L’effusion de l’Esprit vécue par Marie

Dans les multiples effusions de l’Esprit de Marie, nous trouvons des clés pour déchiffrer notre propre expérience de l’Esprit Saint.

1. Première effusion de l’Esprit sur Marie : l’Immaculée Conception, l’élection et la filiation divine

– L’ange la salue en l’appelant « kecharitômenê », ce qui signifie « comblée de la plénitude de la grâce ». Le Concile (L.G., n° 53) précise : « Elle se trouve comme descendante d’Adam réunie à l’ensemble de l’humanité qui a besoin de salut », mais, « rachetée de façon éminente en considération des mérites de son Fils », par pure grâce et dès le premier moment de sa conception, en vue de la mission de devenir la Mère du Sauveur. Marie « renaît » de l’Esprit Saint et en reçoit la plénitude. En Marie la première, par le don de l’Esprit, s’accomplit le dessein de salut qui habite le cœur du Père. Baptisée du baptême en Esprit, elle est la nouvelle Eve par qui sera donné au monde le nouvel Adam.

– Le baptême sacramentel, dans « l’eau et l’Esprit Saint » (Jn 3, 5) accomplit pour nous cette élection fondamentale, même si, baptisés dès la première enfance, nous n’en avons pas pris conscience. Le baptême a été trop longtemps réduit à être un rite de purification (« la purification du péché originel ») ou un rite communautaire à la limite du sociologique (« l’agrégation au Peuple de Dieu » ou à une Église). Il est d’abord le don gratuit que le Père nous fait de l’Esprit Saint pour que, affranchis du péché, nous devenions fils dans le Fils, un « même être » avec lui (Rm 6, 5). Le Concile nous en a fait retrouver le sens et l’importance. Le Renouveau doit nous aider à en prendre conscience et à accueillir ce don qui nous est fait gratuitement.

– En Marie cette grâce d’élection s’est déployée en plénitude, à la mesure de la mission exceptionnelle qui lui a été confiée. « Rachetée de façon éminente en considération des mérites de son Fils, unie à lui par un lien étroit et indissoluble, elle reçoit cette immense charge et dignité d’être la Mère du Fils de Dieu et par conséquent la fille de prédilection du Père et le sanctuaire du Saint Esprit, don d’une grâce exceptionnelle qui la met bien loin au-dessus de toutes les créatures dans le ciel et sur la terre … » (L.G., n° 53)

Ainsi le « privilège » de l’Immaculée Conception met Marie pleinement au service du dessein de salut de la Trinité Sainte. Ce sera sa grâce propre, ce pourquoi Dieu l’a choisie entre toutes les femmes. En elle, plus qu’en aucune créature « tout est de Dieu et pour Dieu »

2. Deuxième effusion de l’Esprit sur Marie : l’Annonciation

– Le « don exceptionnel de grâce » de l’Immaculée Conception précède et prépare l’appel qui va rejoindre Marie pour lui confier la mission unique de devenir la Mère du Sauveur. Par le salut qu’il lui adresse, « comblée de grâce », l’ange révèle à Marie l’élection dont elle a été l’objet, la prévenance qui depuis toujours l’a entourée. Marie en est bouleversée…

. Puis il lui annonce sa vocation et sa mission.

. Elle répond un oui sans réserve.

. Alors par la puissance de l’Esprit se réalise l’incarnation du Verbe.

– Cette nouvelle effusion de l’Esprit, qui va faire d’elle la « Mère de Dieu », est liée à l’acceptation libre par Marie de la vocation et de la mission qui lui sont proposées : devenir « Mère de Dieu ». L’effusion de l’Esprit reçue par Marie dès le premier moment de son existence n’a pas supprimé sa liberté, mais au contraire, l’a libérée de toute peur et de tout retour sur elle-même. Car Dieu n’a pas besoin de robots mais d’hommes et de femmes librement consentants aux projets de sa miséricorde. Son « oui » libère la puissance en elle de l’Esprit à qui rien n’est impossible. Il peut alors s’emparer de son être et de sa vie pour donner chair à la Parole et corps au Fils de Dieu. Librement, Marie accepte d’obéir.

