Une boussole qui indique la vraie spiritualité

Saint Jean nous donne un critère important pour vivre la spiritualité chrétienne véritable. Il s’agit du critère d’incarnation. C’est une vraie BOUSSOLE pour détecter la vraie sainteté et éviter les chemins de la fausse sainteté, pour détecter la vraie spiritualité et éviter les chemins de la fausse spiritualité.

« Mes bien-aimés, ne croyez pas à n’importe quel inspiré, mais examinez les inspirations pour voir si elles viennent de Dieu, car beaucoup de faux prophètes se sont répandus dans le monde. Voici comment vous saurez si l’Esprit de Dieu les inspire : tout inspiré qui proclame que Jésus Christ est venu parmi nous dans la chair, celui-là appartient à Dieu. Tout inspiré qui refuse de proclamer Jésus, celui-là n’appartient pas à Dieu. » (1 Jn 4,1-3)

Nous croyons que « le Verbe s’es fait chair » (Jn 1,14), que Jésus est le Fils de Dieu fait homme. Nous croyons que désormais la révélation de Dieu passe par la chair du Fils. L’humanité devient porteuse de la révélation de la divinité. La foi, l’espérance, et la charité divines ne sont donc pas des communications purement spirituelles dont les fruits seraient tout intérieurs; ceux-ci passent par les humbles petits gestes de la vie quotidienne assumée dans le devoir d’état le plus ordinaire. Oui, c’est dans la vie ordinaire quotidienne que nous vérifions la sainteté, c’est-à-dire la vérité de notre foi, de notre espérance, de notre charité.

La vérité de la foi. La fausse spiritualité prétend communier à Dieu en esprit, dans de longues prières, la lecture de la Parole de Dieu, la réception des sacrements de l’Eglise, une grande vigilance à la rectitude théologique… elle fait des « excès de table » de ce côté! Mais elle se détourne de l’humble attention au prochain, de l’humble service de l’autre, de l’humble accueil des aspects les plus ordinaires et les plus astreignants de la vie quotidienne, de l’humble exercice de son devoir d’état. De ce côté-ci, il y a une vraie cure d’amaigrissement. Car ces choses trop terre à terre lui semblent nuire aux exigences de l’esprit. Pourtant, la vérité de la foi se vérifie dans le déploiement de la charité. Et le déploiement de la charité s’attache à vivre avec amour les petites choses du quotidien, et à accepter de se laisser déranger par le prochain pour le servir.

La vérité de l’espérance. Une vie spirituelle qui honore son désir de communion à Dieu en esprit, sans honorer la présence de Dieu à travers la chair,  devient une vie spirituelle déviante, parce qu’égarée dans la stratosphère. Elle conduit alors à chercher à s’élever au-dessus de la condition ordinaire, et à cultiver essentiellement les valeurs appelées « spirituelles ». Elle s’éloigne des responsabilités de l’humble vie quotidienne, cherchant des expériences particulières très « spirituelles », mais déconnectées du réel. Elle exacerbe l’attente du retour du Christ (la dimension eschatologique) pour mieux se justifier de ne rien faire dans la vie concrète. Elle véhicule une espérance désincarnée, et « tend » les personnalités comme on «tend » un élastique, jusqu’à la limite de la rupture.  Alors qu’on demandait un jour à saint Dominique Savio qui était en train de jouer ce qu’il ferait s’il devait mourir ce jour-là, sans hésitation il répondit : « Je continuerais à jouer ». C’est qu’il vivait déjà chaque instant de sa vie en faisant la volonté de Dieu dans l’ordinaire de son quotidien. Ici et maintenant. Il n’avait donc rien à changer pour aller « ailleurs »…

La vérité de la charité. Devenue orgueilleuse, cette fausse spiritualité se se ferme à la charité selon une double démarche. D’abord parce qu’elle se met obligatoirement à « juger » les personnes de sorte à pouvoir les faire entrer dans « ses » catégories : elle érige comme critère normal la « séparation », le service  d’une « pureté » idéale, auprès de ses propres réseaux de personnes proches (du même milieu social, de la même famille spirituelle…). Ensuite parce qu’elle devient aveugle aux besoins tout simples des personnes qui sont là, à côté. La charité ne se sent plus appelée par le manque et le besoin du frère. La fausse spiritualité, cela va sans dire, se trouve au-delà de ces choses trop terre à terre. Elle s’en glorifie d’ailleurs, et s’en justifie savamment. Elle oublie tout simplement le seul critère du jugement dernier donné par Jésus lui-même : « J’avais faim et vous m’avez donné à manger; dans la mesure où vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25,40)

Saint Vincent de Paul disait aux religieuses Filles de la Charité : « Si, à l’heure de votre oraison, le matin, vous devez allez porter une médecine, oh! allez-y en repos; offrez à Dieu votre action, unissez votre intention à l’oraison qui se fait à la maison, ou ailleurs, et allez-vous-en sans inquiétude. Si, quand vous serez de retour, votre commodité vous permet de faire quelque peu d’oraison ou de lecture spirituelle, à la bonne heure! Mais il ne vous faut point inquiéter, ni croire avoir manqué, quand vous la perdrez; car on ne la perd pas quand on la quitte pour un sujet légitime. Et s’il y a sujet légitime, mes chères filles, c’est le service du prochain. Ce n’est point quitter Dieu que quitter Dieu pour Dieu, c’est-à-dire une oeuvre de Dieu pour en faire une autre, ou de plus grande obligation, ou de plus grand mérite. Vous quittez l’oraison ou la lecture, ou vous perdez le silence pour assister un pauvre, oh ! sachez, mes filles, que faire tout cela, c’est le servir. Car, voyez-vous, la charité est par-dessus toutes les règles, et il faut que toutes se rapportent à celle-là. C’est une grande dame. Il faut faire ce qu’elle commande. Allons donc, et nous employons avec un nouvel amour à servir les pauvres, et même cherchons les plus pauvres et les plus abandonnés; reconnaissons devant Dieu que ce sont nos seigneurs et nos maîtres. et que nous sommes indignes de leur rendre nos petits services ».

