L’Esprit Saint dans l’Ancien Testament

Ce sont les Apôtres eux-mêmes qui, dans la première prédication après la Pentecôte, présentent expressément la venue de l’Esprit comme l’accomplissement des promesses et annonces anciennes. Dans le cadre d’une préparation à l’effusion de l’Esprit, comment ne pas écouter ce que l’Ancien Testament peut nous dire sur l’Esprit Saint, par un rapide survol ? Le parcours proposé ici est extrait de catéchèses de Jean-Paul II, des mercredis 3 janvier au 21 mars 1990.

1. L’Esprit de Dieu, « vent » et « souffle » créateur

Dans la Bible. le terme hébreu qui désigne l’Esprit est « ruah ». Le premier sens de ce terme – celui aussi de sa traduction latine, « spiritus » – est « souffle ». Le souffle est la réalité la plus immatérielle que nous percevions ; nous ne le voyons pas, il est très subtil ; il n’est pas possible de le toucher, il semble n’être rien, et pourtant il a une importance vitale : celui qui ne respire pas ne peut vivre. Entre un homme vivant et un homme mort, il y a cette différence que le premier a le souffle et que l’autre ne l’a plus.

L’idée fondamentale exprimée par le nom biblique de l’Esprit n’est donc pas celle d’une puissance intellectuelle, mais celle d’une impulsion dynamique, comparable au mouvement du vent. Dans la Bible, la première fonction de l’Esprit n’est pas de faire comprendre mais de mettre en mouvement ; ni d’éclairer mais de communiquer un dynamisme.

Toutefois cet aspect n’est pas exclusif. D’autres aspects sont exprimés et préparent la révélation qui va suivre. Tout d’abord l’aspect d’intériorité. Le souffle, en effet, pénètre à l’intérieur de l’homme. Dans le langage biblique, cette constatation peut se traduire en disant, que Dieu répand l’esprit dans les cœurs (cf. Ez 36, 26 ; Rm 5, 5). L’air, très léger, pénètre non seulement dans notre organisme mais dans tous les espaces et interstices ; cela aide à comprendre que « l’Esprit du Seigneur remplit l’univers » (Sg 1, 7), et qu’il « pénètre » en particulier « tous les esprits » (7, 23), comme le dit le livre de la Sagesse.

À l’aspect d’intériorité se rattache l’aspect de connaissance. L’Esprit du Seigneur qui est présent à l’intérieur de tous les êtres de l’univers, connaît tout de l’intérieur (cf. Sg 1, 7).

2. L’Esprit de Dieu, « haleine » qui donne la vie

La manière dont est décrite la création de l’homme suggère un rapport avec l’esprit ou souffle de Dieu. On lit en effet que, après qu’il ait modelé l’homme avec la glaise du sol, le Seigneur Dieu « insuffla dans ses narines une haleine de vie, et l’homme devint un vivant », (Gn 2, 7). Le mot « haleine » (en hébreu neshama) est un synonyme de « souffle » ou « esprit » (ruah).

L’Écriture Sainte nous fait donc comprendre que Dieu est intervenu au moyen de son souffle ou esprit pour faire de l’homme un être animé. Dans l’homme il y a une « haleine de vie », que Dieu même a « soufflée ». Dans l’homme il y a un souffle ou esprit qui ressemble au souffle ou esprit de Dieu.

Le soir de Pâques, lorsque Jésus ressuscité apparaît aux disciples dans le Cénacle, il renouvelle sur eux la même action que Dieu créateur avait accomplie sur Adam. Dieu avait « soufflé » sur le corps de l’homme pour lui donner la vie. Jésus « souffle » sur les disciples et leur dit : « Recevez l’Esprit Saint » (Jn 20, 22).

Le souffle humain de Jésus sert ainsi à la réalisation d’une œuvre divine plus merveilleuse encore que la première. Il ne s’agit pas seulement de créer un homme vivant, comme dans la première création, mais d’introduire les hommes à la vie divine.

3. L’action directive du Saint Esprit

Déjà, dans l’histoire des patriarches, on observe qu’une main céleste les guide et les conduit dans leur cheminement, dans leurs déplacements, dans leurs aventures, une main céleste réalise un plan qui concerne leur « descendance ». Parmi eux se trouve Joseph, en qui réside l’Esprit de Dieu comme esprit de sagesse, découvert par le pharaon, qui demande à ses ministres : « Trouverons-nous un homme comme celui-ci, en qui soit l’esprit de Dieu ? » (Gn 41, 38).

