À propos du célibat sacerdotal

Eunuques pour le Royaume des Cieux. Le débat sur le célibat

Le cardinal Schönborn propose le « réexamen » de cette obligation pour le clergé catholique. D’autres évêques font de même. Benoît XVI, au contraire, veut la renforcer. Il est soutenu par toute l’histoire de l’Église, depuis l’époque des apôtres

par Sandro Magister, sur le site : http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/1343466?fr=y

ROME, le 28 mai 2010 – Benoît XVI s’apprête à conclure l’Année Sacerdotale, voulue par lui pour redonner de la vigueur spirituelle aux prêtres catholiques, en un temps difficile pour l’Église tout entière. Mais, au même moment, un cardinal très en vue et l’un des plus proches du pape, l’archevêque de Vienne Christoph Schönborn, continue à enfoncer le clou d’un « réexamen » de la discipline du célibat du clergé latin.

Schönborn est un homme d’une grande culture, un ancien étudiant de Joseph Ratzinger à l’époque où celui-ci était professeur de théologie. Dans les années 80, il a collaboré à la rédaction du catéchisme de l’Église catholique. Mais comme homme de gouvernement, depuis qu’il est à la tête d’une Église d’Autriche tellement perturbée, il se montre attentif aux pressions exercées par l’opinion publique.

Lorsque, à la mi-mai, un autre évêque autrichien, Paul Iby, d’Eisenstadt, a déclaré que « les prêtres devraient être libres de décider s’ils veulent se marier ou non » et que « le Saint-Siège est trop timide à ce sujet », le cardinal Schönborn a tout de suite commenté : « Les préoccupations qui ont été exprimées par l’évêque Iby, nous les ressentons tous, même si les propositions de solution des problèmes sont différentes ».

Et ce n’est là que la dernière d’une série incessante de déclarations du même genre, émanant de cardinaux et évêques du monde entier, sans parler des représentants du clergé et des laïcs. Le « dépassement » de la discipline du célibat est depuis longtemps la basse continue de la musique des novateurs.

De cette musique, on entend et on retient habituellement deux idées.

La première, c’est que le célibat du clergé est une règle imposée dans les siècles récents au seul clergé latin.

La seconde, c’est que les prêtres catholiques devraient être autorisés à se marier « comme dans l’Église primitive ».

Le problème est que ces deux idées sont l’une comme l’autre en contradiction avec l’histoire et avec la théologie.

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À la racine de cette équivoque il y a aussi une mauvaise compréhension du concept de célibat du clergé.

En réalité, pendant tout le premier millénaire et aussi par la suite, le célibat du clergé a été compris dans l’Église au sens de « continence ». C’est-à-dire comme une renonciation complète, après l’ordination, à la vie conjugale, y compris pour ceux qui étaient mariés auparavant.

L’ordination d’hommes mariés était en effet une pratique courante, mentionnée même dans le Nouveau Testament. Mais on lit dans les Évangiles que Pierre, après avoir été appelé à devenir apôtre, « quitta tout ». Et Jésus a dit que, pour le Royaume de Dieu, il y a des gens qui quittent « leur femme ou leurs enfants ».

Dans l’Ancien Testament, l’obligation de pureté sexuelle ne s’appliquait aux prêtres que pendant les périodes où ils étaient de service au Temple. En revanche, dans le Nouveau Testament, le fait de suivre Jésus dans le sacerdoce est un tout et implique l’être humain en totalité, toujours.

Le fait que, dès les origines de l’Église, les prêtres et les évêques étaient tenus de renoncer à la vie conjugale est confirmé par les premières règles écrites à ce sujet.

Ces règles apparaissent à partir du IVe siècle, après la fin des persécutions. Avec l’augmentation rapide du nombre de fidèles, les ordinations progressent aussi et, avec elles, les infractions à la continence.

Contre ces infractions, les conciles et les papes interviennent à de nombreuses reprises en réaffirmant la discipline qu’ils qualifient eux-mêmes de « traditionnelle ». C’est ce que font le concile d’Elvire – qui, dans la première décennie du IVe siècle, sanctionne en les excluant du clergé ceux qui ne respectent pas la continence – et d’autres conciles au cours du siècle suivant, mais aussi les papes Sirice et Innocent Ier ou, plus tard encore, d’autres papes et des Pères de l’Église, de Léon le Grand à Grégoire le Grand, d’Ambroise à Augustin et à Jérôme.

Pendant bien des siècles encore, l’Église d’Occident a continué à ordonner des hommes mariés, mais toujours en exigeant qu’ils renoncent à la vie conjugale et qu’ils éloignent leur épouse, après avoir obtenu le consentement de celle-ci. Les infractions étaient punies, mais elles étaient très fréquentes et répandues. C’est aussi pour lutter contre ce phénomène que l’Église a commencé à choisir de préférence ses prêtres parmi les célibataires.

