Les stages de développement personnel

Une réflexion de l’UNADFI dans la revue Bulles n° 101, mars 2009

Depuis quelques décennies, offres et demandes de stages de développement personnel (DP) se rencontrent dans une dynamique de marché en constante évolution. Or, des voix s’élèvent pour dénoncer des dérives car sectes et charlatans savent mettre à profit cette conjonction auprès d’un large public. Ainsi, nos associations reçoivent-elles nombre de personnes déstabilisées ou désarmées face à des ruptures brutales de relation avec un proche à la suite de tels stages. Le développement personnel a aussi largement infiltré les plans de formation des entreprises, ce que la MIVILUDES n’a pas manqué de dénoncer dans ses deux derniers rapports.

État des lieux

Des stages de DP sont proposés lors de conférences, de divers salons tel celui du « bien-être », dans des revues spécialisées, des ouvrages devenus des best-sellers en vitrine des librairies … Ces stages concernent tous les âges de la vie et des psychothérapeutes souvent autoproclamés, ou autres énergéticiens, prétendent par leurs techniques nettoyer les neurones (sic) ou apprendre à des enfants à utiliser tous leurs neurones pour devenir plus tard des génies comme Einstein ou Léonard de Vinci (sic) !
Le monde du travail, par l’entremise de la formation continue, serait particulièrement concerné par ce marché. La loi de 1971, obligeant les entreprises à consacrer 1 % de leur masse salariale à la formation professionnelle, a très vite suscité des vocations de formateurs, attirés par un marché prometteur ; ils ont souvent été les promoteurs d’une idée qui s’est imposée depuis les années 70/80, à savoir que pour être efficaces, performants et gagnants, cadres et employés devaient se développer personnellement, se connaître, s’estimer. Dans certaines entreprises de tels stages sont même devenus des passages obligés.
Dans le milieu de la santé, les établissements de soins ont très tôt fait figurer ces mêmes stages de DP dans leurs plans de formation continue. Ce fut d’autant plus facile de faire admettre à des personnels soignants qu’ils devaient se soigner pour apprendre à soigner, que le plus souvent les contenus des formations se référaient aux soins par leur appellation de nouvelles thérapies. Le DP est aussi devenu un passage obligatoire dans certains cursus de formation initiale diplômante, notamment dans des instituts de formation professionnelle paramédicale pour de jeunes adultes.

Les caractéristiques des stages de développement personnel

On désigne par développement personnel (ou croissance personnelle) un ensemble de pratiques ayant pour finalité la connaissance et l’estime de soi pour mieux vivre et s’épanouir dans sa vie personnelle comme professionnelle.
Les stages de DP ont donc tous pour même objectif d’amener le client à la redécouverte de soi et à la libération de ses forces vives afin qu’il améliore sa vie et qu’il soit à la hauteur de son destin.
Très diverses, les pratiques font appel à de multiples méthodes. Les nouvelles thérapies, plus volontiers appelées actuellement psychotechniques, en constituent toujours des approches de choix, utilisées séparément, en alternance, ou combinées entre elles comme, par exemple, l’analyse transactionnelle et la gestalthérapie.
Elles sont en général groupales, le groupe étant considéré comme lieu de maturation du vrai moi (à la différence du coaching qui se pratique à titre individuel).
Elles se réclament autant de la psychologie que des spiritualités orientales, telle bouddhisme zen ; elles favorisent les expériences psychosensorielles et accordent à l’émotionnel plus d’importance qu’à la pensée et à la réflexion.
Ces psychotechniques visent à modifier des comportements et en cela, elles se démarquent délibérément de la psychanalyse, même si elles en récupèrent quelques concepts.
L’atteinte d’états modifiés de conscience peut être obtenue grâce aux psychotechniques, à des techniques venues d’Orient, mais aussi à l’aide de substances hallucinogènes : il existe des propositions de séjours en Amérique du Sud ou en Afrique, mais aussi en Europe, pour des stages de DP par la voie du chamanisme, avec usage de drogues dites enthéogènes 1 (telles l’ayahuasca ou l’iboga, interdites en France).
D’autres stages de DP proposent des activités très variées : techniques de relaxation, danses, cercles de parole, massages, musiques, art créatif comme la peinture sensitive etc. Les multiples activités proposées dans ces stages visent, selon leurs promoteurs, à libérer et épanouir le potentiel humain réprimé. Comme le disait une cadre américaine de Landmark Education 2 lors d’une émission à la télévision française : « pour des gens malades il y a la psychothérapie, mais le Forum a été inventé pour apprendre ce qu’est un être humain à des gens normaux ».

