La prière du coeur

La prière de Jésus intérieure et constante est l’invocation continuelle et ininterrompue du nom de Jésus, par les lèvres, le cœur et l’intelligence, dans le sentiment de sa présence, en tout lieu et en tout temps, même pendant le sommeil. Elle s’exprime par ces mots : « Seigneur Jésus Christ, aie pitié de moi ». Celui qui s’habitue à cette invocation reçoit une grande consolation et le besoin de toujours dire cette prière. Au bout de quelque temps, il ne peut vivre sans elle, et c’est d’elle-même qu’elle coule en lui, n’importe où, n’importe quand. Le Pèlerin russe


Un enfant va naître. Le choix du prénom est d’un poids considérable pour le devenir de cet enfant. Il a un sens.Pourquoi tel prénom plutôt que tel autre ? Que veulent dire, par ce choix, les parents, consciemment ou inconsciemment ? Quels projets ce prénom exprime-t-il, de la part du père et de la mère ? Dans quelle lignée, sous quel patronage inscrira-t-il le bébé ? Quel bénéfice ou quelle tare, quelle dynamique ou quelle pesanteur influenceront ainsi l’enfant ?Ne souriez pas. Ce choix dit quelque chose de fondamental, souvent inconnu, d’un regret ou d’un espoir des parents pour le destin de leur enfant.

« Tu l’appelleras du nom de Jésus »

Ainsi Marie apprend que son fils devra s’appeler Jésus. Le sens de ce nom ? « Dieu sauve », « Yahweh-sauve ». L’ange lui annonce : « Tu l’appelleras du nom, de Jésus, car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés ».Saint Paul nous le redit : « Dieu lui a donné un Nom qui est au-dessus de tous les noms, afin qu’au Nom de Jésus, tout genou fléchisse » (Ph 2, 9-10). Le Nom c’est la personne ! Jésus ne s’exprime pas autrement quand il révèle à ses disciples : « Tout ce que vous demanderez au Père, en mon Nom, il vous le donnera » (Jn 16, 13-14). Ou quand il change les noms de certains de ses apôtres.On le voit, le nom est essentiel dans la Bible et dans tout l’Orient : il exprime tout à la fois la personne et son destin. (Il en est de même en Occident, mais on n’en parle guère, on n’en a pas la même conscience).Le prêtre, pourtant, le jour de notre baptême, nous a plongés dans le Nom de la Trinité : « Je te baptise au Nom du Père, du Fils et du Saint Esprit ».L’Église, dans sa tradition, s’est toujours servie du Nom de Dieu et a toujours révéré le Nom de Jésus, car une force s’en dégage. Il nous fait vivre.

Dès le deuxième siècle

C’est pourquoi, dès le II° siècle, un chrétien de Rome, Hermas, proclame dans son livre, Le pasteur, un livre important dès les premiers temps, surtout en Orient : « Le Nom du Fils de Dieu est grand et immense, et c’est lui qui soutient le monde entier ».Très tôt, en Égypte d’abord, les moines se sont servis du Nom de Jésus pour prier. « On dit qu’en Égypte, écrit saint Augustin, les frères font des prières fréquentes mais très brèves et comme rapidement lancées ». On sait que cette prière courte est la formule : « Kyrie eleison, Seigneur aie pitié ».Chez certains, cette simple phrase — demande fondamentale et vie essentielle — fut vite rythmée par la respiration. En maintenant l’inspiration on dit : « Jésus », et pendant l’expiration : « aie pitié ».Cette cadence nous relie à notre premier cri de naissance et déjà à notre dernier souffle.

Au Mont Athos

Le Nom de Jésus, ainsi mêlé au souffle de l’homme qui « prie sans cesse » selon le commandement de Saint Paul, crée une forme de prière originale, non conventionnelle, et qui évoluera à travers les époques, les lieux et l’intuition de chacun,Après Je désert d’Égypte, c’est au Mont Athos (une presqu’île gérée et habitée uniquement par des moines, au Nord de la Grèce) qu’on utilisera avec bonheur cette forme de prière brève, toujours liée à la respiration.Le moine de l’Athos met l’accent sur la prière, la contemplation de la beauté de la création, la solitude et le silence. Ces moines, dont certains étaient peu instruits, devenaient, par cette simple prière sans cesse respirée, sans cesse redite, de vrais contemplatifs, dans le calme et le silence d’un cœur pacifié.L’un d’eux, en disant aux autres et à chacun de nous : « Que le souvenir de Jésus soit uni à ta respiration et à toute ta vie », résume toute la prière du cœur.

