Qui ternirait par l’éclat des miracles la gloire de la croix, ne serait plus chrétien

En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi fera, lui aussi, les œuvres que je fais; et il en fera même de plus grandes, parce que je vais vers le Père. (Jésus en Jean 14,12)

Voici ce qu’il nous annonce: celui qui croit en lui fera les mêmes œuvres que lui. Il les fera, parce que le Seigneur vivra en lui. Et plus il vit dans un homme, plus celui-ci sera capable de faire les œuvres du Seigneur. Car la force qui se manifeste dans ces œuvres est la puissance divine. Elle n’est pas une puissance limitée, adaptée à la relativité de notre nature créée, mais une puissance absolue, souveraine. Elle est à la fois une puissance de la foi, de la confiance et de l’amour. Le Seigneur la possède en toute plénitude, si pleinement qu’il la fait naître dans toute œuvre. Et si nous possédions cette même foi, nous pourrions accomplir, nous aussi, ses œuvres, telles qu’il les accomplit. Nous pourrions vraiment faire les mêmes œuvres que lui. Mais nous ne pouvons le faire que si nous croyons, c’est-à-dire si nous avons sa foi. Car la foi qu’il nous donne est la sienne. C’est une foi qui est plus forte que tout, plus forte que le monde et que toutes les lois du monde. Il n’est nulle loi de ce monde, si rigide et impitoyable qu’elle soit, qui ne puisse être dépassée et brisée par la puissance de la foi. Si on voulait définir cette puissance, on devrait dire qu’elle ne connait pas d’autres limites que celles de Dieu, et Dieu est illimité. Qui croit en Dieu, dispose de Dieu. S’il croit vraiment, il possède ce que Dieu possède. S’il n’est qu’au début de sa foi, il possède certaines qualités qui proviennent de Dieu. Le trait principal de ces qualités, c’est qu’elles ne cessent d’éclater et de se dilater pour déboucher dans l’infini. A quoi ressemble cet infini, c’est impossible à dire ; la seule chose claire, c’est que toutes les barrières actuelles sont franchies; que toutes les lois de l’espace et du temps, de la physique, de la biologie et de la psychologie ne comptent plus là où le miracle commence. Celui qui croit sait faire les œuvres de Dieu. Mais au lieu de les faire, il vaut mieux ne pas les faire, c’est-à-dire ne pas les faire soi-même, afin de les laisser faire par Dieu. Ne pas les faire de sa propre initiative et par décision personnelle, mais en confiant l’initiative et la décision à Dieu. Le Seigneur, au cours de sa vie, n’a fait que très peu de miracles par rapport à ce qu’il aurait pu faire. Dans ce domaine, il s’est restreint autant que possible. C’est dans cette restriction que se situe l’œuvre de Dieu. Cette réserve n’est pas simplement une limitation extérieure, une modération morale. Elle a son origine entièrement dans l’invisibilité du Père. Le Seigneur aurait pu, avec la plus grande facilité, guérir tous les malades sur terre. Et ceux qui croient vraiment pourraient le faire aussi. Mais puisqu’ils ne cherchent que la volonté de Dieu et ne désirent rien faire par eux-mêmes, ils font l’œuvre de Dieu, plutôt en s’abstenant de faire des miracles, qu’en en faisant. Ils sont pareils au Seigneur, quant à son attitude réservée. L’essentiel concernant les miracles consiste dans cette réserve. Car le miracle principal de Dieu sur terre, c’est la croix. Qui ternirait par l’éclat des miracles la gloire de la croix, ne serait plus chrétien. Les miracles ne sont que des signes de Dieu, ils ne sont pas plus que des indications et des allusions discrètes : qu’il y a encore plus grand. C’est seulement sous le signe de la croix que des miracles peuvent se faire. Ils ne sont jamais de hauts faits parfaits et achevés, mais toujours des questions posées à ceux qui sont capables d’écouter et de voir : Que faut-il croire ici, où est Dieu en ce cas? Qu’est-ce que sa grâce, son exigence? Ils servent à glorifier Dieu, mais à une glorification qui doit susciter la foi du prochain en face du miracle. Les miracles sont des poteaux indicateurs; moins encore : ils font voir un chemin caché, ils sont un contact, – non pas entre l’instrument qui opère le miracle et Dieu -, mais entre celui qui doit être touché par le miracle et Dieu. Il faut qu’ils soient délicats, comme l’est tout effleurement divin, qu’ils ne déchirent rien. On n’aura aucun égard pour l’instrument du miracle, mais tout égard pour celui qui en est le témoin et qui doit être incité à la foi, à l’amour et à l’espérance.

A. Von Speyr, Jean, le discours d’adieu, I, Lethielleux, 1982, p. 139-141