À la rencontre des personnes en souffrance psychique

Conseil Pastoral de la Santé du diocèse de Luçon, juin 2010

OSER, ESPÉRER, RENCONTRER

Qui d’entre nous n’a pas connu la maladie mentale dans sa famille ou son entourage ? Qui n’a pas rencontré des personnes en souffrance psychique ? Nous sommes alors souvent démunis et maladroits devant elles. Si en France, 15 % de la population connaît des troubles mentaux, 1% souffre de troubles psychiques graves qui perturbent dans la durée, la pensée, les sentiments, les comportements de la personne. La perturbation est suffisamment forte pour rendre l’intégration sociale de la personne problématique et ses possibilités d’autonomie dans la vie quotidienne invalidées. La souffrance est d’autant plus grande qu’elle ne se voit pas, ne se dit pas, et que la majorité des gens sont mal informés. Et nous sommes alors encore plus désorientés.  … Ces maladies de la personnalité, toujours sérieuses, mais plus ou moins graves, sont mal connues du grand public. Les troubles psychiques ont des causes multiples et encore mal cernées. Ils entraînent, dans la population, des jugements hâtifs de la personne et de son entourage proche. Ces remarques sont souvent l’expression de peurs archaïques qui stigmatisent les soins en psychiatrie. En même temps, ces maladies peuvent être révélatrices d’un certain nombre de blessures de notre société : la fragilisation des liens, l’obligation d’être heureux et de réussir, l’épuisement au travail, la perte de reconnaissance, des blessures affectives…

DES PERSONNES SOUFFRANTES

UN REGARD AMBIVALENT . Il nous faut commencer par clarifier nos connaissances afin d’éviter confusion et amalgame.1 L’image de la psychiatrie porte le poids de la stigmatisation et de l’exclusion. Elle évoque spontanément un lieu d’enfermement. Si les murs sont tombés il y a plusieurs décennies, les malades sont toujours perçus comme dangereux, leurs actes et leurs paroles échappant à toute considération rationnelle.   « Les malades psychiques nous effraient dans la mesure où la menace potentielle qu’ils représentent est inscrite en nous-mêmes ; étant ainsi semblables, nous avons le plus grand mal à le reconnaître. Nous projetons alors cette similitude comme une dissemblance qui n’appartiendrait qu’à ceux qui la manifestent. Mais cette dissemblance est notre altérité. Cette altérité est toujours angoissante et nous conduit à devoir ou à vouloir la maintenir à distance sans pour autant la faire disparaître. » Dr Henri-Jacques STIKER. La maladie psychique est comme un miroir tendu où se reflètent des puissances qui sont en nous ; le malade psychique met à nu nos propres imperfections et reflète une image dans laquelle nous n’avons pas envie de nous reconnaître. « Face à la maladie psychique, (mais aussi face au handicap, à l’infirmité), nous sommes partagés. Les malades nous renvoient le reflet de ce que nous sommes et de la part de ce que nous ne voulons pas être, que nous voulons éviter. Ils incarnent dans un alter-ego notre vulnérabilité, notre mortalité. Notre manière de regarder la maladie est ambivalente, à deux faces, ni trop près, ni trop loin. » Dr J.P. GARRET2

LA DÉPRESSION : UNE TRIPLE DÉCONNECTION. Plus souvent, nous rencontrons des personnes qui traversent l’épreuve de la dépression. La dépression est d’abord une maladie. Elle peut toucher quiconque. Il se produit alors chez cette personne comme une triple déconnection :

> « Entre les autres et soi-même. Elle prive des relations qui font la trame de la vie de tout être vivant. « je ne veux pas faire preuve d’ingratitude envers mes visiteurs. Ils voulaient tous bien faire et d’ailleurs, ils faisaient partie des rares personnes qui ne cherchaient pas à m’éviter. Mais, en dépit de leurs bonnes intentions, comme les consolateurs de Job, leur sympathie me poussait encore plus au désespoir. Leurs paroles étaient souvent maladroites : ˝Tu devrais te secouer ! »

> Entre l’esprit et les sentiments. « Certains visiteurs, pour me remonter le moral, disaient : ˝Il fait un temps magnifique. Pourquoi ne pas sortir profiter du soleil et regarder les fleurs ? Sûrement, ça te ferait du bien˝. Cela ne faisait que me déprimer encore plus. Intellectuellement, je savais qu’il faisait un temps magnifique, mais j’étais incapable de sentir cette beauté à travers mes sens, mon corps ! »