En Orient, au contraire, depuis la fin du VIIe siècle, l’Église a fermement maintenu l’obligation absolue de continence pour les seuls évêques, de plus en plus souvent choisis parmi les moines plutôt que parmi les hommes mariés. En ce qui concerne le bas clergé, elle a accepté que les hommes mariés continuent à mener leur vie conjugale, leur obligation de continence étant limitée « aux jours de service à l’autel et de célébration des saints mystères ». C’est ce qu’a décidé en 691 le second concile in Trullo, concile qui n’a jamais été reconnu comme œcuménique par l’Église d’Occident.

Depuis ce moment jusqu’à aujourd’hui, c’est là la discipline en vigueur en Orient, mais aussi dans les Églises de rite oriental revenues à la communion avec l’Église de Rome après le schisme de 1054 : continence absolue pour les évêques et vie conjugale permise au bas clergé. Étant entendu que le mariage doit toujours avoir lieu avant l’ordination et jamais après.

La tolérance adoptée par les Églises d’Orient pour la vie conjugale du bas clergé a été encouragée – d’après les historiens – par l’organisation particulière de ces Églises, constituées en patriarcats et donc plus portées à prendre des décisions autonomes sur le plan disciplinaire, l’autorité politique jouant un rôle prééminent.

En Occident, au contraire, l’Église a réagi à la grande crise politique et religieuse des XIe et XIIe siècles – par la réforme dite grégorienne d’après le nom du pape Grégoire VII – justement en combattant vigoureusement les deux maux qui se répandaient dans le clergé : la simonie, c’est-à-dire le trafic des charges ecclésiastiques, et le concubinage.

La réforme grégorienne confirma pleinement la discipline de la continence. Les ordinations d’hommes célibataires furent de plus en plus préférées à celles d’hommes mariés. Quant au mariage célébré après l’ordination – totalement interdit depuis toujours aussi bien en Orient qu’en Occident – le concile de Latran II de 1139 décréta qu’il était non seulement illicite, mais invalide.

La question du célibat du clergé a également figuré au premier plan lors des crises qui ont frappé l’Église d’Occident par la suite. L’un des premiers actes de la Réforme protestante fut précisément l’abolition du célibat. Au concile de Trente, il y eut des gens pour dire qu’il fallait également dispenser les prêtres catholiques de l’obligation de célibat. Mais la décision finale fut de maintenir intégralement en vigueur la discipline traditionnelle.

Ce n’est pas tout. Le concile de Trente fit obligation à tous les diocèses de créer des séminaires pour la formation du clergé. La conséquence fut que les ordinations d’hommes mariés diminuèrent très fortement, tant et si bien qu’elles finirent par disparaître. Depuis quatre siècles, dans l’Église catholique, les prêtres et les évêques sont en quasi totalité célibataires. Les seules exceptions sont le bas clergé des Églises de rite oriental unies à Rome et les ex-pasteurs protestants ayant une famille et qui sont ordonnés prêtres, ces derniers provenant dans la plupart des cas de la Communion anglicane.

C’et à partir de la constatation que les prêtres catholiques sont tous célibataires que s’est répandue l’idée courante selon laquelle le célibat du clergé consiste à lui interdire de se marier. Et donc que le « dépassement » du célibat consiste d’une part à ordonner prêtres des hommes mariés en leur permettant de continuer à vivre leur vie conjugale et d’autre part à permettre aux prêtres célibataires de se marier.

Après le concile Vatican II ces deux demandes ont été formulées à de nombreuses reprises au sein de l’Église catholique, y compris par des évêques et des cardinaux.

Mais elles sont l’une comme l’autre en opposition flagrante avec toute la tradition de cette même Église à partir de l’âge apostolique et – en ce qui concerne la seconde demande – avec la tradition des Églises d’Orient et donc avec la démarche œcuménique.

Par ailleurs l’idée qu’un « dépassement » du célibat est le choix le plus approprié pour l’Église catholique d’aujourd’hui n’est certainement pas partagée par le pape régnant.

Si l’on s’en tient aux paroles et aux actes de Benoît XVI, celui-ci veut le contraire : non pas dépasser mais confirmer le célibat sacerdotal comme manière radicale de suivre Jésus pour le service de tous, et cela encore plus dans la phase cruciale que connaît actuellement la civilisation.

C’est justement à cela que tend l’Année Sacerdotale qu’il a ordonnée, avec comme modèle le saint Curé d’Ars : un pauvre curé de campagne qui a vécu le célibat comme une consécration totale au salut des âmes, une vie passée tout entière à l’autel et au confessionnal.

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La littérature scientifique sur cette question est abondante. Elle a en particulier établi de manière définitive que le récit selon lequel, au concile de Nicée, en 325, un évêque nommé Paphnuce défendit et fit approuver la liberté, pour chaque Église, de permettre ou non la vie conjugale aux prêtres, est un faux historique. De même il a été établi que le second concile in Trullo de 691 avait falsifié les canons des conciles africains des IVe et Ve siècles qu’il avait cités en faveur de la vie conjugale des prêtres. Cette falsification avait déjà été démontrée au XVIe siècle par le savant cardinal Cesare Baronio.

