La véritable conversion pastorale selon le pape François

Lors de son voyage au Brésil pour les JMJ, le pape François a rencontré les évêques responsables du CELAM, le Conseil Épiscopal Latino-Américain, à l’occasion de la réunion générale de coordination, le dimanche 28 juillet, au Centre d’Études de Sumaré, à Rio de Janeiro. À partir du « Document d’Aparecida », le pape François a identifié les tentations auxquelles les évêques doivent résister pour un vrai renouveau de l’Eglise et un renouveau de la mission en Amérique latine et aux Caraïbes. Il a insisté sur le renouveau de l’Eglise et la rencontre avec le monde actuel, et notamment sur le rôle des laïcs, mettant en garde contre la « cléricalisation » des laïcs, invitant à les laisser grandir dans leur maturité de mission. « Nous sommes en retard », a dit le pape a différentes reprises. Il a conclu en disant: « J’ai voulu vous parler d’évêque à évêques ».

Le deux derniers points cités ci-dessous, illustrent la CONVERSION PASTORALE à laquelle l’Église est appelée, et cela dépasse bien sûr les limites du continent latino-américain. Vous pouvez trouver le texte complet ici sur le site du Vatican

4. Quelques tentations du disciple missionnaire

L’option missionnaire du disciple sera soumise à des tentations. Il est important de savoir comprendre la stratégie de l’esprit mauvais pour nous aider dans le discernement. Il ne s’agit pas de sortir pour chasser les démons, mais seulement de lucidité et de ruse évangélique. Je mentionne seulement quelques attitudes qui configurent une Église « tentée ». Il s’agit de connaître certaines propositions actuelles qui peuvent se dissimuler dans la dynamique du disciple missionnaire et arrêter, jusqu’à le faire échouer, le processus de conversion pastorale.

1. L’idéologisation du message évangélique. Il y a une tentation qui s’est rencontrée dans l’Église dès l’origine : chercher une herméneutique d’interprétation évangélique en dehors du message de l’Évangile lui-même et en dehors de l’Église. Un exemple : Aparecida, à un certain moment, a connu cette tentation sous forme d « asepsie ». On a utilisé, et c’est bien, la méthode du « voir, juger, agir » (Cf. n. 19). La tentation résidait dans le fait de choisir un « voir » totalement aseptique, un « voir » neutre, lequel est irréalisable. Le voir est toujours influencé par le regard. Il n’y a pas d’herméneutique aseptisée. La demande était alors : avec quel regard voyons-nous la réalité ? Aparecida a répondu : avec le regard du disciple. C’est ainsi que se comprennent les n. 20 à 32. Il y a d’autres manières d’idéologiser le message et, actuellement, apparaissent en Amérique Latine et dans les Caraïbes des propositions de cette nature. J’en mentionne seulement quelques unes :

a)  La réduction socialisante. C’est l’idéologisation la plus facile à découvrir. A certains moments elle a été très forte. Il s’agit d’une prétention interprétative sur la base d’une herméneutique selon les sciences sociales. Elle recouvre les champs les plus variés : du libéralisme de marché aux catégories marxistes.

b)  L’idéologisation psychologique. Il s’agit d’une herméneutique élitiste qui, en définitive, réduit la « rencontre avec Jésus-Christ », et son développement ultérieur, à une dynamique d’auto-connaissance. On la rencontre habituellement dans les cours de spiritualité, les retraites spirituelles, etc. Il finit par en résulter un comportement immanent autoréférentiel. On ne sent pas de transcendance, ni par conséquent, de comportement missionnaire.

c) La proposition gnostique. Assez liée à la tentation précédente. On la rencontre habituellement dans des groupes d’élites faisant la proposition d’une spiritualité supérieure, assez désincarnée, et qui conduit à faire de « questions disputées » des attitudes pastorales. Ce fut la première déviation de la communauté primitive, et elle est réapparue, au cours de l’histoire de l’Église, sous des versions revues et corrigées. On les appelle vulgairement « catholiques des Lumières » (parce qu’ils sont héritiers de la culture des Lumières).

d) La proposition pélagienne. Elle apparait fondamentalement sous la forme d’une restauration. Devant les maux de l’Église, on cherche une solution seulement disciplinaire, par la restauration de conduites et des formes dépassées qui n’ont pas même culturellement la capacité d’être significatives. En Amérique Latine, on la rencontre dans des petits groupes, dans quelques Congrégations religieuses nouvelles qui recherchent une « sécurité » doctrinale ou disciplinaire. Elle est fondamentalement statique, même si elle promet une dynamique ad intra, qui retourne en arrière. Elle cherche à « récupérer » le passé perdu.

