Le célibat est-il la cause de la pédophilie chez certains prêtres ?

Après la lecture des articles de presse concernant l’incarcération d’un prêtre de notre diocèse, on entend certaines personnes dire : c’est parce que les prêtres ne peuvent pas se marier Question : le célibat serait-il cause de pédophilie présumée chez certains prêtres ? Donnons la parole à des spécialistes de ces questions.

1. Personne ne devient pédophile par manque de rapports sexuels avec un adulte.

Le professeur Kröber, directeur de l’Institut de Médecine Légale – spécialité psychiatrie, de l’Université de Berlin, est l’un des plus prestigieux professeurs de sa spécialité en Allemagne.

Interrogé sur les abus sur mineurs commis par des prêtres ou religieux, il a infirmé que le problème ait son origine dans le célibat. La probabilité qu’un célibataire commette un abus sexuel est de un sur 40, dit-il. Hans-Ludwig Kröber est enseignant et chercheur à la « Charité » qui est une clinique qui est en lien avec l’Université Libre de Berlin et l’Université Humbold. Plus de la moitié des prix Nobel allemands sont issus de cette institution.

Ses déclarations ont d’autant plus d’intérêt que Kröber, qui dans sa jeunesse a milité dans les jeunesses communistes, se proclame publiquement athée, quoique ses recherches soient hautement appréciées de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi du Vatican. L’Institut de Kröber mène des études sur des cas de pédophilie anciens, tous les ans il émet des rapports sur les auteurs et les victimes de délits d’abus sexuel sur mineurs. Le professeur s’est occupé personnellement de la problématique des ecclésiastiques quand il a fait partie en 2003 de la commission d’experts créée par le Vatican.

En ce qui concerne les délinquants d’abus sexuels sur mineurs, « ils sont extrêmement rares parmi les personnes célibataires, et en aucun cas on peut dire que le célibat est la cause de la pédophilie ». « Le pédophile typique n’est en aucun cas une personne qui s’efforce de vivre l’abstinence sexuelle », conclue Kröber.

« S’il fallait émettre une hypothèses de suspicion, il faudrait tenir compte du fait que le risque est plus grand dans un club sportif, et que le nouveau compagnon d’une mère célibataire ou divorcée peut être un danger plus grand pour un mineur, tant en ce qui concerne la violence que l’abus sexuel. Il ne serait pas nécessaire de démontrer aux moyens de statistiques que le célibat n’entraîne pas la pédophilie (même si bien sûr, il y a quelques pédophiles qui optent pour le célibat) ».

Les authentiques pédophiles sont des personnes qui ont déjà eu une activité sexuelle précoce intense et non pas des personnes adultes avec une « surproduction hormonale » par manque de partenaire. Croire que le manque de partenaire tôt ou tard débouche sur la perte de l’orientation sexuelle d’origine est « scientifiquement une sottise ».

Selon Kröber, qui base ses affirmations sur les chiffres en provenance des tribunaux allemands et de l’Église, personne ne devient pédophile par manque de rapports sexuels avec un adulte. « Après une phase d’abstinence sexuelle », on ne commence pas d’un seul coup à rêver à des mineurs et à cesser de rêver à des femmes plein d’attraits : pour un mâle hétérosexuel, les enfants sont et seront sans intérêt ». Dans une étude statistique détaillée, Kröber démontre que la probabilité pour qu’un célibataire commette un abus sexuel en Allemagne est de un sur 40.

Depuis 1995 seulement 0,045 % des auteurs en cas de soupçon d’abus sexuels enregistrés en Allemagne sont des prêtres ou des religieux. Concrètement et dans le cas des abus sexuels sur mineurs, l’étude démontre que la proportion de délinquants célibataires ecclésiastiques en comparaison avec des non célibataires est de un pour 40 (en partant de la suspicion de délit) et de un sur 20 dans les cas des sentences prononcées.

