Le pape au Congrès américain

pape_congres_americainSur le site du Journal La Croix, une synthèse d’Anne-Bénédicte Hoffner

« Chaque fils ou fille d’un pays a une mission, une responsabilité personnelle et sociale. » C’est par ces mots que le pape François s’est adressé aux membres du Congrès des États-Unis jeudi 24 septembre 2015. Saluant successivement « quelques-unes des richesses de (l’) héritage culturel, de l’esprit du peuple américain », il l’a, à plusieurs reprises, « encouragé dans (son) effort ».

1/LE FONDAMENTALISME

« Notre monde devient de plus en plus un lieu de violent conflit, de haine et d’atrocités brutales, perpétrées même au nom de Dieu et de la religion. Nous savons qu’aucune religion n’est exempte de formes d’illusion individuelle ou d’extrémisme idéologique. Cela signifie que nous devons faire spécialement attention à tout type de fondamentalisme, qu’il soit religieux ou de n’importe quel autre genre ». Sans s’engager dans la question d’une intervention armée en Irak ou en Syrie – qui, de l’avis général, ne pourrait se faire sans l’appui des États-Unis –, le pape s’en tient à rappeler « l’équilibre délicat (…) pour combattre la violence perpétrée au nom d’une religion, d’une idéologie ou d’un système économique, tout en sauvegardant aussi la liberté religieuse, la liberté intellectuelle et les libertés individuelles. » Le pape fait peut-être allusion aux tensions créées par la peur du terrorisme islamiste dans nombre de pays occidentaux.

Immédiatement, il mentionne d’ailleurs « une autre tentation dont nous devons spécialement nous prémunir : le réductionnisme simpliste qui voit seulement le bien ou le mal ; ou, si vous voulez, les justes et les pécheurs ». Pour le pape, « le monde contemporain, avec ses blessures ouvertes » implique de rejeter « toute forme de polarisation qui le diviserait en deux camps ». « Imiter la haine et la violence des tyrans et des meurtriers est la meilleure façon de prendre leur place », rappelle-t-il.

2/ LA COOPÉRATION

« Notre réponse doit au contraire être une réponse d’espérance et de guérison, de paix et de justice. Nous sommes appelés à unir le courage et l’intelligence pour résoudre les nombreuses crises géopolitiques et économiques actuelles ». Pour le pape, l’heure est à une revivification de cet esprit de coopération, qui a « accompli tant de bien tout au long de l’histoire des États-Unis. »

Rappelant – en lien avec la Doctrine sociale de l’Église – que la politique doit être « au service de la personne humaine » et du « plus grand bien commun, celui de la communauté, il juge urgent de mettre « en commun nos ressources ainsi que nos talents (…) dans le respect de nos différences et de nos convictions dictées par la conscience ».

3/ LES « NATIVE AMERICANS »

« Nous, le peuple de ce continent, nous n’avons pas peur des étrangers, parce que la plupart d’entre nous était autrefois des étrangers. Je vous le dis en tant que fils d’immigrés, sachant que beaucoup d’entre vous sont aussi des descendants d’immigrés. Tragiquement, les droits de ceux qui étaient ici longtemps avant nous n’ont pas été toujours respectés ». Au lendemain de la canonisation du P. Junipero Serra, l’évangélisateur de la Californie, le pape François a tenu à redire sa « plus haute estime » à « ces peuples et à leurs nations, du cœur de la démocratie américaine ».

L’occasion aussi, d’appeler les Américains, à ne « pas répéter les péchés et les erreurs du passé ». « Nous devons nous résoudre à présent à vivre de manière aussi noble et aussi juste que possible, alors que nous éduquons les nouvelles générations à ne pas tourner le dos à nos ‘‘voisins’’, ni à rien autour de nous », a-t-il lancé aux membres de ce Congrès américain, auxquels est reproché un certain isolationnisme. « Bâtir une nation nous demande de reconnaître que nous devons constamment nous mettre en relation avec les autres (…) dans un constant effort pour faire de notre mieux ».

4/ LES RÉFUGIÉS

« Notre monde est confronté à une crise de réfugiés d’une ampleur inconnue depuis la Seconde Guerre Mondiale. Cette crise nous place devant de grands défis et de nombreuses décisions difficiles ». Rappelant que ces « milliers de personnes sont portées à voyager vers le Nord à la recherche d’une vie meilleure pour elles-mêmes et pour leurs proches », le pape François a choisi l’angle de la morale pour s’adresser au Congrès  : « N’est-ce pas ce que nous voulons pour nos propres enfants ? (…) Souvenons-nous de la Règle d’Or : « Tout ce que vous voudriez que les autres fassent pour vous, faites-le pour les autres aussi » (Mt 7, 12) ».

Conscient que son appel lancé aux paroisses d’accueillir une famille de réfugiés suscite des réticences, le pape l’affirme  : « Cette règle nous indique une direction claire. Traitons les autres avec la même passion et compassion avec lesquelles nous voulons être traités ».

