L’Esprit Saint renouvelle le don réciproque des époux

Du Père Raniero Cantalamessa, dans son livre « Viens Esprit Créateur » (Éd des Béatitudes, 2008) au chapitre 5.

L’ESPRIT NOUS ENSEIGNE À FAIRE DE NOTRE VIE UN DON

S’il est un état de vie dans lequel le don revêt une importance particulière, c’est bien le mariage. Le mariage occupe une place singulière dans le mouvement de « sortie des créatures de Dieu » et dans celui du « retour des créatures à Dieu » ; c’est pour cela que l’Esprit Saint occupe une place si spécifique dans le mariage.

L’acte constitutif du mariage est le don réciproque de son propre corps (dans le langage biblique, de toute la personne) au conjoint. Comme dans tout acte de donation, le mari ne dispose plus de son corps, mais sa femme, à qui il s’est donné, et réciproquement (cf. 1 Co 7, 4). Jean-Paul II, dans une catéchèse du mercredi, disait ceci :

« Ainsi le corps humain, marqué du sceau de la masculinité ou de la féminité […], n’est pas seulement source de fécondité et de procréation mais il contient, depuis « l’origine » l’attribut « conjugal », c’est-à-dire la capacité d’exprimer l’amour : cet amour, justement, par lequel l’homme-personne devient don et par l’intermédiaire de ce don réalise le sens même de son essence et de son existence [1]. »

Puisqu’il est le sacrement du don, le mariage est par nature un sacrement ouvert à l’action de l’Esprit Saint. Comment l’Esprit Saint sanctifie-t-il le mariage ? Non pas de l’extérieur, mais de l’intérieur, dans son noyau le plus profond, que nous avons rappelé. C’est la présence sanctifiante de l’Esprit Saint qui fait de lui un sacrement. L’Esprit, qui agit dans tous les couples comme « Esprit créateur » à travers le désir de l’autre, agit dans le mariage chrétien comme « Esprit rédempteur » ou de la grâce, qui s’exprime dans le don généreux de soi, imitation du don réciproque du Christ et de l’Église.

L’Esprit Saint pénètre et sanctifie non seulement la « célébration » ou le rite du mariage, mais sa réalité quotidienne. Il n’est pas seulement présent aux noces, mais dans chaque instant et dans chaque geste de donation réciproque, notamment dans l’acte conjugal qui en constitue le moment le plus fort. Dans l’Antiquité, certaines personnes, influencées par les prescriptions judaïques sur la pureté rituelle, voulaient empêcher les époux de s’approcher des sacrements après leurs rapports intimes, considérant que l’Esprit Saint s’était alors éloigné d’eux. Une source canonique qui fait autorité a réagi énergiquement contre cette pratique :

« À travers le baptême, les époux ont reçu l’Esprit Saint, qui reste toujours auprès de ceux qui font œuvre de justice et ne les abandonne certainement pas au motif de leurs rapports conjugaux, mais il demeure toujours auprès de ceux qui le possèdent et il les garde sous sa protection [2]. »

Si nous interrogeons la Tradition à la lumière de ces développements, nous y trouvons une confirmation particulière. La théologie latine du don a entrevu ce lien très étroit entre l’Esprit Saint et l’amour conjugal, mais l’a développé dans un seul sens. Elle est partie du symbole — l’amour humain des époux — pour illustrer la réalité, c’est-à-dire l’Esprit Saint. Saint Hilaire le premier a relié les deux concepts de « don » et de « jouissance » quand il écrit : « L’infinité dans l’Éternel (le Père), la visibilité dans l’Image (le Fils), la jouissance (fruitio) dans le Bienfait (le Saint-Esprit) [3]. » Augustin a développé cette intuition :

« Cette ineffable union du Père et de son Image n’est donc pas sans jouissance, sans amour, sans joie. Et c’est cet amour, cette délectation, cette félicité ou béatitude — si aucune de ces expressions humaines est digne — qu’Hilaire appelle d’un seul mot, jouissance, c’est-à-dire : l’Esprit Saint dans la Trinité, non engendré, mais doux lien de celui qui engendre et de celui qui est engendré, se répandant avec générosité et abondance sur toutes les créatures dans la mesure de leur capacité, afin que chacune soit dans l’ordre et se tienne à sa place [4]. »

À la lumière de ce texte merveilleux, il apparaît que toute la douceur et la joie que l’on peut connaître sur la terre ne sont qu’un reflet ou une sorte de halo lumineux de l’union trinitaire.

