C’est sûrement une sainte !

Conseils pratiques de Saint Jean de la Croix concernant le discernement

 Parmi les écrits du saint carme, il existe un avis qu’il rend au sujet d’une sœur qui faisait l’admiration de nombreux religieux. La prière extraordinaire de cette carmélite laissait penser qu’elle vivait une intimité hors du commun avec Dieu. Il fut demandé à saint Jean de la Croix de donner son jugement. Nous pourrons accueillir cet écrit très bref comme un guide précieux pour savoir reconnaître l’œuvre de Dieu dans une âme. Cinq mots-clefs se dégagent, en réponse aux cinq défauts que discerne saint Jean de la Croix.

« Dans la manière affective par laquelle cette âme se conduit, il semble qu’il y ait cinq défauts qui empêchent de la juger comme venant du véritable esprit :

1. Il semble qu’elle se comporte avec beaucoup de gourmandise, de propriété, et le véritable esprit produit toujours un grand dénuement dans l’appétit ».

PAUVRETÉ.

Dieu ne vient pas donner des choses, il vient se donner lui. Pour rencontrer son ami, il faut être pauvre, avoir besoin de lui. Une personne saturée de certitudes, de consolations, de douceurs n’a tout simplement pas la place dans son cœur pour accueillir l’autre, pour accueillir Dieu. Ainsi, Dieu ne rend pas riche, mais pauvre, c’est-à-dire dépendant, tout ouvert à la rencontre personnelle. Quand Israël est gavé de nourriture, il se figure ne plus avoir besoin de Dieu ; mais quand il est pauvre, il court dans les bras de Dieu. Je ne laisserai subsister en ton sein qu’un peuple petit et pauvre, et c’est dans le nom du Seigneur qu’Il cher­chera refuge. (So 3,12)

2. « Elle a trop de sécurité et trop peu de crainte d’errer intérieurement alors que l’Esprit de Dieu ne va jamais sans cette crainte qui garde l’âme du mal, comme dit le Sage ».

DÉPENDANCE.

La personne qui rencontre Dieu accepte de se laisser guider ; elle ne se figure plus y arriver toute seule. elle vit dans la crainte, qui n’est pas peur mais refus de l’indépendance où nous nous figurons être assez forts pour nous débrouiller sans avoir besoin de personne.

3. « Il semble qu’elle ait envie de persuader que ce qu’elle reçoit est bon et fort important, tandis que le véritable esprit n’a pas cette envie, mais au contraire désire que l’on fasse peu de cas de lui et qu’on le méprise, comme il le fait lui-même ».

DISCRÉTION.

La religion peut être un excellent moyen pour la promotion de soi : si je suis un grand mystique, mes frères ou les paroissiens s’intéresseront à moi voire même m’écouteront et me suivront. Alors que celui qui rencontre Dieu a mieux à faire que de s’occuper de lui : il s’intéresse à celui qu’il aime, tout simplement. L’amour vrai entraîne forcément une sortie de soi, et l’abandon de nos stratégies pour attirer l’attention sur nous-même.

4. « Principalement dans la manière dont cette âme se conduit, on ne trouve pas les effets de l’humilité. Lorsque les grâces sont véritables, comme cette âme le prétend ici, ordinairement elles ne se communiquent jamais à l’âme sans d’abord l’anéantir, l’annihiler dans l’abaissement intérieur de l’humilité. Si cette âme ressentait ces effets, elle ne manquerait pas d’en noter quelque chose ici, elle en dirait même beaucoup, car ces effets d’humilité sont les premiers que l’âme pense à dire et à estimer […] ».

HUMILITÉ.

Quand Dieu vient, nous réalisons qu’il est grand, et que nous sommes petits. L’humilité n’est que la reconnaissance de notre condition devant Dieu. Il faut ajouter que la grâce de Dieu nous fait entrer dans un autre monde, elle nous rend citoyens du ciel. Alors nous ne sommes plus citoyens de la terre… Le saint n’est rien selon les critères de réussite mondains. La grâce ne sert apparemment à rien, elle n’est même pas pour des yeux de la cité terrestre ; elle fait entrer dans un autre monde qui est le ciel déjà choisi ici-bas.

5. « Le style et le langage employés ici ne correspondent pas à l’esprit dont elle se prétend animée. Car ce même esprit enseigne un style plus simple sans affectations ni enchérissements, comme le comporte celui-ci. Et tout ce qu’elle prétend : « qu’elle a dit à Dieu », et « que Dieu lui a dit » tout cela paraît n’être qu’extravagance ».

SIMPLICITÉ.

Dieu est simple, parfaitement simple. Il dit ce qu’il fait, il fait ce qu’il dit ; il est et ne paraît pas. Jésus parle simplement, directement. Et la Vierge Marie sa mère, ne cherche pas à « faire petite ». Elle vit, tout simplement, ce qu’elle a à vivre. La simplicité, est la signature de la présence de Dieu. On peut penser à sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus qui était « sans feintise », dans une simplicité toute mariale.

Pauvreté, dépendance, discrétion, simplicité, humilité : voilà cinq mots-clefs que nous donne saint Jean de la Croix, cinq repères gui manifestent la présence de Dieu, son œuvre dans une âme. Effectivement, le visage qui se dessine ainsi est beau, paisible, plein d’amour. Il n’a rien d’impressionnant, il pourrait passer inaperçu, mais qui y prête attention en sera émerveillé. N’est-ce pas ainsi pour celui qui découvre la Vierge Marie ou saint Joseph… ?

Saint Jean de la Croix poursuit, en conseillant d’éprouver la sœur en question. Ici, il livre plutôt un repère dynamique, qui aide à sortir de l’illusion pour trouver Dieu.

« Ce que je conseillerais, c’est de ne pas commander ni de permettre à cette religieuse d’écrire quoi que ce soit de tout ceci ; que le confesseur ne se montre pas disposé à l’écouter de bon gré, si ce n’est pour abaisser et mépriser ce qu’elle lui dira. Qu’on l’éprouve dans la pratique des vertus, sèchement, spécialement dans le mépris, l’humilité et l’obéissance. Au son que rendra cette âme sous cette touche, on verra la douceur que tant de faveurs ont dû produire en elle. Et les épreuves doivent être de bonnes épreuves, car il n’y a pas de démon, qui, pour son honneur, ne souffre quelque chose.« 

Le remède est vigoureux, et il pourrait nous paraître sévère, austère, presque méchant. Mais il nous faut bien comprendre, il me semble, que la rencontre de Dieu est une rencontre, justement. Dieu n’est pas nous-même, il est un autre. Et nous éprouvons une vraie altérité lorsque la personne en face de nous résiste, ne pense pas comme nous, ne veut pas comme nous. Comment savoir si Dieu est là ? Quand nous éprouvons une volonté différente de la nôtre, que rien ne fait fléchir. Tu m’as séduit, Seigneur, et je me suis laissé séduire ; tu m’as maîtrisé, tu as été le plus fort. (Jr 20, 7).

Ainsi, éprouver une âme, c’est l’aider à sortir d’elle-même pour aller à la rencontre de Dieu. Il s’agit d’un principe éducatif de base : l’enfant à qui l’on évite toute frustration et qui accomplit toutes ses volontés ne grandira jamais et ne sera jamais capable d’aimer. Il restera enfermé en lui-même. Dieu nous éduque.

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Extrait de l’article Comment
savoir si Dieu est là ? Auteurs : Fr. Jean-Raphaël de
la Croix glorieuse, avec la collaboration du fr. Henri de l’E.J.,
carmes. Revue Vives Flammes, La Réalité, n° 325,
décembre 2021, pp. 33-41.