Le pape François et les communautés nouvelles

Le pape François s’est adressé aux participants de la rencontre des associations de fidèles, des mouvements ecclésiaux et des nouvelles communautés, organisé par le Dicastère pour les laïcs, la famille et la vie sur le thème : « La responsabilité de gouvernement dans les associations de laïcs : un service ecclésial ».

Le pape a rejoints les 80 participants dans la Salle du Synode, jeudi matin 16 septembre 2021.

Il a commenté le Décret sur Les Associations internationales de fidèles, promulgué le 11 juin 2021. Vous pouvez lire le texte complet de son intervention ici. En voici ci-dessous quelques extraits qui pointent des difficultés.

Merci

Merci pour votre présence en tant que laïcs, hommes et femmes, jeunes et personnes âgées, engagés pour vivre et témoigner de l’Evangile dans les réalités ordinaires de la vie, dans votre travail, dans tant de contextes différents – éducation, engagement social, etc. dans la rue, dans les gares ferroviaires, vous y êtes tous – c’est le vaste champ de votre apostolat, c’est votre évangélisation.

Nous devons comprendre que l’évangélisation est un mandat qui vient du baptême ; le baptême qui fait de nous ensemble des prêtres, dans le sacerdoce du Christ : le peuple sacerdotal. Et nous ne devons pas attendre qu’arrive le prêtre, le prêtre pour évangéliser, le missionnaire… Si, ils font cela très bien, mais ceux qui ont reçu le baptême ont la tâche d’évangéliser. Vous avez éveillé cela par vos mouvements et c’est très bon. Merci !

(À propos du Covid) Ce « sans mesure » est ce qui se produit dans ces moments critiques. Et ce « sans mesure », nous l’avons vu également chez beaucoup de religieuses, beaucoup de consacrées, beaucoup de prêtres et beaucoup d’évêques. Je pense à un évêque qui, pour avoir toujours été avec les gens, a fini par être intubé. Maintenant, il se remet lentement. C’est vous, et tout le peuple de Dieu, qui se sont engagés pour cela, et vous avez été là. Personne d’entre vous n’a dit : « Non, je ne peux pas y aller, parce que mon fondateur pense autrement. » Alors, pas de fondateur : là, c’était l’Evangile qui appelait et tout le monde y est allé. Merci beaucoup ! Vous avez été des témoins de « cette appartenance commune (bénie) à laquelle nous ne pouvons pas nous soustraire : l’appartenance en tant que frères » .

Vous cherchez avec dévouement à vivre et à faire fructifier les charismes que l’Esprit Saint, grâce à vos fondateurs, a confiés à tous les membres de vos réalités associatives, au profit de l’Eglise et de tous les hommes et les femmes auxquels vous consacrez votre apostolat.

Ne pas vivre dans un monde parallèle

Vous représentez une force missionnaire et une présence de prophétie qui nous fait espérer pour l’avenir. Vous aussi, avec les pasteurs et tous les autres fidèles laïcs, vous avez la responsabilité de construire l’avenir du saint peuple fidèle de Dieu. Mais souvenez-vous toujours que construire l’avenir ne signifie pas sortir de l’aujourd’hui que nous vivons ! Au contraire, l’avenir doit se préparer ici et maintenant, « en cuisine », en apprenant à écouter et à discerner le temps présent avec honnêteté et courage et dans une disponibilité à une rencontre constante avec le Seigneur, à une conversion personnelle constante. Sinon, on court le risque de vivre dans un « monde parallèle », distillé, loin des défis réels de la société, de la culture et de toutes ces personnes qui vivent à côté de vous et qui attendent votre témoignage chrétien. En effet, appartenir à une association, à un mouvement ou une communauté, surtout s’ils se réfèrent à un charisme, ne doit pas nous tenir repliés dans un « tonneau en fer », nous faire nous sentir en sécurité, comme si les défis et les changements n’avaient pas besoin de réponses. Nous tous, chrétiens, nous sommes toujours en chemin, toujours en conversion, toujours en discernement.

La tentation de se croire la nouveauté dans l’Église

Penser être « la nouveauté » dans l’Eglise – est une tentation qui touche souvent les nouvelles congrégations ou les nouveaux mouvements – et donc, qu’on n’a pas besoin de changements, cela peut devenir une fausse sécurité. Les nouveautés aussi vieillissent rapidement ! C’est pourquoi même le charisme auquel nous appartenons, nous devons toujours l’approfondir davantage, toujours réfléchir ensemble pour l’incarner dans les nouvelles situations que nous vivons.  Cela exige de nous une grande docilité, une grande humilité, pour reconnaître nos limites et accepter de changer nos façons de faire et de penser qui sont dépassés, ou des méthodes d’apostolat qui ne sont plus efficaces, ou des formes d’organisation de la vie interne qui se sont révélées inadéquates ou carrément nocives. Par exemple, c’est un des services que nous rendent toujours les chapitres généraux. Quand [les façons et les méthodes] ne sont pas bons, tu dois les revoir en assemblée.