Sur Moïse aussi, médiateur entre Yahvé et son peuple, agit l’Esprit de Dieu qui le soutient et le guide dans l’exode qui conduira Israël à avoir une patrie et à devenir un peuple indépendant, capable d’acquitter sa tâche messianique. Dans un moment de tension au sein des familles qui campaient dans le désert, lorsque Moïse se plaint auprès de Dieu de ne pouvoir, a lui seul, porter « le poids de tout ce peuple » (Nb 11, 14), Dieu lui commande de choisir soixante-dix hommes qui constitueront une première organisation du pouvoir directif pour ces tribus en chemin, et il lui annonce : « Je prendrai l’Esprit qui est sur toi pour le mettre sur eux. Ainsi, ils porteront avec toi la charge de ce peuple et tu ne seras plus seul à la porter. » (Nb 11, 17).

Au Livre des Juges, sont célébrés des hommes qui sont, au début, des « héros libérateurs » (…). Plusieurs fois dans le Livre, on attribue leur apparition et leur action victorieuse à un don de l’esprit. Ainsi, dans le cas d’Otniel, le premier des grands juges dont l’histoire est résumée. il est dit que « les Israélites crièrent vers Yahvé et Yahvé suscita aux Israélites un sauveur qui les libéra, Otniel. L’esprit de Yahvé fut sur lui ; il devint juge d’Israël » (Jg3,9-l0).

Quand se produisit le tournant historique des Juges aux Rois, sur la demande des Israélites d’avoir « un roi pour qu’il nous régisse, comme les autres nations » (1 S 8, 5), l’ancien juge et libérateur Samuel fit en sorte qu’Israël ne perde pas le sentiment de son appartenance à Dieu comme peuple élu et que l’élément essentiel de la théocratie – c’est-à-dire la reconnaissance des droits de Dieu sur le peuple – soit assuré. C’est l’onction des rois comme rite institutionnel qui est le signe de l’investiture divine plaçant un pouvoir politique au service d’une finalité religieuse et messianique.

Avec David, bien plus qu’avec Saül, l’idéal du roi oint par le Seigneur prend consistance : figure du futur Roi-Messie qui sera le vrai libérateur et sauveur de son peuple. Isaïe en particulier met en relief le rapport qui existe entre l’Esprit de Dieu et le Messie : « Sur lui repose l’esprit du Seigneur » (Is 11, 2). Ce sera encore un esprit de force mais, d’abord, un esprit de sagesse. Le saint esprit du Seigneur, son « souffle » (ruah), qui parcourt toute l’histoire biblique, sera donc donné en plénitude au Messie.

4. L’action prophétique du Saint Esprit

L’authentique tradition biblique défend et revendique l’idée vraie du prophète comme homme de la parole de Dieu, institué par Dieu, comme Moïse, et dans sa lignée (cf. Dt 18. 15 et s.). En effet. Dieu promit à Moise : « Je susciterai du milieu de leurs frères un prophète comme toi ; je mettrai mes paroles dans sa bouche et il dira tout ce que je lui aurai commandé » (Dt 18, 18).

Homme de la parole, le prophète doit être aussi « homme de l’esprit », comme l’appelait déjà Osée (9,7) : il doit avoir l’esprit de Dieu, et non seulement son esprit propre, puisqu’il doit parler au nom de Dieu. Parler au nom de Dieu requiert, chez le prophète, la présence de l’esprit de Dieu. Cette présence se manifeste par un contact qu’Ezéchiel appelle « vision ». Chez celui qui en bénéficie, l’action de l’esprit de Dieu garantit la vérité de la parole prononcée.

Ezéchiel a conscience d’être personnellement animé par l’esprit : « Un esprit entra en moi – écrit-il -, il me fit me lever et j’écoutai celui qui me parlait » (Ez 2, 2). L’esprit entre à l’intérieur de la personne du prophète. Il le fait se lever : il en fait donc un témoin de la parole divine. Il le soulève et le met en mouvement : « L’esprit me souleva… et m’emmena », (Ez 3, 12-14). Ainsi se manifeste le dynamisme de l’esprit (cf. Ez 8, 3 ; 11, 1. 5. 24 ; 43, 5).

