Adolescence, aube de l’être authentique

ADOLESCENCE  :  EVEIL DE L’ETRE

L’adolescent est partagé entre la réalité quotidienne et la réalité plus grande, plus puissante qui s’impose à lui. Il se sent supérieur aux plus jeunes et inférieurs aux adultes. Un sens nouveau surgit des profondeurs de lui-même. Il y a tiraillement entre deux réalités, et cela provoque une recherche de solitude et de dialogue intime avec lui-même ou l’ami.

La pensée de l’adolescent

A l’âge de l’adolescence, on construit des systèmes et des théories. L’enfant pense concrètement ses problèmes au fur et à mesure que la réalité les propose; au contraire, l’adolescent porte intérêt aux problèmes sans rapport avec la réalité vécue au jour le jour. Il anticipe des situations futures du monde, et souvent chimériques.

Il y a un égocentrisme intellectuel. Le jeune croit à la puissance de sa réflexion; or celle-ci est souvent en dehors de la réalité; d’où: esprit de contradiction, de contestation… L’équilibre de la pensée est atteint lorsque la réflexion comprend qu’il ne s’agit pas de contredire, mais d’interpréter l’expérience.

Il faut être une personne et non un personnage

Pour sortir de cet égocentrisme intellectuel et trouver son unité, il faut faire l’analyse de son « moi ». En chacun, il existe deux « moi » : le moi profond, et le moi social. Comment éviter le conflit, puisque ces deux « moi » ne doivent plus n’en faire qu’un?

La réponse est simple: chercher sous le regard de qui l’on vit. Trois regards s’offrent à nous: celui des autres, le nôtre, celui de Dieu.

  • On peut penser, agir, vivre, décider sous le regard des autres. On fait alors tout pour être vu et que cela se sache; on recherche l’approbation, on veut plaire. D’où les réactions vives devant la contradiction…
  • On peut penser, décider, agir sous son propre regard, et l’on se regarde agir en se complaisant dans sa force ou sa faiblesse. On trouve sa satisfaction dans le spectacle orgueilleux ou désespéré.
  • Enfin, on peut vivre sous le regard de Dieu et se juger selon qu’il nous approuve ou nous pardonne.

Conséquences de ces trois attitudes :

  • Si l’on vit sous le regard des autres, le moi social a tendance à envahir le moi profond.
  • Si l’on vit sous son propre regard et selon ses propres règles, on peut devenir anti-social, se replier dans son orgueil, s’isoler, se suffire, quitte à exploser.
  • Si l’on vit sous le regard de Dieu, le conflit entre le moi profond et le moi social cesse, car on est totalement vrai dans notre moi profond devant Dieu.

Il connaît tout de nous; il sait notre capacité d’aimer, le poids des passions que nous portons, et la volonté d’autosuffisance. Si nous prenons l’habitude de tout faire au plus secret, en Jésus, nous serons à l’aise avec nous-mêmes parce que nous serons à l’aise avec lui.

Nous n’avons plus à jouer un personnage, car, nous acceptant nous-mêmes, nous accepterons mieux les autres. Plus nous sommes vrais, plus la personne profonde peut se montrer aux autres. C’est alors que peu à peu l’homme nouveau remplace le vieil homme… Il n’y a plus un personnage mais un moi profond, une personne qui se révèle plus ou moins aux autres selon la prudence que demandent les circonstances. Arriver à pouvoir dire avec saint Paul: « ce n’est plus moi qui vis, c’est Jésus qui vit en moi ». Alors, il n’y a plus de vieil homme en moi, ni non plus de personnage; cela est possible avec Jésus. Devenant une personne, l’adolescent acquiert une personnalité.

Qu’est-ce que la personnalité ?

Le moi est le centre de l’activité propre, et se caractérise par son égocentrisme. La personnalité résulte de la soumission du moi à une discipline quelconque.

Il y a personnalité à partir du moment où se forme un programme de vie qui soit source de discipline pour la volonté et instrument de coopération, donc lorsqu’il y a décentration du moi.

