Les églises du Mans et de Paderborn, une amitié millénaire

Le mercredi 24 juillet, le calendrier liturgique du diocèse du Mans indique : « saint Liboire, évêque du Mans ». Le dimanche 28 juillet, le diocèse de Paderborn, en Allemagne, lors du « Liborifest », invoque saint Liboire comme son saint Patron et fondateur. En 836, les reliques de saint Liboire, 4° évêque du Mans, furent en effet transférées du Mans à Paderborn en Westphalie (Allemagne). Il devint le patron de la cathédrale, de la ville et du diocèse de Paderborn. Lors de la remise des reliques, un pacte « d’éternelle alliance et d’amitié » fut conclu entre les deux diocèses, resté vivant jusqu’à nos jours, en dépit des vicissitudes et bouleversements ayant marqué l’histoire de la France et de l’Allemagne. C’est l’un des plus anciens jumelages d’Europe. Étonnant !

L’origine

« Ami de Louis le Pieux, Badurad, un Saxon né à Enzern, éduqué dans la psallette franque de Würzburg, fut nommé évêque du nouveau diocèse de Paderborn en 815 par le roi. Sept ans plus tard en 822, Aldric, un autre Saxon qui avait fréquenté la psallette d’Aix-la-Chapelle et était devenu directeur de celle de Metz, fut nommé évêque du Mans par le même Louis le Pieux dont il était devenu le conseiller et le confesseur.

Au synode d’Aix, en 836, les deux amis se retrouvèrent et influencèrent grandement cette assemblée.

Or les Saxons, selon une vie de saint Liboire (remise par J. Bolland au légat du pape à Münster, au cours du congrès qui mettait fin à la guerre de Trente Ans) bien que soumis par les armes de Charlemagne, manquaient souvent à leurs engagements envers le Christ, tant à cause d’une certaine faiblesse de tempérament que d’une inconstance qui les ramenaient sans cesse aux rites ancestraux. Ils avaient donc besoin de preuves concrètes et solides pour étayer leur foi, ainsi que d’exemples de courage, de générosité et de piété.

Soucieux de lier l’évangélisation de son diocèse à la succession apostolique des évêques fondateurs, Badurad vit donc dans la nomination de son ami Aldric, au siège du Mans, une sorte de fraternité providentielle et prophétique pour son propre diocèse.

Le Mans vénérait saint Julien et ses reliques ; Paderborn pouvait en raison de leurs liens, vénérer les reliques d’un évêque du Mans devenu célèbre et connu (le quatrième) : saint Liboire.

Il était mort en 397 après quarante-neuf années d’épiscopat fructueux et avait « trépassé » en présence du non moins célèbre Martin, évêque de Tours.

Ainsi fut décidée la translation des reliques de cet évêque à Paderborn ; reliques nécessaires à la consécration de l’autel épiscopal, reliques insignes de la communion des Églises : c’était en mai 836.

Cette translation solennelle se déroula en plusieurs temps : d’abord au Mans « l’élévation des ossements contenus dans la basilique Saint-Victeur, puis le transfert dans la cathédrale construite par saint Aldric ensuite procession jusqu’à la basilique Saint-Vincent où s’opéra la remise réelle des reliques ».

Après le vœu solennel « d’une fraternité d’amour perpétuel entre Paderborn et Le Mans », le départ eut lieu par Yvré-l’Evêque et Saint-Mars-la-Brière…» (1)

 

Quelques jalons d’histoire jusqu’à nos jours

• En 1647, au moment de l’élaboration du Traité de Wesphalie, sur la demande du Chapitre de Paderborn, le Chapitre du Mans intervint auprès de Louis XIV pour que le « Grand Évêché » ne soit pas rattaché à la Hesse, protestante, comme cela était prévu ;

• En 1792, Monseigneur de Jouffroy-Gonssans, évêque du Mans, obligé de s’exiler, trouve asile à Paderborn où il mourut en 1799. Il est enterré dans la cathédrale de Paderborn.

• En 1870, la guerre franco-allemande amène quelques soldats de Paderborn jusqu’au Mans. Un aumônier militaire prussien originaire de Paderborn, se trouve à Lhomme et demande l’aide du curé de la paroisse pour assister les blessés. Tous deux s’expriment en latin. Dès que le curé comprend que cet aumônier est originaire de Paderborn, il s’exclame : « Ah, confraternité St Liboire ! Nos sumus fratres !» (Nous sommes frères).

• En 1867, l’évêque auxiliaire de Paderborn Mgr Freusberg demande à Mgr Fillion du Mans, de bien vouloir l’aider financièrement à restaurer sa cathédrale. Ce dernier, à son grand regret, ne peut donner une suite favorable à cette requête, tellement il est, lui, préoccupé par la détresse financière du St Siège… C’est Mgr Fillion qui entreprit en 1872 la construction de la basilique Notre-Dame du Chêne !

• En avril 1877, l’évêque de Paderborn en exil pendant le Kulturkampf est reçu par le chapitre de la cathédrale du Mans avant d’aller passer cinq jours à Solesmes.

• Après la guerre de 1914-18, les échanges entre Le Mans et Paderborn se sont raréfiés. Cependant, en 1930, l’évêque de Paderborn annonce à celui du Mans que son diocèse est élevé au rang d’archevêché. En 1936, le onzième centenaire de la Translation du corps de Saint Liboire, des représentants de l’Église du Mans, Mgr Coulon et le chanoine Leroux sont à Paderborn et en 1938 Mgr Baumann, évêque auxiliaire et le prévost Mgr Simon viennent à leur tour en visite au Mans. Chaque diocèse s’engage même à donner à l’autre un diacre.

