L’art d’utiliser ses fautes

Un article de Joseph Tissot dans Feu et Lumière n° 291, févr. 2010

Et s’il existait un art d’utiliser ses fautes ? Joseph Tissot, missionnaire de Saint François de Sales, a mis à la portée de tous la doctrine du Fondateur de la Visitation, particulièrement dans notre rapport au péché. François de Sales, appelé l’apôtre de la douceur, nous confie un enseignement riche, rempli d’humanité et de douceur. Mettons-nous à son école.

Une faute, une faiblesse, un péché – graves ou non – peuvent parfois provoquer en nous d’obscurs sentiments : culpabilité, honte, tristesse, découragement… La bonne nouvelle est qu’aucune de ces attitudes n’est demandée par l’Évangile ! Nous nous laissons souvent entraîner dans bien des pièges, et des mensonges. L’art d’utiliser ses fautes est simple : comprendre que nos fautes et nos faiblesses, loin de nous éloigner de Dieu, peuvent nous en rapprocher. Bienheureuse et consolante vérité ! Laissons-nous convaincre, pour répandre à notre tour cette bonne nouvelle autour de nous.

Ne pas se décourager

François de Sales commence par relever une question : pourquoi suis-je abattu et découragé après une faute ? Je peux ressentir de la lourdeur, de la culpabilité, de la honte, même me sentir comme paralysé, incapable de me relever. Rien à voir avec la Vie ! L’homme, suite à son péché, est-il tout de suite découragé ? Non, il y a une étape intermédiaire, souvent inaperçue à nos yeux : l’étonnement d’avoir pu commettre cette faute.

Il est provoqué par notre amour-propre. Même silencieux, il est toujours là, prêt à surgir au moment venu. St François le compare à un renard qui sait attendre et guetter sans se faire voir, et bondir tout à coup sur sa proie … la prenant par surprise. Il ouvre ensuite la porte à une stratégie du démon ; la fausse tristesse. S’inquiéter et se lamenter sont deux attitudes qui nous signalent la présence encore forte de l’amour-propre. « Si j’avais su … – Pourtant. – Comment ai-je pu … ?»; dans tout cela il n’y a rien d’intéressant pour Dieu. Non, il faut se relever, avec douceur, sans agitation, mais se relever. Après une faute, « dites à votre âme : Eh bien ! Nous avons fait un faux pas ; allons maintenant tout doucement, et prenons garde à nous. Et toutes les fois et aussi souvent que vous tomberez, faites-en de même. »

Apprenons à distinguer deux sortes de tristesse, selon ce qu’elles créent en nous comme dispositions. « La tristesse qui est selon Dieu produit la pénitence pour le salut ; la tristesse du monde produit la mort. » (2 Co 7, 10) Il y a deux bonnes conséquences à la tristesse : la miséricorde et la pénitence. Par contre, six sont mauvaises : angoisse, paresse, indignation, jalousie, envie et impatience. Peu importe que la faute soit grave ou légère, nous tombons souvent dans ces pièges. « Faut-il fuir le mal, il faut que ce soit paisiblement, sans nous troubler ; car autrement, en fuyant, nous pourrions tomber, et donner loisir à l’ennemi de nous tuer … Même la pénitence, il faut la faire paisiblement. »

Se connaître

Combattre le mal n’est rien de moins qu’une guerre Commettre le péché, c’est comme perdre une bataille, c’est-à-dire un moment précis de cette guerre, mais il y a de multiples batailles dans une guerre … La victoire finale est déjà acquise ! St Jean Chrysostome affirmait « Ceux-là seuls ne sont jamais blessés qui ne combattent jamais. Ceux qui se lancent avec ardeur contre l’ennemi sont le plus souvent frappés. »

St François exhorte les croyants à relever sans cesse leur cœur en « s’humiliant beaucoup devant Dieu (…) sans vous étonner de votre chute, puisque ce n’est pas chose étonnante que l’infirmité soit infirme, et la faiblesse faible, et la misère chétive. » Cela nous permet peu à peu d’ancrer en nous le premier degré d’humilité : connaître notre faiblesse.

Après une faute qu’elle soit grande ou petite, le démon s’immisce en nous avec de nombreux arguments. Il veut déposer dans notre cœur deux dispositions : l’éloignement de Dieu par le péché, et la peur de Dieu par le découragement.

