Le jésuite Samir Khalil Samir dénonce l’absence d’esprit critique dans le monde musulman

La Croix du 30 août 2014, par Claire Lesegretain

Dans un long texte publié jeudi 28 août par l’agence de presse Asia news, le jésuite égyptien Samir Khalil Samir, islamologue à l’université Saint-Joseph de Beyrouth (Liban), regrette le silence des masses musulmanes face aux « violences sanguinaires et spectaculaires de l’État islamique (EI) ». Le fait que ces cruautés ne soient guère condamnées dans le monde musulman, ou alors de manière bien tiède, est lié, selon lui, au système éducatif dans le monde musulman qui « exalte la mémorisation mais paralyse la raison et l’intelligence ».

« Devant tant d’actes sanguinaires, d’exécutions de masse, de décapitations, le reste du monde semble réagir par une sorte d’accoutumance et de fatalisme », poursuit le jésuite de Beyrouth qui souligne « la différence de comportement quand il s’agit des Juifs et d’Israël et quand il s’agit des musulmans et de l’EI ». « Les semaines passées, j’ai reçu une dizaine de pétitions envoyées par des Juifs américains critiquant Israël (à propos des bombardements sur Gaza) », remarque-t-il en se réjouissant de cette « habitude culturelle de l’autocritique » et en regrettant qu’il n’y ait pas cette habitude dans le monde musulman.

« Il est très rare qu’un peuple musulman critique son propre gouvernement », poursuit-il en prenant l’exemple de l’Égypte où le gouvernement, quel qu’il soit et quoi qu’il fasse, est accepté par tous, mis à part quelques journalistes ou intellectuels. « Il manque une éducation à la critique constructive, et cela commence en famille », dans la mesure où selon lui, le débat entre parents et enfants est « impensable ».

De même, à l’école, il n’y a pas d’éducation à la critique, au dialogue, au débat, puisque tout le système éducatif islamiste est basé sur la mémorisation du seul Coran. « Le Coran ne se discute pas, il doit être appris par cœur puis répété sans cesse pour ne pas être oublié. » Et de rappeler la formule des islamistes : « Le Coran n’est pas du prophète, il est de Dieu directement ». Pour le jésuite, cela revient à dire que Mohammed ne serait qu’un simple magnétophone.

En Égypte, remarque le jésuite, l’éducation des enfants dans les écoles coraniques se fait à coups de bâton. Si bien que par la suite, ces mêmes jeunes devenus étudiants à l’université apprennent des pages entières qu’ils récitent par cœur à l’examen sans aucune analyse ni distance. Il n’est donc pas étonnant, selon lui, qu’après avoir fait tomber les divers dictateurs, « le printemps arabe » n’ait débouché sur rien  : les populations ne savaient pas comment procéder et le pouvoir a été pris par les groupes les plus organisés, les salafistes et les Frères musulmans, qui ont éliminé le parti unique (du dictateur), pour le remplacer par un autre parti unique (islamiste).

Du fait de cette absence de contestation et de projet social dans le monde arabe, « les problèmes de la modernité qui ébranlent pourtant en profondeur le monde musulman ne provoquent ni colloques, ni congrès, ni échanges d’opinion. Certes, en tête à tête, quelqu’un vous donne son opinion, mais on n’arrive jamais à une pensée organisée et exprimée collectivement. » Autre exemple donné par le P. Samir : « Au Maroc tous les ans, dans la période du Ramadan, quelques jeunes contestataires se font arrêter par la police après avoir fait exprès de manger et de boire pendant les heures de jeûne. Ils sont mis en prison quelques jours et tous les ans ça recommence. Mais personne n’en discute, comme s’il allait de soi que ce que fait le gouvernement est juste et bien. »

Bref, tout ceci explique, selon le jésuite de Beyrouth, que la population arabe reste silencieuse face aux assassinats sordides de l’EI, alors même que les gens sont certainement opposés à ces violences…

C. LE.