À partir de là, les écrivains latins évoquent communément l’Esprit Saint à travers les images conjugales de l’union intime et du baiser. Saint Ambroise note ceci : « Le baiser est plus que le simple contact des lèvres ; c’est le désir de s’infuser l’un à l’autre leur souffle [5]. » Et saint Bernard d’ajouter : « Qu’est l’Esprit Saint sinon le baiser que le Père et le Fils se donnent mutuellement [6] ? » À ce sujet, voici ce qu’écrit un auteur du Moyen-Âge, Aelred de Rievaulx :

« Cette dilection réciproque, cet amour si doux, cette heureuse union, cet amour béatifique, dans lequel le Père se repose en son Fils et le Fils en son Père ; cet imperturbable repos, cette incomparable beauté, cette inséparable unité, cette union de deux choses en une : nous disons que tout cela est le doux, suave, joyeux et saint Esprit [7]. »

Nous voyons que ce symbolisme est utilisé seulement dans la direction du symbole à la réalité, car il tente d’éclairer la personne de l’Esprit Saint en partant des gestes conjugaux du baiser et du rapport amoureux. Mais il est possible de l’utiliser aussi dans la direction opposée, c’est-à-dire en partant de l’Esprit Saint comme don de Dieu pour mettre en lumière le sens profond de l’amour conjugal humain. L’auteur cité disait au sujet de l’union divine qu’elle est bonheur, amour, repos, paix, douceur, pleine satisfaction, fusion parfaite dans l’unité. Mais cela n’est-il pas l’aspiration de tous les époux lorsqu’ils s’unissent par un vrai amour ?

L’union charnelle en elle-même est impuissante à réaliser tout cela, comme le disait déjà, en termes crus mais efficaces, le poète païen Lucrèce [8]. Si le mauvais amour d’agression et de possession s’élève à l’amour de don (ce que l’Esprit Saint enseigne), l’intimité pourra réaliser entre les époux cette douce unité de paix, pâle reflet sur terre de l’union divine dans l’Esprit.

L’Esprit Saint, comme don de Dieu, nous offre la base d’une théologie du plaisir, capable de sauver, au moins en principe, cette expérience humaine, de l’ambiguïté qui pèse sur elle. Le même poète païen constatait ce qui arrive dans toute expérience de plaisir, particulièrement dans le plaisir charnel : « Du milieu même de la source des plaisirs surgit l’amertume et l’épine déchirante sort du sein brillant des fleurs [9]. »

Plaisir et douleur se succèdent dans l’expérience humaine comme les maillons indissociables d’une chaîne. Dans la lumière de la Trinité, le plaisir nous apparaît comme le compagnon inséparable du don, et, tant que nous sommes dans cette vie, du sacrifice que comporte le don. Dans ce cas, le plaisir suit la souffrance comme un fruit, il ne le précède pas comme une cause. C’est le plaisir qui a le dernier mot, et non la douleur et l’angoisse. Et la joie qui accompagne le don réciproque des époux devrait être de cette nature, comme un petit reflet de ce qui se passe dans la Trinité, où l’Esprit Saint est justement « la jouissance du don ».

Je n’ai pas cherché à établir une belle théorie du mariage. Ici aussi, l’expérience a précédé la théorie et en constitue la meilleure confirmation. L’Esprit Saint, qui renouvelle toutes choses, a montré qu’il sait renouveler le mariage, tellement marqué par la faiblesse et le péché. L’un des fruits les plus visibles du passage de l’Esprit Saint consiste en la « revitalisation » des mariages morts ou éteints. Le mariage, dit Paul, est un charisme (cf. 1 Co 7, 7) et, comme tous les charismes, il se rallume au contact de la flamme dont il provient.