> Entre l’image qu’on a de soi et notre masque extérieur. « Certains remarquaient : ˝Comment croire que cette maladie pouvait le toucher, lui ?˝ Cette remarque me plongeait dans le gouffre qui existait entre cette ˝bonne˝ personne et la ˝mauvaise˝ personne que je croyais être. Je pensais : « S’ils pouvaient voir mon vrai moi, ils me rejetteraient immédiatement. » D’autres commençaient par dire : ˝Je sais exactement ce que tu ressens.˝ Quel que soit le réconfort ou le conseil qu’ils voulaient m’apporter, je n’entendais rien au-delà de ces premiers mots, parce que je savais que ce n’était pas vrai. Personne ne peut faire pleinement l’expérience du mystère de l’autre ! »3

UNE MALADIE DESTRUCTRICE Dans les troubles graves, comme dans les psychoses, la maladie provoque un retentissement fort chez les proches et dans la famille. C’est une maladie qui peut être destructrice. Plus aucune fête n’est porteuse de joie. La culpabilité fait son œuvre mortifère chez les proches. « La schizophrénie de Yann a été diagnostiquée alors qu’il avait 20 ans. Les premières années ont été tragiques créant un désert autour de nous. Son comportement qui peut changer d’un moment à l’autre, nous met dans une tension permanente. Heureusement, j’ai rencontré d’autres parents au sein de l’UNAFAM4 avec qui j’ai pu mettre des mots sur ce que nous vivons. Moi qui étais si effacée, je suis en train de mettre en place un groupe d’entraide. Il a fallu faire le deuil de notre enfant pour arriver à aimer celui que nous avons aujourd’hui et apprendre à vivre au jour le jour ». Les familles ont besoin de souffler et de se sentir comprises.

LE TRAVAIL DIFFICILE DES SOIGNANTS Le travail des soignants est difficile et passionnant. Il est prenant, parfois oppressant, usant face à la violence verbale. L’institution pose un cadre sécurisant pour les personnes en soins et permet de créer un climat de confiance entre soignants et soignés si la « bonne distance » est sauvegardée. Sinon, certains patients pourraient être amenés à ressentir un sentiment d’inconfort, voire d’insécurité pouvant se manifester par de la peur, de l’angoisse, et à réactiver un sentiment de persécution voire un délire. A la difficulté du travail des soignants, s’ajoutent des décisions budgétaires qui rendent ce travail encore plus difficile. « On impose parfois des ruptures de soin en faisant sortir trop tôt des malades, constatent-ils, et ensuite, on s’étonne qu’il y ait des rechutes ». Les soignants souffrent du manque de relais de proximité lorsqu’un malade sort prématurément du service. Des agressions, et même des meurtres, ont relancé un débat sur l’hospitalisation sans consentement. Actuellement, elle représente 13 % des hospitalisations. Ce débat entretient souvent une confusion entre délinquance et maladie. Qui est violent contre qui ? Le malade est plus vulnérable que violent. « On est dans un paradoxe permanent, explique un cadre infirmier. On a fermé des lits dans les hôpitaux et on nous dit aujourd’hui qu’il faut enfermer les plus dangereux. » Entre sa mission de soins et l’impératif de sécurité qui s’impose à elle, la psychiatrie se débat de plus en plus dans des injonctions contradictoires.

PRÉSENCE D’ÉGLISE DANS LE MONDE DE LA SANTÉ MENTALE

DIVERS LIEUX D’ÉGLISE Humblement, l’Église est présente dans le monde de la santé mentale et cherche à marcher au pas des malades. Tous, nous pouvons aujourd’hui rencontrer ces personnes puisqu’il y a de plus en plus d’accompagnement hors murs hospitaliers. Les communautés chrétiennes sont invitées à changer de regard, à dépasser leurs appréhensions ou leurs peurs, à ne pas craindre la rencontre. Il est nécessaire de savoir nous situer fraternellement, mais aussi en équipe car ce sont des malades qui épuisent. La Semaine de la Santé Mentale (généralement en mars chaque année) est l’occasion de mieux comprendre les maladies, le quotidien des familles et le travail des soignants. Divers lieux d’Église existent pour l’accueil, l’écoute, l’accompagnement des personnes et pour le soutien des aidants :

> D’une façon générale, l’Aumônerie catholique d’un Centre Hospitalier Spécialisé (C.H.S.) est une porte ouverte dans le chaos de cette période de crise et de réajustement qu’est l’hospitalisation.

> Des mouvements ou associations offrent aussi des lieux d’écoute et d’échange comme Amitié-Espérance»5.

