Pour une spiritualité écologique

Patriarche Batholoméos, journal La Croix du 8 déc. 2015

Lire le livre de la nature. Apprendre à regarder la création. Comprendre l’interdépendance entre l’humain et son environnement. C’est tout cela que nous appelons une spiritualité écologique. Pourtant, il faut aller encore plus loin et dire le nom de « Dieu » lorsque nous parlons du créé. Car selon la tradition théologique de l’Église orthodoxe, il ne peut y avoir de spiritualité en dehors de l’action transfiguratrice de l’Esprit Saint. La nature est inséparable du don gratuit de la création par lequel Dieu nous rend responsables de sa préservation et de sa sauvegarde. Le don de la nature est l’expression aimante d’une beauté harmonieuse par laquelle la marque du divin ne saurait être épuisée.

Les décennies d’expérience du Patriarcat œcuménique en matière de protection de l’environnement ont montré que la question du salut n’est pas indépendante du traitement de la création. Dans cette attention particulière se rejoignent le séculier et le spirituel. Distinguant ce qui relève du monde, au sens de l’Apôtre Paul, et ce qui relève de la création du monde, la tradition orthodoxe est attachée au déploiement du mystère de la grâce dans cette dernière, faisant de toute chose un sacrement du Royaume. C’est précisément cette vision qu’envisageait saint Isaac le Syrien, un mystique du VIIe siècle, lorsqu’il considérait comme but de la vie spirituelle l’acquisition « d’un cœur miséricordieux qui brûle d’amour pour la création tout entière… pour toutes les créatures du Dieu ».

Mais s’il fallait résumer en un mot ce que nous entendons par spiritualité écologique, nous dirions : conversion. Par conversion, il faut comprendre la transformation de l’être intérieur comme le point de départ d’un changement extérieur. Les scientifiques mettent inlassablement en avant la nécessité d’une mutation radicale de nos modes de vie, afin de limiter les actions polluantes qui influent sur les changements climatiques. Il s’agit ici d’une réalité que le christianisme appelle metanoïa , un retournement tout entier de l’être. Ce dernier encourage, dans la tradition patristique des Pères du désert – ces spirituels qui ont forgé à travers des siècles d’expérience ascétique un regard transparent sur l’humanité –, à constamment interroger la nécessité de nos besoins, afin de dissocier ce qui relève de la convoitise et ce qui relève du bien. L’éthique et la morale ne sont pas très loin et doivent permettre l’émergence des droits de la terre elle-même. Tel est le sens de l’effort qui est attendu de nous aujourd’hui : sortir de l’égoïsme dans lequel l’inertie de nos habitudes nous a fait tomber, et découvrir la sobre liberté que nous apporte la conversion du cœur, la pratique du jeûne et de la prière.

Aussi, nous nous réjouissons tout particulièrement des récentes prises de position de Sa Sainteté le pape François qui non seulement engage notre Église sœur de Rome sur le chemin irréversible d’une spiritualité écologique, mais bien au-delà toutes les personnes de bonne volonté prêtes à mettre en commun leur force pour que nous soyons les acteurs éclairés d’une indispensable transition écologique. L’encyclique Laudato si’  rejoint parfaitement les préoccupations que nous n’avons cessé de porter depuis les années 1990, notamment lorsqu’elle déclare : « Nous devons reconnaître que, nous les chrétiens, nous n’avons pas toujours recueilli et développé les richesses que Dieu a données à l’Église, où la spiritualité n’est déconnectée ni de notre corps, ni de la nature, ni des réalités de ce monde ; la spiritualité se vit plutôt avec celles-ci et en elles, en communion avec tout ce qui nous entoure » (n. 216). La spiritualité écologique devient alors inséparable de la recherche d’unité des Églises sœurs de Rome et de Constantinople. En d’autres termes, la spiritualité écologique doit aussi être la condition sine qua non d’une spiritualité œcuménique.

« Mon livre n’est autre que le livre de l’univers ; en lui, je lis les œuvres de Dieu » disait saint Antoine d’Égypte au IVe siècle. Une authentique spiritualité écologique en revient dès lors à apprendre à déchiffrer l’ouvrage de la création en la protégeant activement, comme s’il en allait de nos vies. Car c’est effectivement le cas. Réciproquement, nous devons accepter d’être nous-mêmes transformés par la beauté qui s’en dégage comme la condition inaliénable de notre propre préservation. Dostoïevski ne dit pas autre chose lorsqu’il écrit : « La beauté sauvera le monde. »