La nouvelle traduction oecuménique de la Bible

Traduire la Bible ensemble

À part les 39 livres unanimement admis par tous, le canon chrétien de l’A.T. a connu une histoire très complexe quant à l’inclusion ou le rejet des deutérocanoniques. Les diverses positions actuelles, catholiques, protestantes et orthodoxes, y trouvent chacune des justifications et, en même temps, laissent ouverte la possibilité d’une coopération. Dans le cadre d’une traduction commune de la Bible, les accords interconfessionnels prévoient que les livres deutérocanoniques soient publiés dans une section à part, entre l’A.T. et le N.T. Une telle position reste conforme aux anciennes éditions protestantes de la Bible tout en laissant une certaine liberté d’appréciation. Ces accords ont été adoptés par les éditeurs de la TOB depuis sa première édition, ce qui a permis de faire une nette distinction entre le canon hébraïque traditionnel et le corpus des deutérocanoniques.

Conformément à ces accords, on trouve donc dans la section des deutérocanoniques une traduction intégrale de l’Esther grec, par trop différent de l’Esther hébreu. Par contre, les additions grecques du livre de Daniel ont été insérées dans le cours du texte, aux endroits où elles trouvaient leur cadre normal. En ce qui concerne le livre du Siracide, le texte retenu est le plus court, tel qu’on le trouve dans les principaux manuscrits grecs, tout en tenant compte des textes hébreu et syriaque.

L’incorporation dans la présente TOB des six autres livres ou textes deutérocanoniques orthodoxes (3 et 4 Esdras, 3 et 4 Maccabées, Prière de Manassé, Psaume 151) absents des précédentes éditions garde cette disposition. Le corpus « deutérocanonique » est simplement présenté en deux parties.

La première – celle des éditions de la TOB jusqu’à présent – donne les « livres deutérocanoniques admis par les catholiques et les orthodoxes » ; la deuxième – nouvelle – donne les « autres livres deutérocanoniques admis par les orthodoxes ».

Le regroupement des deutérocanoniques ne tient ni à leur date de composition, ni à leur langue de rédaction, ni à leur genre littéraire, ni même à leur orientation théologique. Il est le fruit empirique de la pratique des Églises et ne doit pas cacher l’extrême diversité des écrits en question : certains sont des œuvres originales, comme Sagesse, Maccabées ou Judith ; d’autres se greffent sur des livres de la Bible hébraïque (les suppléments grecs à Daniel et Esther) ou les prolongent (Baruch vis-à-vis de Jérémie) ; d’autres encore semblent faire double emploi (3 Esdras recoupe ainsi 2 Ch 25-26 et Esdras-Néhémie).

Les Églises orthodoxes orientales ont une tradition biblique voisine. Généralement, les six livres orthodoxes se retrouvent dans le canon ou les livres liturgiques des Églises syriaque (3 et 4 Esdras, 3 et 4 Maccabées, Prière de Manassé, Psaume 151), copte (3 Maccabées, Psaume 151), arménienne (3 et 4 Esdras, 3 Maccabées, Prière de Manassé, Psaume 151) et éthiopienne (3 et 4 Esdras, 1, 2 et 3 Maccabées, Psaume 151, Prière de Manassé). Mais les canons de ces bibles sont aussi parfois plus riches et, dans leur « table des matières », on trouve, outre les deutérocanoniques catholiques et orthodoxes, des livres propres à chaque Église. Ainsi, dans l’Église orthodoxe tawahedo d’Éthiopie, parmi les livres de l’A.T., les Jubilés, Hénoch ou encore le Josippon.

L’adjonction des deutérocanoniques orthodoxes a pour but de renforcer la dimension œcuménique de la TOB. Qu’ils soient catholiques, protestants ou orthodoxes, les chrétiens de langue française pourront ainsi prendre connaissance des « autres livres » du canon orthodoxe de l’A.T., livres indisponibles dans les éditions actuelles de la Bible en français.

Que l’on considère ces livres comme deutérocanoniques ou apocryphes, leur lecture se révèle intéressante à plusieurs niveaux.

