L’équipement de la puissance charismatique pour l’évangélisation

C’est la troisième condition, à mon avis, pour une évangélisation prophétique en notre temps : accueillir la puissance charismatique. J’hésite à employer le mot de « puissance charismatique ». Pourtant, c’est celui du Nouveau Testament, et Paul VI lui-même, au début de l’exhortation sur l’évangélisation (n° 4), l’utilise ; il pose trois questions qui demeurent d’une brûlante actualité :

– « Qu’est devenue, de nos jours, cette énergie cachée de la Bonne Nouvelle, capable de frapper profondément la conscience de l’homme ?

– Jusqu’à quel point et comment cette force évangélique est-elle en mesure de transformer vraiment l’homme de ce siècle ?

– Suivant quelles méthodes faut-il proclamer l’Évangile pour que sa puissance soit efficace ? »

1. Regardons d’abord rapidement les ordres de mission donnés par Jésus dans les évangiles.

En Matthieu 10, nous lisons : »Chemin faisant, proclamez que le Royaume des Cieux est tout proche. Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, expulsez les démons. Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement. Ne vous procurez ni or, ni argent, ni menue monnaie pour vos ceintures, ni besace pour la route, ni deux tuniques, ni sandales, ni bâton : car l’ouvrier mérite sa nourriture » (Mt 10,7-10). Il y a là trois consignes complémentaires, qui supposent d’ailleurs que les disciples aient vu le maître à l’œuvre, et s’inspirent de son attitude avant même d’appliquer ses paroles.

* D’abord la proclamation que le Royaume de Dieu est tout proche. Jésus n’a pas varié d’une parole son annonce fondamentale que l’on trouve dès le début des évangiles : « Convertissez-vous, car le Royaume de Dieu s’est approché » (Mt 4,17) ; ou encore : « Le temps est accompli et le Royaume de Dieu s’est approché : faites retour, et ayez foi en l’annonce » (Mc 1,15). Une évangélisation prophétique est à la fois le témoignage rendu à la tendresse de l’amour de Dieu tout proche de l’homme, et une vigoureuse interpellation à la conversion.

* Ensuite, la manifestation des signes du Royaume, les actes de puissance qui accréditent la Parole. Nous les trouvons ici dans cette consigne en Matthieu, mais on pourrait citer identiquement Luc 9,1-6 (consignes aux Douze) ; Luc 10,9.11b (consignes aux 72) ; Mc 16,15-20 (ordre de mission avec la liste des signes bien connue)… C’est aussi une constante dans la pratique et la bouche de Jésus : il n’y a pas d’évangélisation sans la manifestation concrète de la miséricorde de Dieu pour l’homme pécheur (guérisons, libérations… etc.) « Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement ». Les signes de puissance sont un don de Dieu, ils sont l’expression de l’amour gratuit de Dieu pour les hommes. Il y a là toute une théologie des charismes. Le partage est d’autant plus nécessaire que nos mérites ne sont pour rien dans les dons reçus. Nous partageons aux autres ce qui ne nous appartient pas, sans attendre ni argent, ni même forcément conversions…

* Enfin, la pauvreté effective des envoyés qui manifestent que leur seule richesse est en Dieu. L’ouvrier du Royaume doit être libre et ne rien posséder. Il n’a pas à se procurer d’avance ce dont il aura matériellement besoin. Le principe donné par Jésus, »l’ouvrier mérite sa nourriture », oblige à regarder l’évangélisateur comme un véritable travailleur, qui mérite sa nourriture et son logement auprès de ceux auxquels il se donne. L’évangélisateur vit à la fois la dépendance et la pauvreté. Cette pauvreté est la garantie que les richesses proposées sont d’un autre ordre, et que la puissance manifestée est divine…

Telles sont les paroles de Jésus, du moins une partie, où les signes de puissance apparaissent comme une partie constitutive de l’acte évangélisateur. Une annonce de la miséricorde de Dieu qui ne contient aucune « démonstration concrète » (si l’on peut dire), est comme privée de son efficacité… Nous commençons à entrer peu à peu dans cette problématique, grâce au Renouveau. Elle est omniprésente dans le Nouveau Testament, et je vous propose trois passages des Actes et des Lettres, parmi bien d’autres.

2. Les premiers chrétiens conscients de l’importance des signes

* Premier exemple : la prière de la communauté chrétienne, rapportée par Luc, après l’emprisonnement de Pierre et de Jean, en Ac 4,29-31 : « Afin de permettre à tes serviteurs d’annoncer la parole en toute assurance, étends la main pour opérer des guérisons, signes et prodiges par le nom de ton saint serviteur Jésus ». Tandis qu’ils priaient, l’endroit où ils se trouvaient réunis trembla ; tous furent alors remplis du Saint Esprit et se mirent à annoncer la parole de Dieu avec assurance ». Dans la difficulté, et l’hostilité, il ne peut y avoir de proclamation assurée et percutante qu’avec l’assistance des signes donnés par le Seigneur. C’est pourquoi il faut les demander, et accepter de les mettre en œuvre sans peur. Demandez cela pour vos diocèses. À condition de ne pas se contenter de ronronner dans la prière et d’accepter les dérangements de l’évangélisation où les charismes ont toute leur place…

