine un autre enfant !

Rappelons que la France, qui a l’air d’être devenue une démocratie définitive depuis 1848, a fait voter une loi en 2018 interdisant aux parents de pratiquer la gifle et la fessée (loi interdisant les violations éducatives ordinaires, votée le 2 juillet 2019). Le parent a donc des droits, comme les enfants, mais il a fondamentalement perdu son statut d’autorité : il peut punir son enfant oralement, mais nullement physiquement. Il va de soi que peu de députés (voire aucun) ont lu mon Apologie de la punition dans laquelle je montrais que l’amour parental peut passer par le corps, d’abord par la caresse (ce qui ne doit pas être compris comme pédophilie !), ensuite » par la gifle et la fessée (ce qui ne doit pas être confondu avec la maltraitance !). Cette société qui se prétend très douce se révèle très confuse (la gifle et la fessée étant le fruit d’un amour parental passant par le corps pour conduire l’enfant à apprendre des limites, non le symptôme d’une maltraitance relevant d’un travers psychique que raconte Hervé Bazin en décrivant sa mère dans Vipère au poing (1986). Il serait bon de voir combien ce supposé progrès affiché par cette loi a offert aux enfants une nouvelle possibilité cruelle et vicieuse : le meurtre. De même que l’abolition de la peine de morts en 1981 a eu pour conséquence l’augmentation des suicides en prison (environ un tous les 3 jours – un taux de 18,5 pour 10.000 détenus, soit 7 fois plus que dans la population générale – phénomène auquel les partisans de l’abolition de la peine de mort ne s’intéressent pas, tellement ils sont heureux d’avoir voté cette loi !), il faut s’attendre à voir croître ces crimes infantiles dans la même indifférence éprouvée par ceux qui ont voté l’abolition de la gifle et de la fessée. Comme quoi, l’Enfer est souvent pavé de bonnes et mièvres intentions !

Reconnaissons alors la dégradation morale que le droit entraîne. Si les enfants pouvaient être encadrés par leurs parents auquel l’Etat reconnaît leur « autorité » (après tout, ils sont, sauf dans le cas adoptif, les « auteurs » de leurs enfants !), ils comprendraient que leur corps a des limites et qu’ils n’ont pas à malmener un autre corps, voire à en supprimer la vie. « Qui aime bien châtie bien », et, inversement, qui ne peut pas châtier aime mal : telle est la conséquence de cet excès de droit. Et on peut imaginer que les parents de l’assassin de 15 ans n’aiment pas le crime et le devenir de cet enfant.

Il est donc temps de comprendre que le droit et l’Etat doivent se réduire pour valoriser l’amour et la famille. Punition vient indirectement du sanskrit punya qui signifie « chance ». La punition est d’autant plus une chance lorsqu’elle est pratiquée en amont du droit par le parent. Le rôle négatif du droit ne peut être compensé post-mortem par son impuissance à provoquer la résurrection de l’enfant assassiné. Le droit pénalise donc doublement les parents : en amont en déniant leur autorité ; en aval en contribuant à cette inflation des suicides dans les prisons autant que de ces assassinats d’enfants par des enfants. Si, entre 1825 et 1914, une gazette des tribunaux exposait que 25 cas de meurtres et tentatives de meurtres furent commis en France par des enfants de 14 ans et moins, il n’est pas absurde de penser que de 2021 à 2110, le nombre de ce genre de crimes commis par des enfants sera plus élevé ! Plutôt que rares et rois, il vaudrait mieux que les enfants soit nombreux et citoyens ! Allons Enfants de la Patrie…

J’adresse toutes mes condoléances aux parents dont l’enfant a été assassiné et toute ma compassion aux parents dont l’enfant est devenu assassin.

Pour mémoire, le président de la république sous l’autorité duquel a été votée cette loi, n’a pas d’enfant et c’est la première fois que les français ont un président qui n’est pas père, donc pas parent ! Peut-être serait-il temps que la république française revalorise la parentalité ? Liberté, égalité, parentalité.