Synode sur la Famille : un document et une procédure déroutants

Sur le site de France Catholique,  le 16 octobre 2014, un article de Robert Royal

Depuis que je suis adulte, je suis allé grosso modo une centaine de fois à Rome. Certaines visites pour des motifs purement séculiers, culturels ou politiques, d’autres pour des questions relatives à l’Eglise catholique. Mais je peux dire sans le moindre doute que la journée d’hier fut la plus étrange de celles que j’ai passées dans la Ville Eternelle.

A l’heure actuelle, presque tous ceux qui s’intéressent au catholicisme ont pris connaissance du document vraiment bizarre que le Vatican a rendu public lundi : la relatio, qui résume la première semaine de travail du synode sur la famille. je suis allée à la conférence de presse qui a suivi, et c’était également une chose vraiment très étrange. Je vous explique ça un peu plus loin. Mais avant que vous ne désespériez – je peux vous dire qu’il y avait dans cette salle des interrogations de vaticanistes de longue date complètement ébahis et que des heures plus tard des journalistes marchaient encore de long en large en état de choc – les choses sont à la fois mauvaises et pas aussi mauvaises qu’elles peuvent paraître à première vue.

D’abord le mauvais. Pour des raisons qui ne sont connues que de certaines personnes impliquées — ou de Dieu qui cherche à toucher le coeur de l’homme — un document émanant du Vatican contient des passages comme ceux-ci :

50. Les homosexuels ont des dons et qualités à offrir à la communauté chrétienne : sommes-nous capables de les accueillir, de leur garantir un espace fraternel dans nos communautés ? Souvent, ils veulent rencontrer une Eglise qui leur offre un foyer accueillant. Nos communautés sont-elles capables de leur procurer cela, d’accepter et d’estimer leur orientation sexuelle sans faire de compromis avec la doctrine catholique sur la famille et le mariage ?

51. La question de l’homosexualité conduit à une réflexion appofondie sur comment élaborer des cheminements réalistes de croissance spirituelle et de maturité humaine et évangélique intégrant la dimension sexuelle : cela se révèle un défi éducatif important. Par ailleurs, l’Eglise affirme que les unions entre personnes de même sexe ne peuvent être considérées sur le même plan que le mariage entre un homme et une femme. Il n’est pas non plus acceptable que des pressions soient exercées sur les pasteurs ou que les organisations internationales subordordonnent une aide financière à l’introduction de règlements inspirés de l’idéologie du genre.

52. Sans nier le problème moral posé par les unions homosexuelles, il a été noté qu’il y a des cas où l’aide mutuelle jusqu’au sacrifice est d’un précieux secours dans la vie des partenaires. Par ailleurs, l’Eglise se préoccupe particulièrement des enfants vivant avec des couples de même sexe, mettant l’accent sur le fait que les besoins et les droits des plus petits doivent toujours avoir la priorité.

Si vous avez la cervelle à l’envers à la lecture des passages en italique dans le texte ci-dessus, vous n’êtes pas le seul. Lors de la conférence, plusieurs journalistes ont questionnés avec des mots soigneusement choisis les quatre rapporteurs du synode, cherchant à obtenir des clarifications. Je suis désolé de dire qu’à l’exception du cardinal Erdö, chacun a baratiné d’une manière indigne d’une Eglise qui cherche à proclamer la vérité sur la bonne nouvelle de notre rédemption par Jésus-Christ.

Je ne mentionnerai pas le nom des personnes qui ont répondu, par respect pour la nudité de nos pères. Mais laissez-moi évoquer l’atmosphère de la salle. Une journaliste de RAI, la radio d’état italienne, a demandé de façon insistante, en réponse au dernier paragraphe concernant les droits des enfants, s’ils n’avaient pas le droit d’être élevés par un père homme et une mère femme (un argument aqui en Europe, et particulièrement en France, a été prépondérant). La réponse, venue d’un prêtre exalté, a consisté en une fournée de platitudes, dans la mesure où elles étaient intelligibles, sur le droit des parents à éduquer un enfant, ce que personne ne conteste ni n’a jamais contesté. Mais la question fondamentale d’avoir une vraie mère et un vrai père est restée inabordée – par un prince de l’Eglise parlant d’un sujet actuel brûlant.

