La croix du célibat

gobilliardLa « croix » du célibat et les richesses du ministère par le recteur de la cathédrale du Puy-en-Velay. Dans cette longue lettre écrite lors d’une mission à Madagascar mais jamais rendue publique avant lundi 5 octobre 2015, le P. Emmanuel Gobilliard évoque la « croix » du célibat, la « vraie souffrance » de ne pas avoir d’enfants, mais aussi les « richesses » et le « bonheur » de son ministère sacerdotal.

Le P. Emmanuel Gobilliard, recteur de la cathédrale du Puy-en-Velay (Haute-Loire), a rendu public un long texte où il fait part de ses difficultés et sa joie à vivre son célibat sacerdotal. Écrite en 2012, alors qu’il était en mission pour plusieurs mois à Madagascar, et adressée à ses fidèles et confrères de Haute-Loire, cette lettre, dernière d’une série de 4, était jusqu’alors restée confidentielle car, explique-t-il, il n’avait « jamais osé l’envoyer ». Le P. Gobilliard a finalement choisi de la publier lundi 5 octobre, deux jours après les déclarations d’un prélat de la Curie romaine sur sa relation avec un homme, « alors que le célibat sacerdotal n’est pas ou mal compris et que la question est souvent abordée ces temps-ci dans les médias ».

Écrite au fil de plusieurs jours au cours de la semaine sainte 2012, alors que le prêtre souffrait d’une forte fièvre, cette longue lettre évoque son « doute » de la décision prise « en venant à Madagascar ». « Dieu est absent. Je me sens seul », écrit-il avant d’ajouter : « La solitude me pèse, le célibat aussi ».

Plusieurs paragraphes plus loin, après avoir évoqué les célébrations de Pâques, le P. Gobilliard raconte une rencontre avec les séminaristes de Fianarantsoa à qui il donnait un enseignement.

« Un séminariste m’a demandé si j’avais vraiment choisi le célibat en décidant d’entrer au séminaire, écrit-il. Je lui ai répondu : “Non… comment veux-tu qu’à 21 ans on puisse choisir librement de renoncer à ce à quoi tout notre être, notre corps et notre âme aspire ?” ». Puis le P. Gobilliard explique s’être, le soir, « reposé la question en essayant d’être le plus honnête possible, c’est-à-dire en essayant de ne pas (s) e réfugier derrière des réponses pieuses, ou institutionnelles… »

« LE CÉLIBAT EST UNE CROIX ; LE FAIT DE NE PAS AVOIR D’ENFANT EST UNE VRAIE SOUFFRANCE »
« Il arrive en effet qu’on fasse peur aux jeunes, parce que notre vie fait peur, et parce que, par orgueil, nous nous présentons un peu trop comme des “extra-terrestres” que Dieu par sa grâce aurait “guéris” de tout désir sexuel, et dont la sensibilité aurait été comblée par l’amour de Dieu, écrit le recteur de la cathédrale du Puy. Tout cela est faux ! Le célibat est une croix ; le fait de ne pas avoir d’enfant est une vraie souffrance. Ce choix, il faut de nombreuses années pour le comprendre et un solide bon sens pour, l’ayant compris, en rendre grâce !»

En entrant au séminaire, raconte-t-il encore, il a « été attiré par la vocation sacerdotale » et en a « accepté le célibat » parce qu’il n’avait « pas le choix ». « Si j’avais eu le choix, je me serais peut-être marié, reconnaît-il. Pour choisir, en vérité le célibat, il faut faire une rencontre authentique et bouleversante, il faut vivre un authentique coup de foudre. Souvent, avec Dieu, cette rencontre est progressive, faite de lumière mais aussi de nuits ». Puis le prêtre évoque avec humour « l’épreuve infligée à Harrison Ford à la fin d’un des épisodes d’Indiana Jones », qui doit franchir un précipice en marchant dans le vide. « Si mes souvenirs sont bons, la poutre apparaît à mesure que le héros avance ! La foi, c’est un peu cela : accepter d’avancer et de ne comprendre qu’à mesure qu’on avance ».

« LE CÉLIBAT, JE L’AI CHOISI PROGRESSIVEMENT »
« Ainsi donc, poursuit-il, je peux dire, au risque de choquer certains, que le célibat, je l’ai choisi progressivement. Heureusement que l’Église ne m’a pas donné le choix, sinon je ne l’aurais pas choisi. Je n’en aurais pas goûté toutes les richesses et je n’aurais pas pu exercer mon ministère avec autant de bonheur ». Avant de raconter le jour où il a « à la fois compris et accepté (s) on célibat ». « J’étais déjà prêtre, écrit-il. C’était à l’hôpital Spallanzani, hôpital de phase terminale des maladies infectieuses où j’étais aumônier. Mario, auprès de qui je me trouvais, était en train de mourir du Sida. Un jour, me regardant bien dans les yeux, il m’a dit : “je crois avoir compris le célibat des prêtres !” Du tac au tac, je lui ai répondu : “Eh bien explique-moi parce que moi, je n’ai pas tout compris !” Il a réfléchi et paisiblement il m’a dit : “quand tu es là, je me repose dans ton cœur !” Je n’avais toujours pas compris, alors je lui ai demandé des explications. Il a ajouté : “Quand les dames de la Croix-Rouge viennent, ce n’est pas pareil ! Elles sont mariées, elles ont des enfants et des petits-enfants, et je suis content qu’elles prennent de leur temps pour venir me voir. Je les trouve généreuses. Quand toi, tu viens, je trouve cela normal ! Il n’y a personne dans ton cœur que tu dois aimer plus que moi lorsque tu es à côté de moi. Ton cœur est libre d’être pour moi tout seul, et c’est cela qui me repose. Quand tu viens, j’ai l’impression d’être vraiment important, je sais que, au moment où tu es dans cette chambre d’hôpital, il n’y a personne qui, pour toi, soit plus important que moi. Si tu étais marié, alors je saurais qu’il y a dans ton cœur quelqu’un de plus important que moi et ce serait normal. Pareil si tu avais des enfants. Toi, non seulement il n’y a personne dans ton cœur qui soit plus important que moi, mais en plus tu as choisi cette vie. C’est une situation que tu as voulue. Cela me rend heureux.” » Le célibat que vit le prêtre diocésain, ajoute ensuite le P. Gobilliard, « c’est le célibat même du Christ » même si « tout cela nous dépasse et, bien sûr nous ne sommes jamais à la hauteur de l’exigence que ce célibat implique ».

Clémence Houdaille

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