– En devenant la Mère de l’unique Sauveur, Marie participe indirectement, pourrait-on dire, au salut du monde. Alors que la grâce de l’Immaculée Conception faisait d’elle la première sauvée, la grâce de l’Annonciation l’engage dans l’aventure de la Rédemption.

– Marie nous apprend à accueillir l’Esprit lorsqu’il nous visite, souvent à l’improviste

  • – pour nous révéler tout l’amour dont nous sommes aimés,
  • – pour nous dévoiler le projet de Dieu sur nos vies (quitte à les bouleverser),
  • – pour que nous disions un oui libre. plénier et confiant.
  • – Alors à la mesure de notre foi et de notre disponibilité, l’Esprit fait vivre en nous la Parole et lui donne chair,
  • – alors il nous fait connaître Dieu et entrer dans ses secrets,
  • – alors il fait porter des fruits et nous fait participer à l’œuvre de Dieu avec, dans et par Jésus.

3. Troisième effusion de l’Esprit : le Magnificat

Marie est submergée par la joie et exulte dans l’action de grâce et la louange parce que :

  • – le Seigneur l’a regardée,
  • – Il a fait pour elle des merveilles,
  • – Il a accompli sa promesse,
  • – Il donne aujourd’hui le salut aux pauvres,
  • – Il renouvelle la justice des hommes,
  • – Il est fidèle et n’oublie pas son alliance,
  • – Tout cela est la mise en œuvre de sa miséricorde.

Marie prend conscience, dans un éblouissement de joie, de l’amour dont Dieu l’a entourée et du don inouï qu’il lui a fait. Elle « exulte » : comme tous les prophètes d’Israël annonçant le Messie y invitaient, elle exulte et danse et crie de joie, en écho au « grand cri » que pousse Élisabeth « remplie du Saint Esprit », lorsqu’elle accueille Marie. La joie est la marque de la présence de l’Esprit : « le fruit de l’Esprit est charité, joie, paix… » (Ga. 5,22).

Il nous est donné d’entrer dans cette expérience, chacun à notre mesure et à l’heure de Dieu. Elle est constitutive du don de l’Esprit Saint. Il faut se garder de la mépriser ou de la réduire à un ébranlement de la sensibilité. On dit parfois « l’essentiel, c’est la foi ». Mais justement cette expérience fait grandir dans la foi parce qu’elle nous tourne vers l’accueil du don de Dieu et la louange de son nom. C’est avec tout notre être que Dieu veut que nous allions à Lui.

C’est pour beaucoup d’entre nous une grande découverte spirituelle : le Père me connaît et il m’aime. Jésus est vivant et je puis le rencontrer dans la prière. Il me sauve du péché et de la mort… Il me demande d’accueillir son amour et le salut qu’il m’apporte. L’Esprit Saint me fait entrer dans une vie nouvelle. je suis comme un enfant ébloui. Cette expérience est bonne et elle est une étape normale de la vie de foi. « Goûtez et voyez comme est bon le Seigneur ». Il est normal aussi que nous éprouvions le besoin de « crier » notre joie.

Mais si Marie prend conscience de tout ce qu’elle a reçu, elle ne s’arrête pas là. Elle contemple la miséricorde de Dieu à l’œuvre. Sous l’action de l’Esprit, son regard s’élargit aux dimensions de l’action de Dieu dans le monde.

C’est le propre de l’expérience du don de l’Esprit que d’élargir notre horizon et de nous décentrer de nous-mêmes : l’Esprit nous fait passer de la piété à la contemplation. S’il éveille notre ferveur ct notre piété, ce n’est pas seulement pour notre consolation personnelle, c’est surtout pour nous faire entrer dans le regard qu’il porte sur les êtres et sur le monde et nous mettre au service de sa miséricorde pour les hommes.