Le remède est simple : la confiance, toujours la confiance. « C’est par l’espérance que nous sommes sauvés. » (Rm 8, 24) Soyons-en convaincus : Dieu n’aime pas nos fautes, mais il nous aime malgré elles.

St François décompose pour nous ce processus bien humain. Le pécheur est tombé pour avoir méconnu sa faiblesse, et exagéré la miséricorde de Dieu. Après la chute, c’est l’inverse. On exagère alors sa faiblesse, ou on méconnaît la miséricorde de Dieu ; parfois les deux ! « Rien n’est jamais fait, il faut toujours recommencer et recommencer de bon cœur. »

S’incliner

La vie chrétienne ne consiste pas simplement à éviter le péché, ou les pièges qui en découlent. Elle consiste aussi à construire … Les mots-clefs dans ce domaine sont : humilité et espérance.

S’il nous arrive de tomber et chuter, c est parce que nous étions trop haut ; si nous nous éloignons de Dieu, ce n’est pas parce que Lui nous délaisse, mais parce nous lui tournons le dos. Si nous sommes des chrétiens tristes, accablés par le péché, la culpabilité : ce ne sont pas des fruits de l’Esprit Saint. Non, tout cela à un nom : l’orgueil.

« L’orgueil est, par nature, le pire de tous les péchés, plus grave que l’infidélité, le désespoir, l’homicide, la luxure, etc. » affirme saint Thomas (quest. 162, art. 6). Le fondement même de l’orgueil est le mépris de Dieu.

En réponse à cette tentation, forgeons-nous un cœur libre : savoir toujours se tourner vers Dieu avec reconnaissance, quels que soient nos actes. Toujours. Parce que cette faute nous éclaire sur nous, parce que nous sommes sûrs de Sa miséricorde, et en marche vers la sainteté.

Laissons jaillir notre reconnaissance. Elle est dans notre vie comme une lampe témoin de notre attachement à Dieu. Ne plus être reconnaissant, c’est ne plus être dépendant de lui, c’est s’éloigner de lui.

« Mon péché a-t-il des conséquences chez Dieu ? » Oui, il en a mais jamais il ne modifie Dieu, son être d’amour. Une offense ne peut donc pas le conduire à aimer moins. Car son être est d’aimer. « Dieu est amour. » (1 Jn 4,8) Cependant, le péché influence les actes de Dieu. Comment ? Face au péché, l’amour de Dieu se transforme, et devient. .. miséricorde. Dieu se présente alors à ma liberté, et attend, espère que moi – pécheur – j’accueille sa miséricorde.

Or, si je me renferme sur moi après ma faute, il ne m’est pas possible d’accueillir l’immense amour de Dieu. Dieu m’aime, et veut me rétablir en lui.

St François de Sales exhortait les fidèles à utiliser leurs fautes pour aimer leur misère. La faute crée toujours un retentissement en nous. Il est bon que ce retentissement nous serve à nous connaître, et nous aimer davantage. Nous pourrons ainsi mieux accueillir et aimer notre prochain. Tel qu’il est. Simplement.

Se laisser relever

De quoi le monde a-t-il besoin aujourd’hui ? De gens sans fautes, sans péchés ni tâches ? Non. Il a besoin d’hommes et de femmes remplis d’espérance, et assoiffés de la grâce de Dieu !

Il existe un moyen solide de s’établir dans cette espérance : retourner à Dieu dans le sacrement de la confession.

François de Sales ne cesse de répéter que pratiquer la douceur et la tendresse envers notre cœur est un chemin de sainteté sûr et efficace. Par exemple, imaginez-vous après une faute reprendre votre cœur dans la paume de vos deux mains, et – comme on peut s’occuper d’un petit oiseau blessé et rendu incapable de voler – déposez-le doucement entre les mains du Christ, le suppliant qu’il le guérisse, qu’il le réchauffe, qu’il vole de nouveau, confiant dans la bonté de Dieu, rempli de sa puissance de vie. Cela a un nom : la réconciliation. Le lieu de la douceur et de la tendresse de Dieu.

Chaque combat, chaque chute sont une occasion supplémentaire d’apprendre à tenir serrée la main de la miséricorde divine. Et lorsque nous acceptons de nous accuser et de reconnaître notre péché, Dieu en est honoré. Ne faut-il pas plus de courage pour confesser un péché, qu’il n’en eût fallu pour l’éviter ? Luttons donc fermement, en bons soldats, par la douceur et la tendresse, avec espérance !

Feu et Lumière n° 291, févr. 2010.