De même, un journaliste américain a émis une question à propos de la phrase absurde de la section 50 : « les homosexuels ont des dons et qualités à offrir à la communauté chrétienne ». C’est vrai d’une certaine façon, bien sûr, puisque chacun a des dons et qualités. Le journaliste voulait savoir si les pères synodaux voulaient dire que les homosexuels avaient des dons à offrir précisément en raison de leur homosexualité ? C’est ce qui semblait sous-entendu.

Davantage de commentaires inconséquents ont suivi, hélas. Le synode a relevé un grand défi avec son respect pour l’intelligence des laïcs catholiques. Mais aucun laïc catholique un tant soit peu intelligent n’a quitté la conférence de presse hier sans penser que ce sujet – et plusieurs autres – était devenu encore plus confus que précédemment et penchant vers ce que les activistes gays cherchent à obtenir, un résultat inconciliable avec l’Evangile.

Vous pouvez trouver dans les trois paragraphes notés plus haut des allusions à la doctrine catholique bien sûr, mais le reste du résumé – qu’une source fiable proche de la démarche me confirme refléter le sujet des discussions actuelles des évêques, même s’ils « ont considéré comme acquise la doctrine catholique » – se lit comme une poursuite éperdue de quelques individus à la sexualité désordonnée pouvant encore avoir un rudiment d’intérêt pour l’Eglise. John Allen a brillamment formulé cela : « un mode de vie oecuménique », une conséquence de l’oecuménisme ecclésial de Vatican II.

Il y avait d’autres questions bien sûr, à propos de la communion pour les divorcés remariés, et comment conciler cela avec les paroles mêmes de Jésus. Et de nouveau des mots, toujours des mots, beaucoup de mots, pour tenter de réussir l’impossible quadrature du cercle. Aucun document en provenance du Vatican, pas même les savantes pirouettes du cardinal Kasper, n’a été si proche d’y arriver. Et le cardinal Erdö a dit hardiment, au nom du comité, que certaines questions restent ouvertes : ou vous donnez la communion, ou vous ne la donnez pas.

Mais il y a un léger contrepoid à ces développements par ailleurs alarmants.

Hier soir, j’ai parlé durant le repas avec quelqu’un impliqué dans la procédure. Cette personne doit rester anonyme, bien évidemment, et son avis pourra ou non être déterminant. Mais il se pourrait que les évêques eux-mêmes aient été surpris par ce document. La relatio d’un synode est généralement présentée seulement à la fin de l’événement, et est présentée au pape comme le résultat de travail du groupe dont il a sollicité les conseils. La procédure est clairement différente cette fois. Il y a encore une semaine entière de travail avec les petits groupes linguistiques se réunissant les jours prochains, et l’ensemble des participants se réunissant de nouveau seulement jeudi.

Mais même si ceux en arrière de la scène nous assurent que les évêques sont conscients de pouvoir être mal compris et que le document final ou la procédure entière est différente de ce qu’elle semble (et je dois dire que mon informateur a mon entière confiance), l’Eglise s’est mise dans de sales draps. Et pourquoi, je vous prie, un texte aussi pauvrement conçu, notoirement imparfait et profondément trompeur ?

La relatio conclut :

58. La réflexion mise en avant, les fruits du dialogue synodal, qui prend place dans une grande liberté et un esprit d’écoute réciproque, sont prévus pour faire émerger les problèmes et indiquer des perspectives qui devront être mûries et clarifiées par la réflexion des églises locales durant l’année qui nous sépare de l’assemblée générale ordinaire du synode des évêques prévue pour octobre 2015. Ce ne sont pas des décisions prises, non plus que de simples points de vue. De même, le cheminement collégial des évêques et l’implication de tout le peuple de Dieu nous mènera à trouver des chemins de vérité et de miséricorde pour tous. C’est le voeu que depuis le commencement de notre travail le pape François a formulé pour nous, nous invitant au courage de la foi et à l’humble et loyal accueil de la vérité dans la charité.

De beaux sentiments, mais la seule chose que le monde retiendra de tout ça, c’est que l’Eglise copine avec les gays. Que le ton et peu-être même l’enseignement donnent l’impression de changer. Que les catholiques divorcés remariés seront bientôt autorisés à communier selon une procédure que personne ne peut encore expliquer sans paraître cancaner. mais cela arrivera.

La réalité peut bien s’avérer différente, mais c’est le message que le synode envoie, intentionnellement ou non. Nous verrons sous peu si ce message peut être rectifié.


Robert Royal est rédacteur en chef de The Catholic Thing.

Source : http://www.thecatholicthing.org/syn…