La leçon de Ratisbonne disculpée

LA LEÇON DE RATISBONNE DISCULPÉE (*)
George Weigel
www.religionenlibertad.com
(La version originale en anglais a été publiée le 16 septembre sur le site Denver Catholic Register)
——

Dans la soirée du 12 septembre 2006, mon épouse et moi étions en train de dîner à Cracovie avec des amis polonais quand un vaticaniste italien agité (pardon pour la redondance d’adjectifs) [il est permis d’apprécier modérément l’humour yankee] m’a appelé pour me demander ce que je pensais de « Zees crazee speech of zee pope about zee Muslims» (ce discours dément du Pape sur les musulmans) . Ce fut mon premier contact avec le déchaînement de la horde d’« esprits indépendants » de la presse internationale sur le thème de la Conférence de Rastibonne de Benoît XVI, une bourde que les médias continueront à ronger [comme un os] jusqu’à la fin de son pontificat.

Huit ans plus tard, la Leçon de Ratisbonne est vue de façon bien différent. En effet ceux qui l’avaient vraiment lue en 2006 avaient compris que loin de gaffer, Benoît XVI avait exploré, avec la précision d’un érudit, deux questions-clef, dont les réponses influenceraient profondément la guerre civile qui faisait rage au sein l’islam, – une guerre dont le résultat déterminerait si l’islam du XXIème siècle est sans danger pour ses fidèles et pour le monde.

La première question concernait la liberté religieuse : les Musulmans pouvaient-ils trouver à l’intérieur de leurs propres ressources spirituelles et intellectuelles, des arguments islamiques pour la tolérance religieuse (incluant la tolérance envers ceux qui se convertissent à d’autres croyances) ? Ce développement souhaitable, suggérait le Pape, pourrait nécessiter beaucoup de temps (et même des siècles) pour l’élaboration d’une théorie islamique plus complète de la liberté religieuse.

La seconde question concernait la structure des sociétés islamiques: les Musulmans pouvaient-ils trouver, une fois encore à l’intérieur de leurs ressources spirituelles et intellectuelles propres, des arguments islamiques pour faire la différence entre l’autorité religieuse et l’autorité politique dans un état juste Ce développement également souhaitable, rendrait peut-être plus humaines en elles-mêmes les sociétés musulmanes, et moins dangereuses pour leurs voisins, surtout s’il était lié à un courant islamique émergent en faveur de la tolérance religieuse.

Le Pape Benoît a poursuivi, suggérant que le dialogue interreligieux entre catholiques et musulmans pourrait être centré sur ces deux questions, liées entre elles. L’Église catholique, comment l’a ouvertement admis le Pape, avait connu ses luttes internes alors que se développait sa propre exigence de liberté religieuse dans un contexte politique de gouvernement constitutionnel, dans lequel l’Église jouait un rôle clef dans la société civile, mais sans la gouverner directement. Mais le catholicisme avait finalement fait la chose suivante: non pas se rendre à la philosophie politique séculière, mais utiliser ce qu’il avait appris de la modernité politique pour revenir à sa propre tradition, redécouvrant des éléments de sa pensée sur la foi, la religion et la société qu’il avait perdus au fil du temps, et développant son enseignement sur une société juste pour le futur.

Ce processus de redécouverte et de développement était-il possible dans l’islam? C’était la Grande Question posée par Benoît XVI dans la Leçon de Ratisbonne.

C’est une tragédie de proportions historiques que la réponse ait été d’abord mal interprétée et ensuite ignorée. Les résultats de cette mauvaise interprétation et de cette ignorance, et de beaucoup d’autres mauvaises interprétations et ignorances, – sont maintenant horriblement évidents au Moyen Orient: dans la décimation des anciennes communautés chrétiennes; dans les atrocités qui ont choqué un Occident apparemment indifférent face à tous les faits, comme les crucifixions ou la décapitation de chrétiens; dans des états instables; dans l’espoir brisé que le Moyen Orient du XXIe siècle pourrait se soigner de ses diverses maladies culturelles et politiques, en trouvant un chemin à un futur plus humain.

Je suis convaincu que Benoît XVI ne ressent aucune joie face à la justification par l’histoire de sa Leçon de Ratisbonne. Mais ceux qui en 2006 l’ont critiqué devraient faire à fond leur examen de conscience par rapport à l’ignominie à laquelle ils l’ont soumis pendant huit ans. Admettre qu’ils se sont trompés en 2006 serait un premier pas très utile pour sortir de leur ignorance sur le conflit intra-islamique qui menace gravement la paix dans le monde du XXIe siècle.

Quant au débat sur l’avenir de l’islam proposé par Benoît XVI, il parait aujourd’hui assez improbable. Mais s’il devait avoir lieu, les responsables chrétiens devraient préparer le chemin en nommant directement et franchement les pathologies de l’islamisme et du djihadisme; en cessant de présenter des excuses anti-historiques pour le colonialisme du XXème siècle (imitant sans conviction le pire des blablas académiques occidentaux, sur le monde arabe islamique) et en déclarant publiquement que l’usage de la force, utilisée prudemment et avec l’objectif de défendre les innocents, est moralement justifiée quand il faut affronter des fanatiques sanglants comme les responsables du royaume de la terreur qui a ravagé cet été la Syrie et l’Irak.

* * *

(*) Le titre original en anglais est « Regensburg vindicated », qu’on peut aussi traduire par « justifié ».