Écoutons des témoignages directs qui parlent davantage que tout autre argument. Voici ce que dit le mari :

« Mon épouse et moi reconnaissons que l’Esprit Saint est l’âme de notre mariage, c’est-à-dire ce qui nous donne la vie, de même qu’il est l’âme de l’Église. Quand nous nous fiançâmes, nous décidâmes de réciter chaque jour la Séquence de Pentecôte : « Viens, Esprit Saint » et durant ces vingt-deux années, à quelques exceptions près, nous nous sommes toujours efforcé de le faire et nous espérons continuer, jusqu’à ce que la mort nous sépare. »

Et voici ce que déclare l’épouse :

« Le moment d’intimité n’est pas différent pour moi des autres moments de la vie où je me laisse conduire par l’Esprit. Dans notre vie de couple, nous passons naturellement des moments d’intimité à la conversation, à la prière ou au silence ; il n’y a pas de fracture entre les deux. Au lieu de considérer que certains moments, comme la messe dominicale, sont « pour Dieu » et que d’autres, comme l’intimité conjugale, sont « pour nous », tout est pour Dieu, tout est vécu librement et consciemment en sa présence. L’Esprit Saint n’est pas seulement la source de nos manifestations de tendresse lorsque vient « le temps d’embrasser », mais aussi celui qui nous fait grandir dans l’amour réciproque quand vient le « temps de s’abstenir d’embrassements » (cf. Sg 3, 5), surtout maintenant que nous ne sommes plus tout jeunes. »

Notre méditation sur l’Esprit Saint « très haut don de Dieu » fait naître une espérance pour tous les couples chrétiens, pas seulement pour ceux qui ont reçu visiblement des dons particuliers comme ces époux qui y ont répondu avec générosité. Le temps, la pauvreté humaine et surtout l’incapacité d’aimer tendent souvent à réduire les conjoints et leur mariage à des « ossements desséchés ». C’est donc à eux que Dieu s’adresse lorsqu’il promet : « Ossements desséchés — conjoints arides ! -, écoutez la parole du Seigneur… Je mettrai en vous mon esprit et vous vivrez ! » (Ez 37, 4.14.) L’Esprit Saint veut répéter en chaque couple le miracle des noces de Cana : transformer l’eau en vin ; l’eau de la routine, de l’affadissement et de la froideur, dans le vin enivrant de la nouveauté et de la joie. Il est lui-même le vin nouveau.

En outre, la plus belle chose que l’Esprit Saint enseigne aux époux chrétiens ne concerne pas seulement la manière de valoriser pleinement leur mariage, mais surtout la manière de le transcender. « Tout ce qui est périssable n’est qu’une apparence » ; au ciel seulement, « l’inaccessible est atteint, l’indescriptible est réalisé [10] ». Le mariage fait partie de ces choses qui passeront avec la figure de ce monde (cf. 1 Co 7,31). Ce serait une grave erreur de l’instituer en absolu dont on ferait dépendre tout le reste et qui mesurerait la réussite ou l’échec de sa vie. Ce serait surcharger le mariage d’attentes qu’il ne pourra jamais combler et, donc, vouer le mariage à un inévitable échec. La pleine fusion, l’unité parfaite, le don complet, l’inaccessible ne sera atteint pour toujours qu’en Dieu seul.

Confions à l’Esprit Saint tous les couples de l’humanité afin qu’ils soient renouvelés dans leur don réciproque.


[1] JEAN-PAUl. Il, Catéchèse Le don dans la liberté de l’amour (16 janvier 1980), dans l.a Documentation catholique 77 (1980), p. 162.

[2] Didascalie des Apôtres, XXVI, éd. R. H. Connolly, Oxford 1969, p. 242.

[3] HILAIRE DE POITIERS, La Trinité, II, 1 (CC 62, p. 38), SC 443, p. 277.

Ibid., IV, 1129 s.

[4] AUGUSTIN, La Trinité, VI, 10, 11.

[5] AMBROISE, Isaac et l’âme, 3, 8 (CESL 32, p. 648).

[6] BERNARD, Sermons divers, 89, 1 (Ed. Cistercienne, VI, I, p. 336) ; cf. ISAAC DE L’ÉTOILE, Sermons III, 45, 12 (SC 339, p. 105).

[7] AELRED DE RIEVAULX, Le miroir de la charité, l, 20, 57 (CM 1, p. 36).

[8] LUCRÈCE, De la nature des choses, IV, 1104 s.

[9] Ibid., IV, 1129 s.

[10] W. GOETHE, Faust, Deuxième partie, final.