2. Le fonctionnalisme. Son action dans l’Église est paralysante. Il s’enthousiasme davantage pour la « feuille de route du chemin » que pour la réalité du chemin. La conception fonctionnaliste n’accepte pas le mystère, elle regard à l’efficacité. Elle réduit la réalité de l’Église à la structure d’une ONG. Ce qui importe c’est le résultat constatable et les statistiques. De là on va à toutes les manières d’entrepreneurs de l’Église. Elle constitue une sorte de « théologie de la prospérité » dans l’organisation de la Pastorale.

3. Le cléricalisme est aussi une tentation très actuelle en Amérique Latine. Curieusement, dans la majorité des cas, il s’il agit d’une complicité pécheresse : le curé cléricalise, et le laïc lui demande à être cléricalisé, parce que c’est finalement plus facile pour lui. Le phénomène du cléricalisme explique, en grande partie, le manque de maturité et de liberté chrétienne dans une bonne part du laïcat latino-américain. Ou bien il ne grandit pas (la majorité), ou bien il se blottit sous les couvertures des idéologisations, dont nous avons parlé, ou dans des appartenances partielles et limitées. Il existe, dans nos régions une forme de liberté des laïcs à travers des expériences de peuple : le catholique comme peuple. Ici on voit une plus grande autonomie, saine en général, qui s’exprime fondamentalement dans la piété populaire. Le chapitre d’Aparecida sur la piété populaire décrit en profondeur cette dimension. La proposition des groupes bibliques, des communautés ecclésiales de base et des conseils pastoraux vont dans le sens d’un dépassement du cléricalisme et d’une croissance de la responsabilité des laïcs.

Nous pourrions continuer en décrivant quelques autres tentations contre la condition de disciple missionnaire, mais je crois que celles-ci sont les plus importantes et ont la plus grande force en ce moment en Amérique Latine et dans las Caraïbes.

5. Quelques critères ecclésiologiques

1. La condition de disciple missionnaire qu’Aparecida propose aux Églises d’Amérique Latine et des Caraïbes est le chemin que Dieu veut pour « aujourd’hui ». Toute projection utopique (vers le futur) comme toute restauration (vers le passé) ne sont pas de l’esprit bon. Dieu est réel et se manifeste dans l’ « aujourd’hui ». Vers le passé, sa présence se donne à nous comme « mémoire » de la grande œuvre du salut aussi bien dans son peuple, qu’en chacun de nous ; vers le futur elle se donne à nous comme « promesse » et espérance. Dans le passé Dieu a été présent et a laissé ses traces : la mémoire nous aide à le rencontrer. Dans le futur il est seulement promesse…et il n’est pas mille et un « futuribles ». L’ « aujourd’hui » est ce qui ressemble le plus à l’éternité ; mieux encore : l’ « aujourd’hui » est étincelle d’éternité. Dans l’« aujourd’hui » se joue la vie éternelle.

La condition de disciple missionnaire est vocation : appel et invitation. Elle a lieu dans un « aujourd’hui » mais « en tension ». Il n’existe pas de condition de disciple missionnaire statique. Le disciple missionnaire ne peut pas se posséder lui-même, son immanence est en tension vers la transcendance de la condition de disciple et vers la transcendance de la mission. Elle n’admet pas l’auto-référentialité : ou elle se réfère à Jésus-Christ, ou elle se réfère au peuple auquel elle doit annoncer. Sujet qui se dépasse. Sujet projeté vers la rencontre : la rencontre avec le Maître (qui nous fait disciples) et la rencontre avec les hommes qui attendent l’annonce.

C’est pourquoi j’aime dire que la position du disciple missionnaire n’est pas une position de centre mais de périphéries : il vit en tension vers les périphéries… y compris celles de l’éternité dans la rencontre avec Jésus Christ. Dans l’annonce évangélique, parler de « périphéries existentielles » décentre et nous avons habituellement peur de quitter le centre. Le disciple missionnaire est un « décentré » : le centre est Jésus Christ, qui convoque et envoie. Le disciple est envoyé aux périphéries existentielles.

2. L’Église est institution, mais quand elle s’érige en « centre », elle tombe dans le fonctionnalisme et, peu à peu, elle se transforme en une ONG. L’Église prétend alors avoir sa propre lumière et cesse d’être ce « misterium lunae » dont nous parlent les saints Pères (de l’Église). Elle devient de plus en plus autoréférentielle et sa nécessité d’être missionnaire s’affaiblit. D’« Institution » elle se transforme en « Œuvre ». Elle cesse d’être Épouse et finit par être Administratrice ; de Servante elle se transforme en « Contrôleuse ». Aparecida veut une Église Épouse, Mère, Servante, une Église qui facilite la foi et non pas une Église qui la contrôle.