• 1940-44 : l’abbé Franz Stock, originaire de Paderborn, aumônier des 3 prisons de Paris, est pour beaucoup de prisonniers, tant allemands que français, le seul lien, parfois mal compris, avec l’extérieur. En 1944, il fut choisi comme supérieur du « séminaire des barbelés » de Chartres qui permit à plus de 900 séminaristes de continuer leurs études théologiques.

• En 1946, à Mulsanne, où se tient un camp de 6 000 prisonniers allemands, un prêtre de Paderborn, l’abbé Henri Diebecker, est affecté comme aumônier volontaire. Il joua un rôle éminent pour rassembler dans la paix et l’unité les jeunes d’Allemagne et de France. En 1953, commencèrent les rencontres de jeunes catholiques des deux diocèses, qui se poursuivirent tous les deux ans, tantôt à Paderborn, tantôt au Mans…

• En 1954, dans un esprit de réconciliation et de réparation, une partie de l’Église Ste Thérèse du Mans est financée par l’Église d’Allemagne, construite et aménagée par des équipes d’ouvriers allemands et de chrétiens de la paroisse…

• En 1960, le curé de la Cathédrale de Paderborn a l’idée de fonder une « fraternité sacerdotale » unissant les prêtres des deux diocèses. Les curés des deux cathédrales en furent les fondateurs et les premiers présidents : Mgr Antoine Schwingenhauer et Mgr Charles Leboisne. À la suite des liens tissés par cette fraternité, depuis les années 60, très fidèlement, des Sarthois vont au « Liborifest », fin juillet à Paderborn, et des diocésains de Paderborn se rendent à la « saint Julien » au Mans, fin janvier.

• En 1961, Mgr Jaëger, archevêque de Paderborn, vient consacrer la nouvelle église saint Liboire au Mans, construite grâce à la solidarité de la Jeunesse Catholique Allemande du diocèse.

• Le 3 juin 1967, les deux villes du Mans et de Paderborn sont officiellement jumelées. M. Tölle, bourgmestre de Paderborn coupa le ruban symbolique qui fermait « l’avenue de Paderborn ». M. Jaques Maury, maire du Mans, souhaita « qu’elle soit entre nos deux villes un trait d’union en vue de connaître définitivement ce bien infiniment précieux : la paix ». Le dimanche 4 juin, le cardinal Jaëger présida la messe concélébrée avec Mgr Chevalier : « Plus nous vivrons dans l’amour du Christ, plus nous serons proches les uns des autres. C’est le fondement du jumelage Le Mans – Paderborn qui sur cette base devra durer éternellement ». Depuis cette date, le nombre des appariements de sociétés, de groupements, d’établissements scolaires, de clubs divers dépasse maintenant la soixantaine. Ils concernent plus de 2000 jeunes et adultes chaque année avec près de 50 rencontres…

• Mgr Degenhardt, archevêque de Paderborn, a créé en 1977 la « Médaille Saint Liboire pour l’Unité et la Paix » décernée tous les 5 ans à une personnalité s’étant acquis des mérites pour l’unification de l’Europe sur la base des principes chrétiens.

• Après l’ouverture du Mur de Berlin en 1989 la partie Est du diocèse, plus étendue (4 M d’habitants et seulement 250 000 catholiques, terre de mission et terre de saints : Norbert, Mechtilde, Gertrude), a été érigée en évêché. Devenu évêque de Magdebourg, Mgr Nowak, a participé à la St Julien en 1994…

 

Le rayonnement de Saint Liboire

La tradition veut que saint Liboire intercède pour les pèlerins afin « qu’ils n’aient ni crise, ni cailloux »; il n’est donc pas étonnant qu’on retrouve son culte et ses reliques dans les villes d’eaux comme Contrexéville dans les Vosges, comme Paderborn, Bad Wildungen, Split en Croatie. Dans un article du Westfäliches Volksblatt paru en 1985 on peut lire ceci : « En Yougoslavie, il y a vingt six lieux où saint Liboire est honoré : ils se situent dans les diocèses de Split, Dubrovnik et Hvar, sur la côte dalmate et dans la péninsule de Peljesac où six localités lui rendent un culte. Les plus anciennes traces de ce culte datent du XVII siècle. En Allemagne, vingt-huit localités honorent ce saint.

On parle de plus d’une centaine d’églises ou chapelles, en Autriche, à Malte, en Espagne et au Portugal, en Italie, plus qu’en France, dédiées à ce saint. (1)

(1) Maurice Balavoine, Le Mans-paderborn. Dans l’Europe, une amitié séculaire. 1994, 111 pages, 75F. En vente à l’évêché du Mans. Cette fiche s’inspire en grande partie de la documentation proposée dans ce livre.

Mgr Gilson, ancien évêque du Mans, a dit :

« Dieu est le grand absent des instances officielles qui entendent construire l’Europe nouvelle. Devant le puzzle trop souvent détruit, dispersé de la carte des pays de l’Europe, il est utile de rappeler que le ciment de la construction de la maison commune, c’est la Foi. L’intelligence des peuples est en éveil. « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. »

Le Cardinal Degenhardt, archevêque de Paderborn, a dit à Metz, lors de la réception de la médaille d’Or Robert Schuman :

«Je crois qu’il s’agit là de la plus ancienne convention en Europe. Je n’en connais pas de plus ancienne. Cette continuité à travers tant de siècles, malgré des contrecoups, des guerres et des inimitiés entre les deux peuples, a aussi pour notre époque sa signification symbolique.

Les évêques Aldrich du Mans et Badurad de Paderborn n’ont sans doute pas pu imaginer, malgré leur clairvoyance et la force de leur foi, que ce contrat se perpétuerait aussi longtemps comme signe d’une communauté occidentale, et que leurs évêchés se retrouveraient, après plus de 1150 ans, non pas dans un empire, mais dans une communauté européenne démocratique »