L’aspect dynamique de l’action prophétique de l’Esprit divin ressort fortement dans les prophéties d’Aggée et de Zacharie : après le retour de l’exil, ils ont vigoureusement poussé les Hébreux rapatriés à se mettre au travail pour reconstruire le temple de Jérusalem. Le prophète Zacharie proclamait : « Voici la parole du Seigneur à Zorobabel : non pas par la puissance, ni par la force, mais avec mon esprit, dit le Seigneur des armées » (Za 4,6).

À l’époque qui a précédé plus immédiatement la naissance de Jésus, il n’y avait plus de prophète en Israël et on ne savait pas jusqu’à quand durerait cette situation (cf. Ps 74/73, 9 ; 1 M 9, 27). Un des derniers prophètes, Joël, avait cependant annoncé une effusion universelle de l’esprit de Dieu (Jl 3, 4), et elle devait se manifester par une extraordinaire diffusion du don de prophétie. Le Seigneur avait proclamé par son intermédiaire : « Je répandrai mon esprit sur tout être vivant et vos fils et vos filles prophétiseront ; vos vieillards auront des songes ; vos jeunes gens auront des visions » (3, 1).

Cette prophétie de Joël trouva son accomplissement le jour de la Pentecôte, de sorte que l’apôtre Pierre, s’adressant à la foule stupéfaite, put déclarer : « Aujourd’hui se réalise ce qu’avait prédit le prophète Joël » (Ac2).

5. L’action sanctificatrice de l’Esprit de Dieu

L’esprit divin, selon la Bible, n’est pas seulement une lumière qui éclaire, donnant la connaissance et suscitant la prophétie : il est aussi la force qui sanctifie. L’Esprit de Dieu, en effet, communique la sainteté parce que lui-même est « esprit de sainteté », « esprit saint ». Cette appellation est attribuée à l’esprit divin au chapitre 63 du Livre d’Isaïe.

Cette appellation retentit aussi dans le psaume 50/51 où, en demandant le pardon et la miséricorde du Seigneur, l’auteur l’implore : « Ne me chasse pas loin de ta face, ne me reprends pas ton esprit saint » (Ps 50/51, 13).

Le Livre de la Sagesse affirme l’incompatibilité entre l’Esprit saint et tout manquement à la sincérité ou à la justice : « L’esprit saint qui éduque fuit la duplicité, il s’écarte des discours insensés, il se retire quand survient l’injustice » (Sg 1, 5). Un rapport très étroit est ensuite affirmé entre la sagesse et l’esprit. Dans la sagesse, dit l’auteur inspiré, « se trouve un esprit intelligent et saint » (7, 22), qui est donc « sans tache », qui « aime le bien ». Cet esprit est l’esprit même de Dieu, parce qu’il est « tout-puissant et parce qu’il voit tout » (7, 23).

Dieu a promis le don de l’Esprit dans les cœurs, dans la célèbre prophétie d’Ezéchiel où il dit : « Je vous purifierai de toutes vos impuretés et de vos idoles. Je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau… Je mettrai en vous mon esprit ». (Ez 36. 23-27). Le résultat de ce don merveilleux, c’est la sainteté effective, vécue dans une adhésion sincère à la sainte volonté de Dieu. Grâce à la présence intérieure de l’Esprit Saint, les cœurs seront finalement dociles à Dieu. et la vie des fidèles sera conforme à la loi du Seigneur. Dieu dit : « Je mettrai mon esprit en vous, je vous ferai vivre selon mes lois, garder et mettre en pratique mes commandements » (Ez 36, 27). L’Esprit sanctifie ainsi toute l’existence de l’homme.

6. L’Esprit Saint et la purification du cœur

Le Psaume 50, où nous lisons : « Ne me reprends pas ton esprit saint » (v.13), mérite d’être étudié et médité de manière approfondie : il nous offre des aspects nouveaux de la conception de l’esprit divin de l’Ancien Testament, et nous aide à traduire la doctrine en pratique spirituelle et ascétique.

Le Psalmiste demande : « Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu, renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit. Ne me chasse pas loin de ta face, ne me reprends pas ton esprit saint. Rends-moi la joie d’être sauvé, qu’un esprit généreux me soutienne » (v. 12-14).

Son langage se fait plus que jamais expressif : il demande une création, c’est-à-dire l’exercice de la toute-puissance divine en vue d’un être nouveau. Seul Dieu peut créer (bara), c’est-à-dire donner l’existence à quelque chose de nouveau.