3. À Aparecida, on a de manière importante deux catégories pastorales qui émergent de l’originalité même de l’Évangile et qui peuvent aussi nous servir de critère pour évaluer comment nous vivons de manière ecclésiale en disciples missionnaires : la proximité et la rencontre. Aucune des deux n’est nouvelle, mais elles constituent la modalité par laquelle Dieu s’est révélé dans l’histoire. Il est le « Dieu proche » de son peuple, une proximité qui atteint son sommet dans l’incarnation. Il est le Dieu qui sort à la rencontre de son peuple. En Amérique Latine et dans les Caraïbes il y a des pastorales « éloignées », des pastorales disciplinaires qui privilégient les principes, les conduites, les procédures organisatrices…. évidemment sans proximité, sans tendresse, sans caresse. On ignore la « révolution de la tendresse » qui provoqua l’incarnation du Verbe.

Il y a des pastorales organisées avec une telle dose de distance qu’elles sont incapables d’arriver à la rencontre : rencontre avec Jésus Christ, rencontre avec les frères. De ce type de pastorales, on peut attendre au maximum une dimension de prosélytisme, mais elles ne conduisent jamais ni à l’insertion ecclésiale, ni à l’appartenance ecclésiale. La proximité crée communion et appartenance, rend possible la rencontre. La proximité acquiert des formes de dialogue et crée une culture de la rencontre. L’homélie est une pierre de touche pour calibrer la proximité et la capacité de rencontre d’une pastorale. Comment sont nos homélies ? Sont-elles proches de l’exemple de notre Seigneur, qui « parlait avec autorité » ou sont-elles simplement théoriques, éloignées, abstraites ?

4. Celui qui conduit la pastorale, la Mission continentale (aussi bien programmatique que paradigmatique), est l’Évêque. L’Évêque doit conduire, ce qui n’est pas la même chose que se comporter en maître. Outre à souligner les grandes figures de l’épiscopat latino-américain que nous connaissons tous, je désire ajouter ici certaines lignes sur le profil de l’évêque que j’ai déjà dites aux Nonces dans la réunion que nous avons eu à Rome. Les évêques doivent être pasteurs, proches des gens, pères et frères, avec beaucoup de mansuétude ; patients et miséricordieux. Hommes qui aiment la pauvreté, aussi bien la pauvreté intérieure comme liberté devant le Seigneur, que la pauvreté extérieure comme simplicité et austérité de vie. Hommes qui n’aient pas la « psychologie des princes ». Hommes qui ne soient pas ambitieux mais qui soient époux d’une Église locale sans être dans l’attente d’une autre.

Hommes capables de veiller sur le troupeau qui leur a été confié et d’avoir soin de tout ce qui le tient uni : veiller sur leur peuple avec attention, sur les éventuels dangers qui le menacent, mais surtout pour faire grandir l’espérance : qu’ils aient du soleil et de la lumière dans leurs cœurs. Hommes capables de soutenir avec amour et patience les pas de Dieu au milieu de son peuple. Et la place de l’Évêque pour être avec son peuple est triple : ou devant pour indiquer le chemin, ou au milieu pour le maintenir uni et neutraliser les dispersions, ou en arrière pour éviter que personne ne reste derrière, mais aussi, et fondamentalement, parce que le troupeau même ait son propre flair pour trouver de nouvelles routes.

Je ne voudrais pas abonder en d’autres détails sur la personne de l’Évêque, mais simplement ajouter, en m’incluant dans cette affirmation, que nous sommes un peu en retard en ce qui concerne la Conversion pastorale. Il est opportun que nous nous aidions un peu plus à faire les pas que le Seigneur veut pour nous dans cet « aujourd’hui » de l’Amérique Latine et des Caraïbes. Et il serait bien de commencer par là.

NB :  « Conversion pastorale », ce mot est tiré du Document d’Aparecida; le pape disait la veille aux évêques brésiliens : À propos de la conversion pastorale je voudrais rappeler que « pastoral » n’est pas autre chose que l’exercice de la maternité de l’Église. Celle-ci engendre, allaite, fait grandir, corrige, alimente, conduit par la main… Il faut alors une Église capable de redécouvrir les entrailles maternelles de la miséricorde. Sans la miséricorde il est difficile aujourd’hui de s’introduire dans un monde de « blessés » qui ont besoin de compréhension, de pardon, d’amour.