* Second exemple, qui concerne l’évangélisation d’Iconium, en Ac 14,3 : « Paul et Barnabé prolongèrent donc leur séjour assez longtemps, pleins d’assurance dans le Seigneur, qui rendait témoignage à la prédication de sa grâce en opérant signes et prodiges par leurs mains ». L’assurance des missionnaires se trouve dans le Seigneur, parce que celui-ci corrobore leur prédication par le don des signes… Encore une fois, sommes-nous prêts à nous laisser déranger par les charismes et à tout donner pour évangéliser, pour vivre cette évangélisation prophétique, porte-parole de l’amour de Dieu… Nous mettons-nous en situation où l’on va devoir évangéliser ? C’est seulement ainsi que l’Esprit Saint, qui nous a confié le don d’évangélisation, mettra en œuvre sa puissance…

* Troisième exemple : la définition que donne Paul de l’apôtre, en 2 Co 12,12, où il tente de se justifier par rapport aux critiques qui lui sont faites : « Je n’ai été en rien inférieur à ces « archiapôtres », bien que je ne sois rien. Les traits distinctifs de l’apôtre ont été réalisés chez vous : parfaite constance, signes, prodiges et miracles ». On peut être surpris d’une telle définition ; elle a au moins le mérite de souligner l’importance que Paul attachait aux signes dans l’œuvre de l’évangélisation…

Frères, ne nous endormons pas. Nous ne sommes qu’au début d’une période de grande et puissante évangélisation. En 1975, le premier grand rassemblement charismatique international de tenait à Rome, et ce lundi de Pentecôte 19 mai de cette année sainte, en attendant l’audience du Pape Paul VI, le Seigneur parla aux dix mille personnes rassemblées dans la basilique saint Pierre. Entre autres choses, les prophéties contenaient ce diagnostic et cette promesse : « Une période d’obscurité vient sur le monde, mais un temps de gloire vient pour mon Église, un temps de gloire vient pour mon peuple. Je déverserai sur vous tous les dons de mon Esprit. Je vous préparerai pour un combat spirituel. Je vous préparerai pour un temps d’évangélisation tel que le monde n’en a encore jamais vu… ».

1975, c’était l’année où Paul VI nous donnait ce merveilleux document qui s’appelle « Annoncer l’Évangile ». Quinze ans plus tard, fin 90, Jean-Paul II conclut l’encyclique sur la mission du Christ Rédempteur en écrivant (n° 92) : « L’Église n’a jamais eu autant que maintenant l’occasion de faire parvenir l’Évangile par le témoignage et la parole, à tous les hommes comme à tous les peuples. Je vois se lever l’aube d’une nouvelle ère missionnaire qui deviendra un jour radieux et riche de fruits si tous les chrétiens… répondent avec générosité et sainteté aux appels et aux défis de notre temps.

Comme les apôtres après l’Ascension du Christ, l’Église doit se réunir au Cénacle « avec Marie, Mère de Jésus » (Ac 1,14), afin d’implorer l’Esprit et d’obtenir force et courage pour obéir au précepte missionnaire. Nous aussi, et bien plus que les apôtres, nous avons besoin d’être transformés et guidés par l’Esprit ».

3. Signes sacramentels et signes charismatiques

Rien de vraiment rénovateur ne peut se faire sans l’Esprit Saint. Lorsque sa foi en l’Esprit Saint s’affaiblit, la communauté s’ankylose. Le secret de Jésus, c’est l’Esprit Saint. « Jésus, rempli d’Esprit Saint, revint du Jourdain, et il était mené par l’Esprit » (Lc 4,1). En Jésus, les manifestations charismatiques sont puissantes. Il est le plus grand des charismatiques ; il est « l’Oint ». Et Marie est le modèle de la vie charismatique.

C’est le mérite du Renouveau charismatique de nous avoir aidés à relire les Actes des Apôtres comme un appel à entrer dans l’expérience de l’Esprit. L’Esprit Saint agit en passant par les charismes. Le problème est de le laisser agir, de ne pas l’éteindre. C’est comme une source qu’il fait ouvrir pour qu’elle coule. C’est comme un prisme qui décompose la lumière en différentes couleurs.

À la pédagogie de la naissance et des signes éclatants, succède la pédagogie de la croissance avec les signes sacramentels. Les charismes accompagnent la première annonce de l’Évangile et la construction de la communauté naissante. Les sacrements accompagnent la croissance dans la vie nouvelle. Par exemple, Jésus guérit par le charisme de guérison, mais aussi par les sacrements. C’est une erreur de refuser les charismes parce qu’on a déjà les sacrements ; cette Église-là catéchise, mais n’a pas les signes qui accompagnent la première annonce. C’est aussi une erreur de s’enfermer dans les charismes, dans les signes de puissance, dans un monde religieux de signes.

Le Renouveau est souvent rejeté par le milieu ecclésial parce qu’il a une pédagogie charismatique. L’Église est souvent rejetée parce qu’elle a une pédagogie sacramentelle, rituelle… alors qu’il faudrait une pédagogie charismatique. Quand on proclame le kérygme, Jésus Sauveur accompagne cette Bonne Nouvelle avec des signes. Alors la foi grandit. Ensuite, les sacrements viennent pour accompagner la croissance de la vie nouvelle… Il ne faut être fanatique ni des sacrements, ni des charismes.

L’Église vit actuellement un réveil. Le Seigneur va renouveler son Église de fond en comble. Pour ce « nouveau » qui surgit, le Seigneur donne de nouvelles irruptions du Saint Esprit. L’Esprit cherche des hommes et des femmes disponibles, à l’écoute de cette sève nouvelle qui monte.