Les abus de pouvoir

Et je vous dis une chose sur cette expérience de ces dernières décennies de l’après-concile. Dans la Congrégation pour les religieux, ils sont en train d’étudier les congrégations religieuses, les associations qui sont nées pendant cette période. C’est curieux, c’est très curieux. Beaucoup, beaucoup, avec une grande nouveauté, ont fini avec de très dures difficultés: elles ont fini avec une visite apostolique, elles ont fini avec des péchés immondes, avec des commissaires… Et ils sont en train de faire une étude. Je ne sais pas si l’on peut publier cela, mais vous connaissez mieux que moi par les cancans cléricaux quelles sont ces situations. Elles sont si nombreuses, et pas seulement les grandes que nous connaissons, et qui sont scandaleuses – les choses qu’ils ont faites parce qu’ils se sentaient une Eglise à part, ils semblaient être des Rédempteurs! – mais aussi les petites. 

L’exercice du gouvernement à l’intérieur des associations et des mouvements est un thème qui me tient particulièrement à coeur, surtout si l’on considère – ce que je viens de dire – les cas d’abus de différentes natures qui ont eu lieu aussi dans ces réalités et qui ont leur racine toujours dans l’abus de pouvoir. Voilà l’origine: l’abus de pouvoir. Souvent, le Saint-Siège a dû intervenir au cours de ces années, en lançant des processus de récupération pas faciles. Et je pense non seulement à ces situations si laides qui font du bruit, mais aussi aux maladies qui viennent de l’affaiblissement du charisme fondateur, qui devient tiède et perd sa capacité d’attraction.

Dans certaines occasions j’ai pu indiquer deux obstacles qu’un chrétien peut rencontrer sur son chemin et qui l’empêchent de devenir un vrai serviteur de Dieu et des autres

La volonté de puissance

Le premier c’est la « volonté de puissance »: quand cette volonté de puissance te fait changer la nature du service de gouvernement. Combien de fois avons-nous fait sentir aux autres cette « volonté de puissance »?

On délègue à d’autres des tâches et des responsabilités, pour des milieux déterminés, mais seulement en théorie! Dans la pratique, la délégation à d’autres est vidée par la manie d’être partout. Et cette volonté de puissance annule toute forme de subsidiarité. Cette attitude n’est pas belle et elle finit par vider de sa force le corps ecclésial. C’est une mauvaise façon de « discipliner ». Et nous l’avons vu. Beaucoup de supérieurs, de supérieurs généraux – et je pense aux congrégations que je connais le plus – s’éternisent au pouvoir et font mille et mille choses pour être réélus et réélus, même en changeant les Constitutions. Et derrière, il y a une volonté de puissance. Cela n’aide pas; c’est le début de la fin d’une association, d’une congrégation.

Un cas qui me semble étrange, comme « l’esprit du fondateur est descendu sur moi ». On dirait une prophétie d’Isaïe! « Il me l’a donné à moi! Je dois avancer seule ou seul parce que le fondateur m’a donné son manteau, comme Elie à Elysée. Et vous, oui, faites les élections, mais c’est moi qui commande. » Et cela arrive! Je ne parle pas d’imaginations. Cela arrive aujourd’hui dans l’Eglise.

Même dans le contexte de la vie consacrée, il y a des instituts religieux qui, en maintenant toujours les mêmes personnes dans les charges de gouvernement, n’ont pas préparé l’avenir; ils ont permis que des abus s’insinuent, et ils traversent encore de grandes difficultés. Je pense – vous ne le connaissez pas – à un institut dont la responsable s’appelait Amabilia. L’institut a fini par s’appeler « odiobilia », parce que ses membres se sont rendu compte que cette femme était un « Hitler » en habit religieux.

La déloyauté

Il y a ensuite un autre obstacle au vrai service chrétien, et cela est très subtil: la déloyauté. Nous le rencontrons quand quelqu’un veut servir le Seigneur mais sert aussi d’autres choses qui ne sont pas le Seigneur (et derrière d’autres choses, il y a toujours l’argent). C’est un peu comme jouer double jeu! En paroles, on dit vouloir servir Dieu et les autres, mais dans les faits, nous servons notre ego, et nous nous plions à notre désir d’apparaître, d’être reconnus, appréciés… N’oublions pas que le vrai service est gratuit et sans condition, ne connaît ni calculs ni prétentions. En outre, habituellement le vrai service oublie les choses qu’il a faites pour servir les autres. Il arrive, vous en avez tous l’expérience, quand on vous remercie [que vous disiez]: « Pour quoi? » – « Pour ce que vous avez fait… » – « Mais qu’est-ce que j’ai fait? » … Et puis cela revient en mémoire. C’est un service, point.

Et nous tombons dans le piège de la déloyauté quand nous nous présentons aux autres comme les seuls interprètes du charisme, les seuls héritiers de notre association ou de notre mouvement – ce cas que j’ai mentionné auparavant – ; ou même quand, en nous croyant indispensables, nous faisons tout pour exercer des charges à vie; ou encore, lorsque nous prétendons décider a priori qui doit être notre successeur. Cela arrive-t-il ? Oui, cela arrive. Et plus souvent que nous ne le croyons. Personne n’est le propriétaire des dons reçus pour le bien de l’Eglise – nous en sommes des administrateurs – personne ne doit les étouffer, mais les laisser grandir, avec moi et avec celui qui vient après moi.

Confiance dans l’Esprit Saint

Nous sommes les membres vivants de l’Eglise et c’est pourquoi nous avons besoin d’avoir confiance dans l’Esprit Saint, qui agit dans la vie de toute association, de tout membre, agit en chacun de nous. D’où la confiance dans le discernement des charismes confié à l’autorité de l’Eglise. Soyez conscients de la force apostolique et du don prophétique qui vous sont remis aujourd’hui de façon renouvelée.