Dans ces différents lieux, les accompagnateurs ont la chance de n’être ni soignants, ni membres de la famille. En respectant le travail des uns et le quotidien des autres, ils essaient modestement d’être signe que toute personne est aimée de Dieu, quels que soient son aspect, ses actes, ses obsessions, son enfermement, sa haine éventuelle. Ils essaient d’être un regard qui relève, une oreille qui écoute avec bienveillance, un geste, une attitude et parfois, une parole qui fasse écho à celle de Jésus « Crois seulement ». Crois encore afin de pouvoir rester debout dans la tempête !

De nouveaux pas sont possibles : un accueil plus ouvert à une demande d’un sacrement, offrir une catéchèse spécialisée, inviter à rejoindre mouvement ou association, donner à ces personnes leur place dans les assemblées du dimanche, ne serait-ce qu’en acceptant de leur tendre la main au moment du geste de paix. Pour une qualité de l’accompagnement, la Pastorale de la Santé propose diverses formations car il faut réellement sortir de notre cadre de référence habituelle pour rejoindre la personne là où elle en est et comprendre mieux le parcours chaotique de ces malades. Suivant les diocèses, des formations sont proposées aux bénévoles qui rencontrent des personnes en difficulté psychique. La catéchèse spécialisée propose aussi parfois une formation à ceux et celles qui assurent cette catéchèse et la préparation aux sacrements.6

ACCEPTER SON IMPUISSANCE La vie de foi est profondément atteinte quand les malades traversent cette épreuve de santé. Le contenu de la foi perd très souvent sa force d’émotion. C’est d’abord un vide qui est ressenti. Souvent, le sentiment de culpabilité augmente et la maladie peut être vécue comme une punition pouvant entraîner au désespoir. « Dieu n’est plus qu’un dieu vengeur qui ne pense qu’à punir ! »

Dans cette situation, le malade a besoin d’être accompagné par des personnes qui lui font confiance. La foi est d’abord une confiance. Et comment peut-il faire confiance à Dieu si personne ne lui fait confiance ?

L’accompagnement passe par l’acceptation d’être impuissant devant l’autre, son malheur, mais d’être là, accessible, à son niveau. En reconnaissant son impuissance, on autorise le malade à reconnaître la sienne et on crée une communion inattendue. Sinon, on écrase la personne de sa supériorité et elle est encore plus seule.

Dans l’Évangile (Marc 10, 17-22), un jeune homme riche demande à Jésus : « Que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ? La vraie vie ? ». L’Évangile dit : « Jésus le regarda et l’aima ». Il ne lui propose pas d’emblée de tout quitter. Le regard d’amour inconditionnel sur la personne enfermée dans la maladie ou la culpabilité « Je t’aime comme tu es » peut la conduire à descendre dans ce qui est blessé en elle. C’est souvent ce qui met en route.

La rencontre avec ceux qui sont fragilisés par la maladie nous mettrait sans doute moins mal à l’aise si nous étions réconciliés avec cette part de vulnérabilité et de fragilité qui est en nous. Le visage de ceux qui souffrent psychiquement blesse l’image idéale que nous portons en nous. Nous n’oublions pas qu’un jour, Jésus n’a été ni beau, ni brillant pour attirer nos regards. Son visage n’avait rien pour nous plaire (Isaïe 53, 2). Pourtant ce jour-là, son visage rayonnait la beauté de Dieu et disait l’éminente dignité de tout être faible et fragile. L’Eglise n’oublie pas que sa force vient de sa faiblesse. Dans la maladie, la parole est difficile avec les traitements, mais aussi le mal-être profond qui mine, les blocages où se mêlent le besoin et la peur de l’autre. « En libérant la parole, écrit Lytta Basset7, l’homme retrouve l’accès à l’écoute d’une autre parole que celle de sa souffrance. Il sort alors de l’inhumanité, de la solitude, de l’enfermement dans lesquels il se trouve. »

RELIRE EN ÉQUIPE Il est indispensable de travailler en équipe pour relire ce qui se vit, ne pas perdre pied soi-même, passer le relais afin d’éviter une rupture, se soutenir. On ne fait pas Eglise seul ! Et de travailler aussi en réseau car il est nécessaire de renvoyer la personne vers ses interlocuteurs habituels. L’accompagnement ne doit pas venir fragiliser le travail des professionnels.

Il est sage d’accepter de ne pouvoir que très peu de choses, mais ce peu n’est pas rien : être ce simple regard, ce sourire qui éclaire une journée et qui permet au malade de penser « je compte pour quelqu’un ». Les irrégularités du comportement rendent l’accompagnement difficile. Il y a souvent des éclipses, on est dans l’imprévisible et il faut savoir se contenter du moment présent. C’est dans « l’ici et maintenant » que la vie se joue. Le chemin se fait en douceur ; on s’apprivoise mais avec une fermeté rassurante. La bonne volonté ne suffit pas dans cette relation fraternelle.

