Le dialogue oecuménique

Dans le journal La Croix du 20 janvier, par Gilles Donada

Le moine catholique Patrice Mahieu (à gauche) et le prêtre orthodoxe Alexandre Galaka. – En quête d’unité. Dialogue d’amitié entre un catholique et un orthodoxe. Salvator

Cette discussion à deux voix, menée par le prêtre orthodoxe Alexandre Galaka et le moine catholique Patrice Mahieu, dévoile les harmoniques et les dissonances entre les deux Églises.

Deux amis prennent un café dans un couvent romain, après les offices matinaux. Ils se sont rencontrés il y a quinze ans sur les bancs de l’Institut de théologie orthodoxe Saint-Serge, à Paris. Le premier, Alexandre Galaka, est ukrainien, prêtre orthodoxe du Patriarcat de Moscou ; l’autre, Patrice Mahieu, est catholique, moine et prêtre de l’abbaye Saint-Pierre de Solesmes (Sarthe).

La discussion va bon train à propos des raisons de la désunion entre les Églises catholique et orthodoxe. Ils décident d’en faire un livre, introduisant ainsi à leur table un troisième convive : le lecteur, curieux d’en savoir plus sur l’orthodoxie, et ses différences avec le catholicisme romain. Le voici partie prenante d’une discussion profonde, spirituelle, parfois érudite.

Les raisons de notre éloignement pont leurs racines dans l’histoire. Après avoir appartenu à la même Église durant le premier millénaire, les chrétiens d’Orient et d’Occident s’éloignent jusqu’au schisme de 1054, date traditionnellement retenue pour marquer la rupture entre les deux Églises. Celle-ci est consommée 150 ans plus tard avec le sac de Constantinople, lors de la quatrième croisade. Il faudra attendre 1965 pour que le pape Paul VI et le patriarche Athénagoras lèvent les anathèmes.

« Le problème, c’est qu’au second millénaire, on s’est écartés les uns des autres », résume Alexandre Galaka. Les deux amis passent en revue les incompréhensions qui se sont accumulées au fil des siècles : le développement des dogmes (les orthodoxes critiquent l’approche juridique des catholiques) ; la reconnaissance des sacrements (notamment l’ordination et l’eucharistie) ; le filioque du Credo (dire que l’Esprit Saint « procède du Père et du Fils » remet en cause, selon les orthodoxes, « la dignité divine » de l’Esprit) ; le pape et la primauté (les quinze patriarches orthodoxes « sont égaux entre eux » et la primauté revient au synode et non à un pape « infaillible », trônant au sommet d’une « monarchie » et objet d’une dévotion quasi « idolâtre ») ; l’uniatisme (les Églises orientales restées fidèles à Rome)…

« Il y a des différences dans la dogmatisation ; il y a des différences dans la réflexion théologique ; il y a des différences liées à l’histoire et à la conception de l’unité et de l’exercice de l’autorité ; mais il n’y a pas de différences de foi », souligne Patrice Mahieu.

Les catholiques, relève Alexandre Galaka, sont une source d’inspiration dans le domaine des « relations avec l’État » (les orthodoxes sont habitués à ce que « les nations soient baptisées par la force de l’État »), de la « vie missionnaire » et de « l’organisation de la charité ».

La plongée dans la réalité orthodoxe est passionnante. Les monastères, qui jouent le rôle de « grosses paroisses », sont les « centres de la vie spirituelle ». Il n’existe pas de forme de vie religieuse apostolique. « Le monachisme insiste sur la solitude ; tous les problèmes sociaux, c’est-à-dire de la société appartiennent aux laïcs, explique le prêtre orthodoxe. C’est pourquoi on n’a pas plusieurs ordres mais un seul, les Basiliens. »

La pratique est centrée sur la vie liturgique, qui « reflète la foi de l’Église et la piété des fidèles ». Elle se nourrit de longues liturgies – « C’est comme une mer où on est plongé tout entier. » La prière est accompagnée de chants sobres et profonds (chants orthodoxes grecs ou znamenny chez les Slaves). La place de l’Écriture est « sacralisée » ; sa lecture est indissociable des commentaires des Pères de l’Église, auxquels on se réfère pour éclairer un passage au « sens ambigu ».

Sur le plan sacramentel, l’approche orthodoxe du mariage est inspirante. Les fidèles peuvent se marier trois fois. Le premier mariage est le plus solennisé : les mariés portent les couronnes. Pour les mariages suivants, les futurs mariés « doivent faire pénitence pendant une période déterminée en demandant le pardon de Dieu ». Les « conseils » et les « décisions » reviennent au père spirituel ou à l’évêque diocésain, les plus à même de prendre en compte des « situations très subtiles » en veillant à ne pas « casser la vie ».