Les trois conversions ou les trois voies

Un petit livre du P. Garrigou-Lagrande, o.p., accessible sur le site livres-mystiques.com

AVANT-PROPOS. Ce petit livre, écrit sous une forme acces­sible à toutes les âmes intérieures, est comme le résumé de deux ouvrages, bien qu’il se puisse facilement comprendre avant de les avoir lus.

Dans Perfection chrétienne et contemplation, nous avons vu, selon les principes formulés par saint Thomas et par saint Jean de la Croix, que la perfection chrétienne consiste spécialement dans la charité selon la plénitude des deux grands préceptes  : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toutes tes forces, de tout ton esprit, et ton prochain comme toi-même » (Luc, X, 27). Nous y avons vu aussi que la contemplation infuse des mystères de la foi, mystères de la sainte Trinité présente en nous, de l’Incarnation rédemptrice, de la Croix, de l’Eucharistie, est dans la voie normale de la sainteté.

En suivant les mêmes principes nous avons traité ailleurs[1] des purifications nécessaires pour arriver à l’amour parfait de Dieu et du prochain, et nous nous som­mes attaché en particulier à montrer que la purification passive des sens marque l’en­trée dans la voie illuminative, et celle de l’esprit l’entrée dans la voie unitive des par­faits.

On nous a demandé de divers côtés de résumer ces deux ouvrages pour mettre mieux en relief quelles sont, de ce point de vue, les grandes lignes de la théologie ascétique et mystique.

Pour ne pas purement et simplement nous répéter, et pour considérer les choses d’une façon à la fois plus simple et plus haute, nous parlerons ici des trois âges de la vie de l’esprit et des trois conversions qui consti­tuent le commencement de chacun d’eux.

Un premier chapitre traite de la vie de la grâce et du prix de la première conversion. Dans les chapitres suivants il est parlé du progrès de la vie spirituelle, en insistant sur la nécessité de deux autres conversions ou transformations, qui marquent, l’une le début de la voie illuminative, et l’autre le com­mencement de la voie unitive des parfaits.

La division du progrès spirituel selon les trois voies, communément reçue depuis saint Augustin et Denys, est devenue banale, en tant qu’invariablement reproduite par tous les traités de spiritualité, mais on découvre sa vérité profonde, son sens, sa por­tée, son intérêt vital, lorsqu’on l’explique, comme l’a indiqué saint Thomas, par ana­logie avec les divers âges de la vie corporelle, et aussi, ce qu’on oublie trop souvent, par comparaison aux divers moments de la vie intérieure des Apôtres. Les Apôtres furent immédiatement formés par Notre-Seigneur, et leur vie intérieure doit, toute proportion gardée, disent les saints, se reproduire en nous. Ils sont nos modèles surtout pour le prêtre, et tout chrétien doit en un certain sens être apôtre et vivre assez du Christ pour le donner aux autres.

Ce sur quoi nous insisterons ici, ce sont surtout des vérités élémentaires. Mais nous oublions souvent que les vérités les plus hautes et les plus vitales sont précisément les plus élémentaires approfondies, longuement méditées et devenues objet de contemplation surnaturelle[2].

Si l’on demandait  à bien des personnes familiarisées avec l’Évangile  : « Y est-il quel­que part question de la seconde conver­sion   ? » beaucoup répondraient peut-être négativement. Il est pourtant une parole assez claire de Notre-Seigneur à ce sujet.  Saint Marc, IX, 32, rapporte que lors du dernier passage de Jésus en Galilée, quand il arriva avec les Apôtres à Capharnaüm, il leur de­manda  : « De quoi parliez-vous en chemin   ? »  « Mais ils gardèrent le silence, dit l’Évangéliste  ; car en chemin ils avaient discuté entre eux qui était le plus grand. » – Et en saint Matthieu, XXIII, 3, où est rapporté le même fait, on lit  : « Jésus, faisant venir un petit enfant, le plaça au milieu d’eux et leur dit  : « Je vous le dis, en vérité, si vous ne vous CONVERTISSEZ PAS et ne devenez pas comme les petits enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux[3]. » Ne s’agit-il pas ici clairement de la seconde conversion   ? Jésus parle aux Apôtres qui l’ont suivi, qui ont pris part à son ministère, qui vont communier à la cène et dont trois l’ont suivi sur le Thabor. Ils sont en état de grâce, et il leur parle pourtant de la nécessité de se convertir, pour entrer profondément dans le royaume de Dieu ou dans l’intimité divine. A Pierre en particulier il est dit (Luc, XXII, 32)  : « Simon, Simon, voici que Satan vous a réclamés pour vous cribler comme le froment ; mais j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille point ; et toi, quand tu seras converti, affermis tes frères. » Il s’agit là de la seconde conversion de Pierre, qui aura lieu à la fin de la Passion, sitôt après son reniement. C’est surtout de la seconde conversion que nous parlerons dans ce petit livre.

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