Célébrer « ad orientem » ? Une réaction de Mgr Wintzer

Sur le site du diocèse de Poitiers

Je ne sais si cela est spécifique à la France, mais je constate que les sujets qui, dans le catholicisme, sont le plus sujets à polémique, concernent la liturgie. Sans s’y limiter, ceci se vérifie dans les séminaires. Ecrivant avec le sourire et surtout en toute amitié pour ces prêtres à qui je dois tant, j’ai relevé que lorsque je fus membre d’une équipe de formateurs au Séminaire de Saint Sulpice, les confrères sulpiciens se gardaient bien d’enseigner la liturgie ou d’organiser les cérémonies, ils laissaient cela aux prêtres diocésains, sans toujours que la compétence de ces derniers soit plus avérée en ce domaine !

Pour cette raison, je mesure qu’il est délicat voire dangereux de modifier des pratiques liturgiques qui ont mis du temps à s’installer, même si elles le furent parfois à coup d’oukases et sans grande pédagogie. Alors que les nouvelles traductions des lectionnaires reçues paisiblement et positivement, la future nouvelle traduction du missel romain peut ouvrir à quelques craintes quant à sa réception. Même si cela ne touche que quelques formules, je crains que telle ou telle chose ne soit l’occasion de faire ressurgir des querelles stériles. A ceci s’ajoute la question de la nature d’une traduction : célébrer en français ce n’est pas célébrer en latin, chaque langue, chaque culture possède son génie propre ; une traduction n’est pas une translittération, elle est, comme le disent les Italiens une « trahison » au risque de passer à côté de ce que l’on entend servir. Quoi qu’il en soit, ce missel qui sera publié dans quelque temps devra être l’occasion d’une catéchèse de la liturgie eucharistique.

La liturgie, ce sont des paroles, certes, mais ce sont aussi des gestes, des attitudes. Depuis quelques semaines je m’interroge sur la volonté exprimée par le cardinal Sarah d’inciter à célébrer la messe « ad orientem » ; il a promu cette pratique de manière publique à différentes reprises. Bien entendu, pour récolter la tempête, il n’y a pas mieux que d’aborder un tel sujet – et peut-être que j’y concours aussi par ces lignes ? Je m’interroge cependant : celui qui préside et célèbre la messe serait-il davantage tourné vers Dieu lorsqu’il tourne le dos à l’assemblée ? Il me semble que si cela est vrai, définir ainsi l’orientation vers Dieu risque de l’amputer de nombre de ses dimensions. En effet, la liturgie tourne aussi vers le Seigneur lorsque nous entourons sa présence sur l’autel, ou bien lorsque nous sommes tournés vers l’ambon d’où sa Parole est proclamée, ou bien encore lorsque nous sommes tournés les uns vers les autres pour transmettre la paix reçue du Seigneur, mais aussi pour recevoir la paix qu’un frère et une sœur, présence vivante du Christ nous transmet, et aussi lorsque, ainsi que cela sera fait de manière plus solennelle lors de la clôture de l’année sainte de la miséricorde, nous franchirons la porte sainte, non plus pour entrer dans une église mais pour en sortir, le Seigneur sera-t-il laissé derrière-nous ? Il sera plutôt en nous, à la mesure où nous le laisserons se déployer, et aussi en celles et ceux que nous rencontrerons.

C’est vrai, à titre personnel, il peut m’arriver d’apprécier de célébrer la messe de manière « orientée », c’est-à-dire, pour parler clair, « dos au peuple ». D’abord certains lieux s’y prêtent plus que d’autres, des chapelles en particulier. Cette manière de célébrer peut aussi faciliter le recueillement et la prière personnelle, on y est moins « distrait » par ce qui se passe dans l’église. Cependant, la liturgie eucharistique n’est pas au service d’une dévotion, elle ne vient pas aider au recueillement de tel ou tel, fut-il prêtre, elle est la célébration du Christ qui se donne dans sa mort et dans sa résurrection, de celui qui a été crucifié à la face du monde.

Présider une messe de manière orientée s’applique à une manière plus personnelle, plus intime de célébrer ; ceci peut convenir à la messe de semaine ou à la messe de dévotion. Mais, la liturgie dominicale est festive, elle requiert la participation active de chacun, ce qui suppose à la fois l’attention intérieure et l’expression extérieure. Surtout, cette dernière n’est pas une manière de troubler le recueillement par des chants, des paroles et des gestes, elle appartient à la nature de l’acte liturgique.

D’autre part, derrière la revendication de ce sens de célébration, s’exprime une manière de mettre à sa place le prêtre, de le situer, avec toute l’assemblée dans un même mouvement qui les tournent vers Dieu. Les prêtres, et les évêques, ont-ils besoin de cela pour mieux exprimer leur juste place ? Courent-ils le risque d’occuper une place qui ne leur revient pas ? Celle de Dieu en l’occurrence ? Cette question est bien réelle, elle peut venir de prêtres mais aussi de fidèles qui « sacralisent » la personne du prêtre et lui rendent ainsi le plus mauvais des services, lui ôtant son poids d’humanité. Pourtant, la liturgie est-elle le lieu et le moyen de corriger ce qui doit l’être ? De grâce, que chacun, dont moi-même, demeure sur ses gardes : la liturgie est en danger lorsqu’elle devient l’instrument d’un programme, quel qu’en soit le sens… de face ou de dos, voire de droite ou de gauche.

+ Pascal Wintzer Archevêque de Poitiers Le 8 juillet 2016