(Extraits d’un article publié sur l’agence Zenit, stocké sur mon ordinateur, mais qui n’est plus en ligne actuellement.. Fiche wikipedia du prof. Kröber en allemand https://de.wikipedia.org/wiki/Hans-Ludwig_Kröber)

 

2. De nombreuses plaintes, mais un nombre de prêtres pédophiles limités, un très petit nombre de super-prédateurs

Philip Jenkins, professeur à l’université de Pennsylvanie (États-Unis), est spécialiste de l’histoire des religions et auteur de Pedophiles and Priests. Anatomy of a Contemporary Crisis (Oxford University Press, 2001).

Dispose-t-on de statistiques sur la prévalence de la pédophilie au sein du clergé catholique ?

La meilleure étude sur le sujet est probablement celle du John Jay College of Criminal Justice de New York, publiée en 2004, qui examine toutes les plaintes pour abus sexuel déposées contre le clergé américain entre 1950 et 2002. Elle montre qu’environ 4,5 % de tous les prêtres américains (environ 100 000 hommes sont en activité sur cette période) ont été accusés d’au moins un acte sexuel répréhensible perpétré contre un mineur (en dessous de 18 ans).

Cela dit, ce chiffre surestime probablement la réalité. Même si certains cas n’ont jamais été portés à la connaissance des autorités judiciaires, ce total englobe un grand nombre de cas basés sur des accusations faibles. Pour une grande partie de ceux-ci, les charges ont été abandonnées. En outre, sur les 4 392 prêtres accusés, près de 56 % ne l’ont été que pour un seul acte.

Comment expliquer le nombre de plaintes si le nombre de prêtres pédophiles est si limité ?

Si l’on se penche sur l’étude, on constate qu’un tout petit nombre de prêtres concentre l’essentiel des accusations. Ces « agresseurs compulsifs » sont parfois à l’origine de plusieurs centaines de plaintes chacun. Un groupe réduit de 149 prêtres rassemble à lui seul un quart des accusations sur un demi-siècle. Le comportement de ces « super-prédateurs » explique un autre résultat remarquable de cette étude : la surreprésentation des très jeunes enfants au sein de la cohorte des victimes.

Nous arrivons donc à un total de 200 enfants agressés par an, sur toute la période de l’étude, avec une Église qui compte entre 45 et 55 millions de membres, et environ 50 000 prêtres en activité par an.

Quant à savoir si ce chiffre est bas ou élevé, nous n’en avons aucune idée. Aucune étude portant sur un autre groupe religieux, ou sur d’autres institutions en relation avec des enfants n’ayant été menée avec la même ampleur et le même niveau de détail. Je sais juste que certaines études montrent un taux d’abus supérieur dans les écoles laïques, mais les preuves scientifiques ne sont pas assez consistantes. […]

L’attitude de l’Église catholique s’inscrit dans un mouvement culturel et social de fond

La réponse de l’Église aux abus sexuels commis en son sein s’inscrit largement dans le contexte législatif, politique et moral de l’époque, et évolue en fonction entre 1950 et aujourd’hui. Dans les années 60 et 70, l’Église a cru pouvoir traiter le problème en déplaçant les prêtres et en les incitant à se soigner.

Depuis le début des années 90, on assiste en revanche à un développement de procédures à grande échelle pour prévenir la pédophilie et répondre de façon efficace aux plaintes. Depuis 2002, l’Église catholique américaine a adopté une attitude de « tolérance zéro » qui prévoit la suspension immédiate de tout religieux soupçonné d’abus. Par ailleurs, la médiatisation des affaires de pédophilie, culminante aux États-Unis vers 2002-2003, a largement incité les autorités catholiques à prendre des mesures radicales.

Pour en savoir plus : l’étude du John Jay College of Criminal Justice de New York

Propos recueillis par Audrey Fournier. LEMONDE.FR | 08.04.10

 

3. Une psychiatre australienne, Carolyn Quadrio, estime que le célibat des prêtres n’est pas la cause des abus sexuels

Une psychiatre australienne, interrogée lundi 25 mai 2015 par la Commission royale sur les réponses institutionnelles aux abus sexuels sur mineurs, a souligné que, si ces abus étaient plus fréquents dans l’Église catholique, on ne pouvait les mettre en relation avec le célibat sacerdotal.