« Puisse le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus Christ vous donner un esprit de sagesse et de révélation qui vous le fasse réellement connaître. Puisse-t-il illuminer les yeux de votre cœur pour vous faire voir quelle espérance vous ouvre son appel… » (Ep 2, 17-18).

4. Quatrième effusion de l’Esprit : la Pentecôte

Marie est au Cénacle, avec les apôtres et les familiers de Jésus, parmi les femmes disciples qui l’on suivi depuis la Galilée. Avec tous, elle est prise dans le « vent violent qui remplit toute la maison » et sur elle aussi se pose une langue de feu.

Pourtant, elle, la « comblée de grâce », n’avait-elle pas reçu la plénitude du don de l’Esprit dès le premier moment de son existence ? Prise dans « l’ombre de l’Esprit », elle avait donné chair au Verbe de Dieu… Pouvait-il lui manquer quelque chose ?

Marie au calvaire a reçu la mission de Mère des disciples et de tous les hommes. Sa maternité s’est élargie aux dimensions du monde. Comme jadis à Nazareth, elle reçoit une nouvelle effusion de l’Esprit pour accomplir la nouvelle mission qui lui est confiée. Aujourd’hui, ce n’est plus dans le secret de sa maison, mais au cœur de l’Église naissante, avec toute la communauté rassemblée, avec laquelle elle a veillé dans la prière et la communion des cœurs pendant dix jours, que Marie est baptisée dans le feu de l’Esprit pour que jusqu’au bout, sa vie se consume toute entière, en attendant d’être prise dans la gloire de son Fils.

Marie nous apprend à nous mettre à disposition de l’Esprit pour la mission qu’il veut nous confier. Au cœur de l’Église – non pas parallèlement – nous nous retrouvons d’un « cœur unanime », « persévérant dans la prière ». Nous participons à l’onction qui est donnée à l’assemblée. Ne réduisons pas l’effusion de l’Esprit à une expérience exclusivement intimiste. C’est une expérience à vivre en Église. Le Renouveau charismatique est un des lieux d’Église où cette expérience est proposée explicitement.

5. Essai de synthèse : les quatre effusions de l’Esprit reçues par Marie

1. L’Immaculée Conception : « effusion d’adoption » : par les mérites du Christ Rédempteur et Sauveur, l’Esprit fait de nous aussi des fils adoptifs du Dieu-Abba. C’est le don fondamental qui nous sauve du péché et de la mort et nous fait renaître à une vie nouvelle. Il est important de bien marquer en quoi le don fait à Marie est offert à tous et en quoi il est unique. Sinon nous en faisons soit une femme quelconque, soit une sorte de déesse.

2. L’Annonciation : effusion vocationnelle qui implique une expérience :

  • – une rencontre personnelle avec Dieu ;
  • – la révélation de la prévenance de son amour pour moi personnellement ;
  • – l’accueil d’une vie renouvelée par une communion plus grande avec Dieu par l’écoute de sa Parole, la prière et la conversion ;
  • – l’appel à accueillir le projet de Dieu sur moi et l’engagement dans la mission que cela implique ;
  • – une réponse libre de ma part, dans la foi et le don total et confiant de moi-même.

3. Le Magnificat : la prise de conscience et le témoignage dans la joie et l’action de grâces du don de Dieu pour moi et pour le salut du monde.

4. La Pentecôte : l’effusion de l’Esprit, transmise dans l’Église, nous revêt de la force de Dieu pour la mission, afin que le monde croie et accueille son Sauveur.

Ces quatre effusions de l’Esprit correspondent, toutes proportions gardées, aux étapes que nous expérimentons au cours de notre vie spirituelle. Nous les accueillons échelonnées dans le temps ou regroupées partiellement ou non, selon le dessein de la sagesse de l’Esprit. Il est bon qu’elles soient discernées. Car il y a toujours le risque de réduire « l’effusion » à l’une ou l’autre de ces étapes en court-circuitant les autres, soit de les programmer artificiellement et ainsi confisquer à Dieu sa liberté d’action : l’effusion devient alors un rite parmi d’autres.

Sur le fond, ce texte est de Mme Georgette Blaquière