On ne peut vivre une vie spirituelle équilibrée qu’en assumant la vie ordinaire concrète : elle est le lieu de la sainteté ordinaire.

“L’amour de Dieu est le premier commandement dans l’ordre de l‘énoncé, mais celui du prochain, le premier dans l’ordre de la réalisation.” (St Augustin)

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Jean-Paul II, parlant de la sainteté dans la lettre « À l’aube du nouveau millénaire », soulignait : « Il ne faut pas se méprendre sur cet idéal de perfection comme s’il supposait une sorte de vie extraordinaire que seuls quelques « génies » de la sainteté pourraient pratiquer. Les voies de la sainteté sont multiples et adaptées à la vocation de chacun. Je remercie le Seigneur, qui m’a permis de béatifier et de canoniser ces dernières années de nombreux chrétiens, et parmi eux beaucoup de laïcs qui se sont sanctifiés dans les conditions les plus ordinaires de la vie. Il est temps de proposer de nouveau à tous, avec conviction, ce « haut degré » de la vie chrétienne ordinaire » (n° 31).

Jésus a passé trois ans de sa vie à proclamer la Bonne Nouvelle jusqu’à la Croix et la Résurrection. Mais ces trois ans ont été préparés par trente ans de vie cachée dans la Sainte Famille : il n’a pas été étranger à notre vie ordinaire, mais il l’a longuement assumée. Vivre en chrétien nous ne consiste donc pas à rêver à un destin extraordinaire, mais à vivre concrètement l’Amour au jour le jour.

La vie chrétienne n’est pas d’abord un idéal élevé ; elle est la présence de Dieu dans le réel souvent obscur de la vie quotidienne. Cela peut faire mal, car nous voudrions tellement réaliser de grandes choses ! Or, une seule chose compte : être là où Dieu nous veut. Et Dieu nous demande généralement de n’être que des chrétiens ordinaires, à l’écoute de sa Parole. Au fond, la simplicité, et même la monotonie de nos jours, est porteuse de Dieu. Au cours de toutes ces années que Jésus passe à Nazareth, Marie vit dans l’action en apparence insignifiante de tous les services humains qu’elle rend à Jésus.

Demandons à Marie de nous apprendre son humilité, sa discrétion, son silence qui n’est pas tranquillité passive, mais écoute et intériorisation de la Parole de Dieu. Notre vie quotidienne sera alors pénétrée de prière. Comme dit saint Paul : « N’ayez pas le goût des grandeurs, mais recherchez ce qui est simple » (Rm 12,16). Cela ne va pas sans une certaine pauvreté de fait, un dépouillement qui nous permettent d’être attentifs à la présence discrète de Dieu dans les petites choses. Ne nous laissons pas encombrer ; ayons une préférence d’amour pour tout ce qui est ordinaire.

Jésus, en travaillant auprès de Joseph, a montré toute la dignité de nos activités ordinaires. La conscience professionnelle, qui met l’amour dans l’exercice de notre travail, sanctifie notre vie quotidienne. Pour cela, notre travail doit être nourri de prière, de même que le travail de Joseph se faisait tous les jours en présence de Jésus.

« Durant son long séjour nazaréen, Jésus a mené la vie ordinaire, commune, banale, des gens de l’endroit. Apparemment, durant tout ce temps, il n’a rien fait d’extraordinaire, de singulier ou de remarquable qui ait pu le signaler à l’attention des uns ou des autres. Il a mené, comme ses concitoyens, une existence sans histoire. Une de ces existences dont aujourd’hui on ne mentionne, dans les journaux, ni la naissance ni la mort. Il mène la vie monotone de tout le monde et de tous les jours. Là, il n’est qu’un homme quelconque. (…) Jésus réalise à Nazareth une sainteté sans commune mesure. Une sainteté qui ne fait pas choc et ne se fait pas remarquer ! La sainteté des petites gens, de ceux qui ne seront jamais mis sur les autels et proposés à l’admiration de l’Église Universelle ! La sainteté de ceux dont on n’écrira jamais la vie ! La sainteté des grands silencieux de ce monde ! » (Henri Sanson, Nazareth, intimité spirituelle, DDB, 1992, pp.21-23).

Ne perdez pas le nord !

P. Dominique Auzenet

Une réflexion sur « Une boussole qui indique la vraie spiritualité »

  1. Merci pour cet article qui m’a aidé à voir clair sur mon « destin » que je n’avais pas vraiment choisi.
    Le fait d’apprendre que la sainteté se gagne en faisant pour le mieux notre devoir d’état chaque jour en pensant à Dieu, le plus souvent dans l’anonymat et la discrétion la plus totale m’a permis de comprendre que comme Ste Thérèse qui vivait à l’ombre de Dieu, nous sommes toujours et encore plus aimés de Dieu parce-que Lui nous voit tous les jours alors que les Hommes ne nous voient pas toujours.
    Et oui…. nous pauvres humains, nous aimerions bien être reconnus par nos semblables (puissance, gloire, beauté, argent…) et cela génère souvent catastrophes, ruptures, haine, envie, jalousie pour rien!!! car notre Vie ici bas n’est que passage.
    Jésus nous demandera le moment venu « qu’as tu fait pour ton prochain? »
    J’aurais bien aimé avoir par exemple une certaine reconnaissance comme artiste. Je ne l’ai pas eue, eh bien tant pis, j’ai la reconnaissance par Dieu qui est mort pour moi uniquement par Amour….

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