Professeur associé à l’École de psychiatrie de l’Université de Nouvelle-Galles du Sud et travaillant depuis les années 1980 sur les abus sexuels, notamment dans l’Église catholique, Carolyn Quadrio a souligné que l’Église catholique était sans doute l’institution la plus touchée par la question des abus sexuels sur mineurs.

Mais pour cette psychiatre formée par les théories féministes et les études de genres, si la question du célibat ecclésiastique est « importante », il est exagéré d’affirmer qu’il est la cause des abus sexuels commis par des membres du clergé.

« Je ne pense pas que le célibat conduise aux abus, mais je pense que des hommes qui sont déjà attirés par des enfants comme objets sexuels se sentiront plus à l’aise dans le sacerdoce », a-t-elle expliqué rappelant qu’il y avait aussi des abuseurs « dans des religions où les prêtres peuvent se marier ».

« Mais dans la majorité des cas, et spécialement dans un contexte catholique », il s’agit d’hommes « qui ont clairement une orientation exclusive vers les enfants ».

Pour elle, la cause du nombre important d’abus dans l’Église serait plus à chercher dans la structure hiérarchisée de l’Église que dans le célibat.

« Je pense que tout est une question de degré de contrôle, a-t-elle expliqué. Il s’agit d’une organisation très contrôlée, avec une hiérarchie stricte et où vous avez beaucoup de contrôle sur les gens. »

Or, c’est précisément ce genre d’institution qui attire les abuseurs. « Beaucoup recherchent les situations où ils peuvent avoir accès aux enfants, être en situation d’autorité et avoir la couverture d’une profession très respectée. »

Pour Carolyn Quadrio, le dépistage de ces prédateurs est extrêmement difficile. « Beaucoup de délinquants vont éviter de montrer toute anomalie psychologique ou psychiatrique, a-t-elle insisté. Ce n’est évidemment pas quelque chose que quelqu’un va révéler. »

> « Dans ce genre de dépistage, beaucoup dépend de ce que les gens disent volontairement sur leur pensée, leurs fantasmes, ce qui les anime, et je pense qu’il est très difficile d’obtenir une divulgation complète des gens qui vont travailler dans les institutions. »

Pour elle, c’est ici que, dans l’Église catholique, le célibat peut jouer un rôle, car il n’est pas possible de mesurer ce qu’elle appelle « l’adaptation sexuelle normale », c’est-à-dire le comportement sexuel habituel d’un futur prêtre.

> Également interrogée sur le jeune âge de certains candidats au sacerdoce, elle a reconnu que cela pouvait être un problème : « Je pense qu’il peut arriver qu’un jeune homme qui a des problèmes dans son développement sexuel et qui ne se développe pas selon les lignes habituelles sera évidemment attiré par un environnement où il ne doit pas prouver qu’il est ajusté sexuellement au sens conventionnel du terme, a-t-elle expliqué. Un jeune homme immature sera également attiré par un environnement où il y a une structure hautement organisée et où il obtiendra immédiatement un statut professionnel ».

Site La Croix du 26 mai 2015

 

4. Lutter contre la pédophilie, repères pour les éducateurs

Cette excellente brochure, « Lutter contre la pédophilie, repères pour les éducateurs » est publiée par le Service information et communication de la Conférence des Évêques de France, et se trouve en téléchargement à cette adresse :

http://www.eglise.catholique.fr/sengager-dans-la-societe/lutter-contre-la-pedophilie/371084-la-brochure/

***

La vérité n’est pas  : un prêtre pédophile est un prêtre qui est devenu un pédophile. Mais : un prêtre pédophile est un pédophile qui est devenu prêtre. La pédophilie est une structure psychologique perverse qui entraîne une personnalité clivée. La question-clé n’est pas la discipline du célibat, mais celle de la détection de cette structure psychologique, et donc d’une prévention par une meilleure sélection à l’entrée.

DA, juin 2015