Les stages de DP ne sont pas sans risques

Prétendant apporter guérison et salut en postulant que chacun est un malade qui s’ignore, certains psychotechniciens introduisent une ambiguïté entre développement personnel et thérapie. Et le client venu pour une formation est abusé dès lors qu’on lui affirme qu’il doit se soigner pour exister 3 … d’autant que les psychotechniques mises en œuvre n’ont rien à voir avec les thérapies psychologiques conventionnelles et éprouvées. En dehors de cette ambiguïté, il existe certains risques qu’il est bon de connaître.
Déstabilisation dans un groupe de DP
Certains participants peuvent déjà se trouver en état de fragilité pour diverses raisons passagères ou chroniques et sont donc particulièrement vulnérables.
Il n’est pas rare, d’ailleurs, que des offreurs de stages de DP avertissent leurs clients potentiels qu’il vaut mieux être en bonne forme psychique pour s’inscrire. Précaution louable peut-être, mais qui doit alerter car il y a fort à penser que de réelles décompensations d’ordre psychique peuvent surgir au cours de séances bien entendu inadaptées pour régler des problèmes de pathologies mentales ou de troubles existentiels graves.
Dès lors que l’objectif du groupe est la découverte de soi, les participants sont amenés à dévoiler leur intimité ; cette mise à nu, face à un groupe en quelque sorte « voyeur », induit une vulnérabilité de chacun face aux réactions, individuelles ou collectives, des autres. Le rôle de l’animateur est alors prépondérant, et une éventuelle incapacité à gérer le groupe, à modérer les propos, à canaliser les réactions du groupe, représente un véritable danger.
Transformations et ruptures.
Posé comme un absolu, le « moi » s’hypertrophie de façon hédoniste et narcissique. La recherche du « moi transcendant » de la psychologie transpersonnelle, peut encore accentuer ce surinvestissement, dans une fréquente confusion du psychique et du spirituel.
La personne peut se replier sur une image surfaite d’elle, image que le groupe et son animateur peuvent lui renvoyer avec complaisance. Élu qui s’ignorait avant de rencontrer le groupe de DP, l’adepte inconditionnel du DP est désormais au-dessus des autres, de son entourage et de la société, d’où le risque d’une coupure dans son couple, sa famille et la société …
Une ambiance groupale chaleureuse et maternante peut devenir rassurante au point que certaines personnes y évoluent dans une réelle euphorie parce qu’on s’intéresse à elles comme nulle part ailleurs dans la vie de tous les jours (un groupe sectaire ne s’y prend d’ailleurs pas autrement). Et certains vont errer indéfiniment de groupes en groupes de DP pour retrouver cette sécurité du groupe.
Les pratiques visant au DP sont un canal de choix pour transmettre de façon insidieuse les idées du new âge, ses croyances et ses pratiques mystico-ésotériques, la confusion du psychique et du spirituel, sa fausse science basée sur l’astrologie et l’ère du Verseau, ses théories sur la santé et les maladies. Dans ces stages il n’est guère requis de penser, l’émotionnel étant considéré comme supérieur à la raison pour se connaître et se développer.
L’entourage qui essaye de comprendre les nouvelles « idées », et oppose aux nouvelles théories des arguments rationnels et concrets sur lesquels étaient jusqu’alors basées les relations, se voit parfois « éliminé » sans avoir eu le temps de réaliser ce qui lui arrivait.
L’exploitation du DP par les charlatans et les mouvements sectaires.
L’offre abondante de stages de développement personnel peut, par un effet de mode, créer un besoin artificiel. L’engouement pour le développement personnel incite beaucoup de charlatans à exploiter le marché pour s’enrichir sur le dos des gens qu’ils ont su séduire et persuader de s’engager dans une telle démarche.
Il arrive trop souvent qu’à la suite d’un stage de DP court (une dizaine de jours par exemple), un individu s’installe à son compte comme thérapeute et formateur avec des propositions d’autant plus ambitieuses qu’il est moins qualifié ! De telles situations peuvent facilement donner lieu à des abus, la manipulation remplaçant une vraie compétence professionnelle.
Les mouvements sectaires ne sont pas les derniers sur ce marché et le risque existe de tomber sous la dépendance d’un formateur qui sous couvert d’accompagnement et de prise en charge globale, deviendra la référence unique dans tous les domaines de la vie (personnelle, familiale, professionnelle, etc.). Comme le dit Michel Lacroix : « Il est tentant de passer d’une relation d’aide à une relation d’influence, et d’une relation d’influence à une relation d’autorité. » 4