On demande encore un « esprit raffermi » (Ps 50. 12). c’est-à-dire l’insertion de la force de Dieu dans l’esprit de l’homme, libéré de la faiblesse morale dont il a fait l’expérience et que le péché a manifestée. Cette force, cette solidité, ne peuvent venir que de la présence active de l’esprit de Dieu.

7. La Sagesse et l’Esprit de Dieu

Dans le livre de la Sagesse, texte rédigé presque au seuil du Nouveau Testament, c’est-à-dire, selon certains auteurs récents, dans la seconde moitié du premier siècle avant le Christ, dans un milieu helléniste, le lien entre la sagesse et l’esprit est tellement souligné qu’on en arrive presque à les identifier. Dès le début, on y lit que « la sagesse est un esprit ami des hommes » (Sg 1,6). Elle se manifeste et se communique par la force d’un amour fondamental envers l’humanité. Mais cet esprit ami n’est pas aveugle et ne tolère pas le mal, même secret, des hommes « la sagesse n’entre pas dans une âme qui fait le mal, elle n’habite pas dans un corps esclave du péché. Car le saint esprit qui éduque fuit la duplicité, il se tient loin des discours insensés… » (Sg 1,4.6).

L’esprit du Seigneur est donc un esprit saint qui veut communiquer sa sainteté et exerce une fonction éducatrice « le saint esprit qui éduque » (Sg 1, 5). Parce qu’il est un esprit « ami des hommes », il ne veut pas seulement surveiller les hommes mais les remplir de sa vie et de sa sainteté.

Le livre de la Sagesse nous fait déjà entrevoir cet Esprit-Amour qui, comme la Sagesse, prend les traits d’une personne avec les caractéristiques suivantes : un esprit qui connaît tout et qui fait connaître aux hommes les desseins divins ; un esprit qui ne peut accepter le mal ; un esprit qui, par la sagesse, veut conduire tous les hommes au salut ; un esprit d’amour qui veut la vie ; un esprit qui remplit l’univers de sa présence bienfaisante.

8. L’Esprit divin et le Serviteur

Dans un texte d’Isaïe (du deutéro-Isaïe) est nettement affirmé le rapport entre l’esprit divin et le « Serviteur de Yahvé ». Dans la figure de ce Serviteur sont résumées les diverses formes d’action – prophétique, messianique, sanctificatrice dont nous avons parlé précédemment.

« Voici mon Serviteur que je soutiens, mon élu que je tiens en faveur. J’ai mis mon esprit sur lui » (Is 42, 1). Dès le début, donc, on affirme que la mission du Serviteur est l’œuvre de l’esprit de Dieu qui a été mis en lui. L’élection du Serviteur s’accompagne d’une effusion de l’Esprit, de sorte que l’on peut observer un rapport entre ce qui est dit du Serviteur du Seigneur et ce qu’avait prédit Isaïe du « petit germe » qui devait « sortir de la souche de Jessé » c’est-à-dire de la race de David : « Sur lui reposera l’esprit du Seigneur : esprit de sagesse et d’intelligence, esprit de conseil et de force, esprit de connaissance et de crainte du Seigneur » (Is 11, 2).

Le Serviteur sur lequel, selon le chant, « Dieu a mis son esprit » a la mission qui revient au roi messianique : libérer le Peuple. Lui-même a été établi « comme alliance du peuple et lumière des nations », pour ouvrir les yeux des aveugles, tirer du cachot les prisonniers, délivrer ceux qui habitent dans les ténèbres (cf. Is 42, 6-7 ; 49, 8-9 ; Lc 1, 79). Cette mission, qui est celle d’un prince et d’un roi, dans le cas du Messie est accomplie avec la force du Seigneur.

***

Il y a donc dans l’Ancien Testament une révélation initiale et progressive, qui concerne non seulement l’Esprit Saint mais aussi le Messie-Fils de Dieu, son action rédemptrice et son règne. Cette révélation fait apparaître une distinction entre Dieu le Père, l’éternelle Sagesse qui procède de lui, et l’Esprit puissant et bienveillant par lequel Dieu œuvre dans le monde depuis la création et conduit l’histoire selon son dessein de salut. Sans doute, il ne s’agissait pas encore d’une claire manifestation du mystère divin. Mais pourtant, c’était toujours une sorte de propédeutique à la révélation à venir, que Dieu lui-même accomplissait en cette phase de l’ancienne Alliance.