Concernant le judaïsme, ils s’avèrent une source essentielle pour mieux connaître sa situation et ses caractéristiques en Palestine et en diaspora entre le IIe s. av. J.-C et le IIe s. après. Ils aident à la compréhension du reste de l’Écriture, A.T. comme N.T., en particulier pour la connaissance du milieu dans lequel ont vécu et enseigné Jésus Christ et ses disciples. Ils éclairent bien des affirmations néotestamentaires sur la démonologie, la résurrection, etc.

De plus, à l’instar de beaucoup d’autres livres bibliques, au-delà de leur importance historique, liturgique et catéchétique, les deutérocanoniques ont exercé une profonde influence sur la culture, les arts et la vie quotidienne.

Enfin, ils nous rappellent judicieusement que les Églises ont reçu les Écritures juives, en tant qu’ «Ancien » Testament, sous leur forme grecque, la Septante. Pendant des siècles, la Septante a nourri et soutenu la prière, la méditation et le culte des chrétiens, et c’est encore le cas aujourd’hui dans les Églises d’Orient.

Introduction aux livres deutérocanoniques (extrait). TOB 2010, notes intégrales, Éd. du Cerf – Bibli’O, p. 1647-1648.

Survol des six « deutérocanoniques » orthodoxes

Voici les six principaux ouvrages qui sont en usage, d’une manière ou d’une autre, dans les Églises orthodoxes. C’est par commodité que la TOB les appelle « deutérocanoniques ». En effet, pour les orthodoxes byzantins, leur statut est identique à celui des deutérocanoniques admis par la Bible catholique. Tous sont définis comme anagignoskomena (« bons à connaître », d’où « autorisés à la lecture »). Notons que 3 et 4 Esdras ainsi que la Prière de Manassé étaient en appendice des éditions de la Vulgate latine jusqu’au xxe siècle.
3 Esdras (traduction grecque d’un original araméen de la fin du IIe s. av. J.-C.). Complémentaire des Chroniques et d’Esdras-Néhémie, il évoque la fin de l’exil à Babylone et le retour à Jérusalem. Il contient l’histoire de trois pages du roi Darius se livrant à un tournoi oratoire, chacun faisant l’éloge de ce qu’il estime être le plus puissant en ce monde : le vin, le roi, les femmes et la vérité.
4 Esdras (compilation de trois textes indépendants. Présent uniquement dans les bibles orthodoxes russes). La partie centrale (3-14), connue sous le titre d’Apocalypse d’Esdras (fin Ier s. apr. J.-C.), se compose de sept épisodes. Dans les trois premiers, Esdras dialogue avec Dieu ou son ange. Les trois suivants rapportent des visions symboliques : une femme en deuil, un aigle, un homme aux caractéristiques messianiques. Dans le dernier, Esdras reconstitue les Écritures saintes. La version latine repose sur un texte grec aujourd’hui perdu qui était lui-même la traduction d’un original sémitique. Les chapitres 1-2 et 15-16 sont deux écrits chrétiens du IIe s. apr. J.-C. ajoutés ultérieurement et transmis en latin1.
3 Maccabées (rédigé en grec avant la destruction du temple de Jérusalem en 70 apr. J.-C). Il raconte comment Dieu sauve les Juifs d’Alexandrie enfermés dans l’hippodrome sur ordre du roi pour y être écrasés par des éléphants ivres.
4 Maccabées (rédigé en grec au Ier ou IIe s. apr. J.-C.). Discours philosophique qui vise à démontrer que « la raison pieuse est souveraine des passions » et qui donne en exemple des martyrs juifs tels Éléazar, les sept frères et leur mère (voir 2 M 6-7).
La Prière de Manassé (rédigé en grec entre le IIe s. av. J.-C et le Ier s. apr. J.-C.). Courte prière de repentance et de confiance dans la miséricorde divine, elle est à rattacher à un épisode de 2 Ch 33,12-13 : le roi impie Manassé prie Dieu pendant sa captivité à Babylone.
Psaume 151 (présent dans les manuscrits de la Septante grecque ; une version en hébreu a été trouvée à Qumrân). Considéré comme une signature davidique à la collection des 150 psaumes, il évoque David, son combat contre Goliath et son choix par Dieu.
1. Voir André Paul, « De L’Ancien Testament au Nouveau, t. 2. Autour des Prophètes et des autres Écrits », C.E. n° 153 (septembre 2009), p. 38-47.