5/ LA PEINE DE MORT

« Cette conviction m’a conduit, depuis le début de mon ministère, à défendre, à différents niveaux, la cause de l’abolition totale de la peine de mort. Je suis convaincu que ce chemin est le meilleur, puisque chaque vie est sacrée, chaque personne humaine est dotée d’une dignité inaliénable, et la société ne peut que bénéficier de la réhabilitation de ceux qui sont reconnus coupables de crimes ». Sur ce point, le pape François dit son « soutien » et « ses encouragements » aux évêques américains qui ont récemment « renouvelé leur appel pour l’abolition de la peine de mort ».

6/ LA LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ

« Je voudrais vous encourager à vous souvenir de tous ces peuples autour de nous, enlisés dans le cycle de la pauvreté. Ils ont besoin eux aussi qu’on leur donne l’espérance. La lutte contre la pauvreté et la faim doit être menée constamment et sur plusieurs fronts, spécialement en prenant en considération leurs causes ».

Tout en rappelant le travail de « beaucoup d’Américains » sur le front de la lutte contre la pauvreté, le pape François rappelle les mots d’ordre de la Doctrine sociale de l’Église  : juste utilisation des ressources naturelles, convenable application de la technologie pour « une économie qui vise à être moderne, inclusive et durable ».

7/ LA SAUVEGARDE DE LA CRÉATION

« Ce bien commun inclut aussi la terre, un thème central de l’Encyclique que j’ai écrite récemment afin ’d’entrer en dialogue avec tous au sujet de notre maison commune’. ’Nous avons besoin d’une conversion qui nous unisse tous, parce que le défi environnemental que nous vivons, et ses racines humaines, nous concernent et nous touchent tous’ ».

Reprenant les mots de son encyclique Laudato si’, il invite les responsables américains – parmi lesquels se trouvent encore quelques climatosceptiques – « à un effort courageux et responsable (…) pour inverser les effets les plus graves de la détérioration environnementale causée par l’activité humaine ». « Je suis certain que nous pouvons faire la différence et je n’ai aucun doute que les États-Unis – et ce Congrès – ont un rôle important à jouer », insiste-t-il à la veille de la COP21.

8/ CUBA, COLOMBIE, IRAN  ?…

« Dans cette perspective de dialogue, je voudrais reconnaître les efforts réalisés au cours des derniers mois pour aider à surmonter les différences historiques liées à de déplorables épisodes du passé. C’est mon devoir de bâtir des ponts et d’aider tous les hommes et toutes les femmes, de toutes les manières possibles, à faire de même. Lorsque des pays qui avaient été en désaccord reprennent le chemin du dialogue – un dialogue qui aurait pu avoir été interrompu pour des raisons les plus légitimes – de nouvelles opportunités s’offrent pour tous ».

Sans précision de noms ou de lieux, le pape François salue le « courage et (la) hardiesse » de ces dirigeants qui, « ayant à l’esprit les intérêts de tous », ont su saisir « le moment dans un esprit d’ouverture et de pragmatisme » et opérer des rapprochements politiques ou diplomatiques audacieux.

9/ LE COMMERCE DES ARMES

« Être au service du dialogue et de la paix signifie aussi être vraiment déterminé à réduire et, sur le long terme, à mettre fin aux nombreux conflits armés dans le monde. Ici, nous devons nous demander : pourquoi des armes meurtrières sont-elles vendues à ceux qui planifient d’infliger des souffrances inqualifiables à des individus et à des sociétés ? Malheureusement, la réponse, comme nous le savons, est simple : pour de l’argent ; l’argent qui est trempé dans du sang, souvent du sang innocent. Face à ce honteux et coupable silence, il est de notre devoir d’affronter le problème et de mettre fin au commerce des armes ».

10/ LA FAMILLE

Enfin, rappelant qu’il achèvera ce week-end sa visite aux États-Unis en prenant part à la Rencontre mondiale des familles à Philadelphie, il termine son discours en leur rendant hommage. « Que la famille a été importante pour la construction de ce pays ! Et combien elle demeure digne de notre soutien et de notre encouragement ! »

Mais au Congrès américain, il dit aussi sa « préoccupation pour la famille, qui est menacée, peut-être comme jamais auparavant, de l’intérieur comme de l’extérieur ». « Les relations fondamentales sont en train d’être remises en cause, comme l’est la base même du mariage et de la famille », dénonce-t-il avant d’attirer l’attention « sur ses membres les plus vulnérables : les jeunes ». « Au risque de simplifier à l’extrême, nous pourrions dire que nous vivons dans une culture qui pousse les jeunes à ne pas fonder une famille, parce qu’il n’y a pas de perspectives d’avenir ».

« Leurs problèmes sont nos problèmes. Nous ne pouvons pas les éviter. Il nous faut les affronter ensemble, échanger à ce sujet et chercher des solutions efficaces au lieu de nous enliser dans des discussions », conclut-il, à la veille de la deuxième assemblée du Synode sur la famille qui se tiendra, à Rome, du 4 au 25 octobre.