Il y a en quelque sorte une mise en question du moi, et cela se fait par l’apprentissage de la tolérance, par le contrôle du comportement et de la maîtrise de soi. La personnalité suppose une réelle connaissance de soi, de ses limites…

Un des plus sûrs moyens et certainement le plus sûr pour avoir un regard lucide et objectif sur soi-même est l’examen de conscience. Se regarder intérieurement, loyalement devant Dieu; réfléchir sur ses comportements, ses intentions, les raisons qui nous font agir… faire cela en présence de Dieu, sous son éclairage afin d’écouter la voix de sa conscience et non son propre raisonnement…

Avoir de la personnalité, c’est être capable de faire librement le choix du bien. Etre libre de soi et des autres pour s’affirmer en Dieu. S’affirmer non par opposition systématique, mais en fonction d’un choix libre qui règle toute ma vie.

Si j’ai choisi de vivre pour Jésus, je me réfère à lui avant de décider, je choisis en fonction de lui… Je me pose les questions suivantes: que ferait Jésus à ma place? Que dirait-il? La réponse, je la trouve dans l’Evangile, mais aussi au fond de moi-même, dans ma conscience. Plus je fréquente Dieu, et plus il  répond à mes questions, car si je vis avec lui, je connais sa mentalité et mon jugement devient conforme au sien.

Dieu qui nous laisse libre, ne peut que contribuer à l’épanouissement de la personnalité de chacun. Il veut que chacun soit différent de l’autre, et il le sera dans la mesure où il répondra au dessein de Dieu sur lui. Notre personnalité ne peut s’épanouir que si l’on réalise le plan que Dieu a pour chacun de nous. C’est à la période de l’adolescence que se fait cette découverte avec l’aide de la prière et de notre cheminement avec d’autres.

ADOLESCENCE :  EVEIL DE L’AMOUR

C’est la période de l’apprentissage de l’amour

Cet éveil de l’amour nous pousse à aimer et à être aimé. C’est une puissance intérieure, une pulsion qui peut revêtir deux formes :

– J’aime les autres pour moi, en fonction de moi. Je recherche la fréquentation d’une seule personne à qui  je vais me confier. Je lui parle de moi et m’intéresse peu à elle et pas du tout aux autres… Cet amour est égocentrique, égoïste. C’est l’amour captatif.

–  Aimer ce n’est pas cela, car aimer c’est se donner. Aimer, c’est imiter Jésus qui a donné sa vie pour nous. Nous entrons alors dans l’amour oblatif, c’est-à-dire l’amour qui se donne en s’oubliant soi-même. Cet amour se situe sur deux plans, dans deux directions.

Première direction: aimer Dieu, aimer Jésus.

Deuxième direction: aimer les autres.

Aimer Dieu, c’est chercher à faire sa volonté, et pour cela, être à son écoute dans la prière, le fréquenter… entrer en relation avec lui… savoir reconnaître sa présence dans notre vie… le mêler à toute notre vie… le louer, le remercier… Vivre avec lui dans une union de plus en plus grande. Cela ne peut se faire qu’avec l’aide des sacrements, de la prière, des autres…

Aimer Dieu, c’est aussi aimer les autres, car Jésus habite le frère et c’est Jésus que nous devons aimer en lui. Comment aimer les autres? Pourquoi aimer les autres? Et tout d’abord une question: pourquoi aimons-nous mal? Ou pourquoi n’aimons-nous pas?

Il existe une pollution de l’amour qui est la conséquence de certaines habitudes. Habitudes de satisfaction immédiate du « bon plaisir ». Impératifs de la société qui oublie les aspirations profondes de l’homme, nous harcèle et nous incite à la satisfaction immédiate de nombreux besoins. La triple exigence actuelle se résume ainsi: travaillons ! consommons ! dépensons ! Cette recherche matérielle conditionne de plus en plus tout notre être.

Tout devient objet à notre service. Or toute chose s’use. Seul l’amour peut indéfiniment grandir à condition de chercher sans cesse à le valoriser. Or, aujourd’hui, il y a une dénaturation de l’amour: presse, radio, télé, cinéma, chansons, affiches… On exalte la jouissance sexuelle sous toutes ses formes. L’influence est telle qu’une jeune fille qui ne vit pas avec un garçon craint de paraître anormale, car tel magazine explique concrètement ce que doivent vivre les jeunes de 16 à 18 ans… Toute cette littérature à bon marché n’enseigne pas l’amour mais le plaisir; or ce dernier, recherché pour lui-même, dégrade l’être humain et le fait vivre au rang de l’animal.