La formulation classique résume l’histoire de la foi

Une formule plus complète et plus riche s’est imposée peu à peu dans la tradition : « Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur ». C’est un véritable enseignement théologique que répète chaque jour le priant. Il résume l’histoire de sa foi.Au premier abord cette prière semble s’adresser uniquement au Fils : en fait, en y regardant de plus près, nous découvrons qu’elle est une véritable approche pour apprendre à connaître la Trinité.En effet, nous parlons à Jésus, Fils de Dieu, mais « nul ne peut dire que Jésus est Seigneur s’il n’est avec l’Esprit Saint ». (Lettre de Saint Paul aux Corinthiens). La prière du cœur est donc non seulement centrée sur Jésus, mais elle englobe toute la Trinité. Elle désigne aussi Jésus comme Fils ; il partage la gloire du Père. Christ, Messie, il transmet l’Esprit.

La pesanteur de notre condition

Le mot « pitié » signifie amour qui agit, qui travaille à donner le pardon et la libération. À voir pitié de l’autre, c’est l’aider à se relever en lui donnant les moyens de se guérir, c’est lui pardonner une faute, même s’il la refait plusieurs fois. Pardonner, c’est miser à nouveau sur une nouvelle relation avec l’autre. Pitié … c’est un don librement consenti.La prière se termine par le mot « pécheur » qui évoque la pesanteur de notre condition humaine.

Avec les Icônes

La prière de Jésus est donc une affirmation de foi en Jésus, fils de Marie et Christ, Messie et messager de Dieu, homme et Dieu.C’est ce visage de Dieu-homme que représentent les icônes. Placées dans l’intimité de la chambre ou de la salle de séjour, elles nous aident à vivre en présence de Jésus, nous mettent en « intimité » pour prier.Cette prière simple, d’abandon, a très vite dépassé le monde des moines du Mont Athos pour se répandre dans les pays orthodoxes, notamment en Russie. Aujourd’hui, elle est, en Occident, l’expression privilégiée de l’Orthodoxie priante.

Facile à employer

Si la pratique de cette prière s’est ainsi propagée, c’est qu’en plus de sa profonde simplicité, son emploi est facile.Comment prier du plus profond de notre être ? La tradition orthodoxe insiste pour qu’on entrelace prière et respiration l’une avec l’autre. Cette fois on dira dans l’inspiration : « Jésus-Christ, Fils de Dieu », et dans l’expiration : « Aie pitié de moi, pécheur ».Chacun peut, bien sûr, modifier ou simplifier la formule selon ses goûts, ses préoccupations, son rythme, son humeur, soit de vive voix, soit en pensée :
– « Seigneur, apprends-moi à t’aimer » – « Seigneur, pardonne-moi » – « Jésus, viens » – « Jésus, au secours » – « Jésus, merci » – « Jésus, Jésus ».

Jésus devient alors le compagnon de chaque instant. Jour et nuit, il rythme notre vie d’une manière surprenante. Malades, vieillards s’y apaisent. Chacun y trouve force et silence, même dans le bruit.Les débutants feront peut-être bien de décider qu’ils prieront ainsi d’abord seulement quelques instants par jour. De même que, pour apprendre à nager, il faut se mettre à l’eau, de même faut-il se jeter dans le Nom de Jésus, sans hâte ni tension.

Une prière mécanique ? Non

Cette prière peut paraître mécanique, elle ne l’est pas. C’est une invitation de Dieu et une réponse de l’homme, réponse qui conduit à l’abandon, nous met à la disposition de Dieu. nous fait gravir les marches du silence. Pour cela : écarter la radio, ou les disques, et accepter de rester seul, sans bruit.La prière de Jésus nous intériorise : elle nous mène au-dedans de nous, dans des régions souvent insoupçonnées, et calmes. À partir de là, nous pouvons mieux nous comprendre nous-mêmes et comprendre les autres. Nous décodons notre mystère, nous nous déplions, nous nous ouvrons aux autres.

De quoi aurais-je peur ?

Nous accompagnons Jésus et il nous accompagne : lui avec moi et moi avec lui. Mon intelligence se met à sa disposition. Je ne suis pas tendue comme un arc pour faire sa volonté, mais je suis comme une fleur, comme un arbre qui respire le nom de Jésus. Il est entré dans mon cœur, de quoi aurais-je peur ? Lui et moi, ensemble, nous y ferons le ménage !Priant ainsi, on appréhende moins d’aborder Jésus lors d’une lecture d’évangile ; l’inquiétude est moins aiguë pour rencontrer des proches ou des inconnus ; l’angoisse est moins mordante pour que j’ose regarder et explorer le cœur de mon cœur.
La prière de l’homme moderneCette prière est aussi la prière de la femme ou de l’homme moderne qui vaque à ses occupations. En faisant le repassage, au bureau, en attendant un correspondant au téléphone, dans les embouteillages, les attentes au guichet, au fond d’un lit, malade, dans la monotonie d’une maison de retraite, chacun peut « respirer » le Nom de Jésus. Prier ainsi, dans ces moments-là, est peut-être insolite, mais c’est une joie. Peu à peu, la prière viendra spontanément : je ne ferai plus ma prière, je serai prière. Oui, « Ta place dans mon cœur est tout mon cœur ».

Marie Loukakis (revue Prier)