Conclusion

Certes, on comprend que dans notre époque assez troublée par des pertes de repères, des déracinements de tous ordres, certains éprouvent du mal-être et s’interrogent sur leur condition humaine.
Mais la prudence s’impose car la découverte de soi n’est pas une simple formalité, et il faut se méfier de ceux qui se posent en révélateurs d’une personnalité humaine complexe par nature et toujours singulière.
Et surtout, s’en tenir à la seule approche psychologique risque de faire oublier que le développement de la personne est l’affaire de toute une vie d’adulte, par divers moyens puisés dans toute l’étendue de la culture ; pour certains ce sera peut-être tout simplement la remise à niveau de connaissances de base visant à une promotion sociale et/ou professionnelle, l’acquisition de nouveaux savoir-faire, et pour d’autres, l’approfondissement d’une pensée philosophique, scientifique ou religieuse, ou encore un engagement responsable dans la vie sociale et citoyenne.
Notes
1 Substance qui engendre Dieu ou l’Esprit à l’intérieur de soi (Source Wikipédia).
2 Entreprise de formation d’origine américaine, Landmark Education/Le Forum propose des stages de « transformation » de la personne qui peuvent être très déstabilisants. Cet organisme figure dans les rapports parlementaires français sur les sectes de 1996 et 1999. Voir Bulles n° 61, 1er trimestre 1999, Bulles n° 82, 2e trimestre 2004, p. 41.
3 Par exemple, la tarologie, très à la mode et souvent liée à la psychogénéalogie, propose le DP comme remède … à des troubles dont les causes, oubliées mais révélées par les cartes, seraient imputables à l’entourage proche.
4 Le développement personnel, Flammarion (Dominos), 2000.
Émanation du nouvel âge, le développement personnel a sa source dans le Mouvement de développement du potentiel humain né à l’Institut Esalen, en Californie, dans les années soixante. C’est là qu’Abraham Maslow crée d’abord la psychologie humaniste, dont le but est l’épanouissement de l’homme et sa réalisation totale par la prise en compte de toutes ses dimensions ; de cette discipline. après la rencontre de Maslow et du psychiatre tchèque Stanislav Grof, naît la psychologie transpersonnelle (au-delà de la personnalité). Intégrant la psychologie humaniste et les traditions mystiques orientales ou chamaniques, elle s’intéresse aux états modifiés de conscience, susceptibles de transformer la personne sur tous les plans, de l’amener à vivre l’expérience de la dimension divine (« le dieu qu’elle est au plus profond d’elle-même »). Dans cette optique de transformation de l’individu, le développement personnel propose à ceux qui le désirent un mieux-être rapide, grâce à un certain nombre de techniques.
Revue « Bulles » n° 101, mars 2009
Unadfi, 130 rue de Clignancourt
75018 Paris