C’est la qualité de l’amour qui changera la qualité de la vie

La qualité de l’amour, c’est d’abord la délicatesse du coeur. C’est la qualité de l’attention à l’autre. L’attention à l’autre est faite de silence, de regard, d’occasions saisies. Elle est le respect de l’autre, l’amitié de l’autre dans sa liberté et dans le don qu’il nous fait.

Comment aimer les autres? En imitant Jésus qui a souffert et est mort pour nous. En effet, aimer nécessite l’oubli de soi, donc pas de véritable amour sans sacrifice… Donner sa vie, ce n’est pas toujours mourir pour les autres.

Donner sa vie, c’est être disponible au frère que Jésus met devant nous dans l’instant présent

Le frère à aimer est toujours quelqu’un de précis et que nous ne choisissons pas; c’est celui à côté de qui nous vivons, au moment présent. C’est celui-là que Jésus nous demande d’aimer. Il ne s’agit pas d’oublier les autres, mais ils ne doivent pas occuper notre pensée en nous empêchant de voir, d’aimer le frère qui est là devant nous. Prions pour nos amis, mais ne nous préoccupons pas d’eux lorsque le Seigneur nous demande de vivre le moment présent dans l’amour. Vivre la minute de Dieu en aimant pleinement les personnes avec lesquelles je vis.

Le Seigneur ne nous demande pas de nous inquiéter des absents; il nous confie ceux qu’il met sur notre route, et nous risquons de ne pas les voir en restant liés par des ficelles à ceux qui ne sont plus là pour le moment. Jésus vit avec nous le moment présent, non le passé, non l’avenir; dans ces deux cas, nous sommes seuls à les vivre, d’où: inquiétude, angoisse… la paix de Jésus est absente. Le passé et le futur, par leur situation abstraite, sont inexistants, et n’ont pas accès à l’éternité.

L’éternité, c’est l’éternel présent…

Pour que mon présent soit de l’éternel, il faut que je le vive… Vivre dans un futur qui peut-être n’arrivera jamais, c’est remplir sa vie de vide… Il me faut vivre chaque journée comme si elle était la dernière de ma vie.

Aimer pourquoi?  Parce que Dieu est Amour… Si nous aimons l’instant présent où Dieu se rencontre, si nous aimons sa volonté, les autres qu’il met sur notre route… Tout est Amour. Lorsque nous paraîtrons devant le Seigneur, tout ce qui n’aura pas été fait par amour au cours de notre vie devra être purifié… Donc, prendre l’habitude de voir Jésus dans chacune de nos actions en disant: « je le fais pour toi ».

Pour vivre cet amour, il faut mettre notre intelligence, notre sensibilité à la disposition de l’Esprit Saint… Pour aimer comme Jésus, il faut écouter ce qu’il dit en nous par la prière, en se nourrissant de sa Parole, afin de ne pas se tromper et d’atteindre cette unité avec Dieu qui changera notre vie…

Ce qui compte n’est pas tant ce que l’on vit, mais comment on le vit… dans ce « comment » réside l’amour

Se dire chaque matin que notre journée aura de la valeur en fonction de notre nourriture, c’est-à-dire la Parole de Dieu, mais la Parole de Dieu pour aujourd’hui… Jésus veut que nous demandions pour aujourd’hui: « Donne-nous aujourd’hui »… Le lendemain peut ne jamais venir…

Aimer pourquoi? Saint Paul nous donne la réponse: « la charité demeurera éternellement »…(1 Co 13, 13). Se fixer dès maintenant en ce qui demeure, c’est se fixer en Dieu. Ce  véritable amour ne peut exister sans le sacrifice, l’oubli de soi… Savoir se refuser quelque chose par amour est une des plus grandes preuves d’amour qui procure la joie, la joie d’aimer.

Soeur Marie-Françoise GREGOIRE

(Soeur Marie-Françoise, de la Congrégation des Soeurs de l’Enfant-Jésus, a passé 22 ans comme directrice du Lycée Professionel Notre-Dame du Foyer, au Mans, de 1962, date où elle a fondé l’école, jusqu’en 1984 où elle est partie en mission au Burundi, puis au Rwanda. De retour quatre ans plus tard pour son premier séjour en France, alors qu’elle était déjà malade, elle a rejoint son Seigneur dans le face à face le 29 juillet 1988. C’est à des jeunes du Lycée, lors d’une récollection, qu’elle avait donné cette causerie dont la troisième partie, non dactylographiée ici, traitait de la vocation de la femme)..