La partie la plus difficile pour l’accompagnant, c’est sans doute de toujours se questionner sur soi, sur l’autre afin de savoir ce qui se joue dans cette relation. C’est à ce prix seulement que l’on pourra être cohérent, rester à sa juste place et garder la bonne distance relationnelle. Il nous faut être lucide et clairvoyant sur nous-mêmes, l’autre et la maladie qui vient perturber la relation.

ACCOMPAGNER, C’EST AUSSI NE PAS SAVOIR LE CHEMIN OU L’AUTRE NOUS CONDUIT Commentant l’Évangile d’Emmaüs (St Luc, 24, 13-35), le Père de MENTHIERE disait : « Emmaüs, On ne sait pas où se trouve cet obscur village ; c’est ce non-lieu où nous mènent nos pas errants, sans horizon et sans but. Ils étaient aveuglés, eux qui ne voyaient même pas la lumière marcher à leur côté. Ils étaient perdus eux qui furent rejoints par le Chemin ».

Jésus ressuscité a commencé par rejoindre des disciples déroutés qui tournaient le dos à Jérusalem. Ce n’est que librement après une longue relecture des événements, après l’avoir reconnu au partage du pain, qu’ils peuvent prendre le chemin de Jérusalem. Accompagner, c’est donc accepter de marcher avec l’autre à contresens pour qu’il puisse trouver le chemin de vie qui va le conduire à un retournement.

Le soutien ne s’impose pas, il n’impose rien. Il ne force pas l’intimité. Il est déterminé par le besoin de la personne d’exprimer ses sentiments, des plus élémentaires aux plus élaborés, à l’indicible. Ce soutien se laisse inventer au fur et à mesure du flux et du reflux de la vie qui continue. Le soutien ou l’accompagnement suit le rythme et s’efface.

Pour aller plus loin en équipe :  1/ Est ce que nous connaissons des personnes fragiles psychologiquement ? Quelles sont celles que nous accompagnons ? Comment rejoindre celles qui sont isolées ?  2/ Quels sont nos besoins pour améliorer notre écoute ? Pour apprendre à discerner ce que nous pouvons partager ?  3/ Dans la paroisse, le village, le diocèse, quelles sont les personnes « ressource» avec qui nous pouvons partager ce que nous vivons quand c’est dur ou perturbant ?  4/ Comment faire une relecture en équipe de nos accompagnements ? De quoi avons-nous besoin ?

L’accompagnement devient prière quand nous confions à Dieu la plainte des hommes : entendre la douleur des malades et la présenter à la douceur de Dieu, présenter la violence de la vie à la miséricorde de Dieu, écouter les cris alors que les personnes n’ont plus la force de crier. Prendre dans son cœur la misère du monde et l’offrir. Une prière qui aide à continuer, à croire en dépit du mal qui demeure. Une prière qui apaise, qui nous dépasse, qui nous conduit à une espérance renouvelée. Nous passons alors le relais à Dieu, Celui qui nous accompagne par excellence.

Notes.

1 Deux grands groupes sont à discerner : les névroses et les psychoses. En simplifiant au maximum, dans le premier groupe, le malade a conscience de ses troubles et ces derniers sont psychologiquement compréhensibles. Dans le deuxième groupe, la maladie peut conduire à des troubles graves du comportement, la personne ne perçoit que très mal sa maladie. Pour elle, ce sont les autres qui ne vont pas, d’où la difficulté à se faire soigner, à accepter un traitement, et à s’ajuster à la réalité.

2 Médecin psychiatre au Centre Hospitalier Georges Mazurelle (Vendée)

3 Dans Ombres et Lumière n° 62, Revue de l’O.C.H. (Office Chrétien des personnes Handicapées)

4 Témoignage de Sylvie dans le Bulletin vendéen de l’Union Nationale des Familles et Amis des Malades Psychiques (UNAFAM)  Il existe aussi une autre association : FNAPSY : Fédération Nationale des Associations d’ « ex » patients en psychiatrie.

5 Amitié-Espérance, mouvement chrétien qui s’adresse en particulier aux personnes souffrant ou ayant souffert de dépression ou de maladie psychique. Les Mouvements Foi et Vie et Foi et Lumière regroupent des personnes handicapées mentales, leurs familles et leurs amis

6 Vous renseigner auprès de la Pastorale Santé de votre diocèse

7 Lytta Basset, théologienne protestante qui s’est fait connaître du grand public par plusieurs livres tels « Ce lien qui ne meurt jamais » « Culpabilité, paralysie du cœur »