Mais on ne trouve presque pas de traces de cette littérature scientifique dans le débat actuel, pas même dans les déclarations faites par des évêques et des cardinaux favorables au « dépassement » du célibat.

Une excellente synthèse historique et théologique de la question est donnée par un petit livre publié en 1993 par le cardinal autrichien Alfons Maria Stickler, mort à Rome en 2007 à l’âge de 97 ans et qui était alors préfet de la Bibliothèque Apostolique Vaticane.

La traduction italienne du livre, éditée par la Libreria Editrice Vaticana, est épuisée depuis plusieurs années. On trouve dans le commerce la version anglaise : Alfons Maria Stickler, « The Case for Clerical Celibacy. Its Historical Development and Theological Foundations », Ignatius Press, San Francisco, 1995.

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De l’aveu des autorités vaticanes elles-mêmes, la violation de la règle du célibat du clergé « semblerait en progression en Afrique » aujourd’hui, puisque sur ce continent « certaines Églises locales connaissent trop de cas de prêtres dont la conduite morale est scandaleuse ».

C’est ce qu’a déclaré l’archevêque Robert Sarah, secrétaire de la congrégation pour l’évangélisation des peuples, dans une interview accordée à « L’Osservatore Romano » du 4 octobre 2009. Il a ajouté :

« Benoît XVI a accordé à la congrégation pour l’évangélisation des peuples des pouvoirs spéciaux pour traiter de manière diligente et appropriée les cas scandaleux de prêtres qui vivent en désaccord avec le célibat et la chasteté sacerdotale ».

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A propos des évêques et du clergé d’Autriche guidés par le cardinal Schönborn et plusieurs fois réprimandés par Benoît XVI, voir sur www.chiesa l’article suivant :

> Autriche et Chine. Les évêques les plus mal notés (19.6.2009)

On y lit notamment, à propos de la nomination en 2009 d’un évêque devenu l’objet d’une campagne de contestation et finalement révoqué par Rome :

« L’un des chefs de la révolte contre Rome, Josef Friedl, prêtre de pointe du diocèse de Linz, a aussi révélé, tout en criant victoire, qu’il vivait avec une compagne et ne tenait aucun compte de l’obligation de célibat, avec l’approbation de ses paroissiens et d’autres prêtres autrichiens, vivant eux aussi en concubinage, et avec la tolérance des évêques ».

Dans des cas semblables, lorsqu’un prêtre vit avec une femme et continue à exercer son ministère, la congrégation vaticane pour le clergé, informée par l’évêque local, a le pouvoir de le démettre de son état clérical.

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Traduction française par Charles de Pechpeyrou.

2 réflexions au sujet de « À propos du célibat sacerdotal »

  1. Lorena,

    La mariage n’est pas un péché ! … C’est une belle vocation à la sainteté (cf. Vatican II).

    Le sacerdoce n’est pas de soi lié au célibat. Mais le cheminement de l’Église a abouti à considérer que le célibat consacré convient mieux comme état de vie lié au sacerdoce que le mariage.

    La question de l’engagement au célibat consacré est une option de l’Église latine. Certaines églises orientales ont fait une autre option. Dans tous les cas, il est important de vivre et de respecter les engagements pris.

    L’engagement au célibat est pris en connaissance de cause. Une autre question, évidemment, est celle de savoir si le prêtre est assez entouré par sa communauté pour vivre avec joie cet engagement. Mais un prêtre qui vit en concubinage à Paris, comme vous l’écrivez, a manqué à son engagement, de même qu’une personne mariée qui vivrait en état d’adultère manquerait à son engagement…

    Par ailleurs, l’affirmation que Pierre était marié est parfaitement gratuite, car ne s’appuyant sur rien d’objectif.
    Voyez http://charismata.free.fr/?p=414

    Personnellement, je ne vois pas Jésus demander à un homme marié d’abandonner femme et enfants… puisque cet engagement a été pris devant Dieu…
    Autre chose serait un cheminement de l’Esprit Saint aboutissant à vivre la continence d’un commun accord à l’intérieur du mariage…

    Bien amicalement

  2. Justement, j’ai un peu de mal à comprendre si Dieu est le Créateur de tous les hommes et Notre Père, qu’il y ait des règles différentes concernant le célibat des prêtres selon qu’on est d’Orient ou d’Occident.
    Pourquoi serait-ce un péché à Paris et pas à Nazareth?

    Je m’explique:
    En août 2010, j’ai participé au Festival International Marial à Paray-Le-Monial. Parmi les prêtres invités il y en avait un marié avec sa femme et ses deux filles qui venait de Nazareth de rite melkite oriental (sauf erreur de ma part). Je dois admettre qu’il n’a pas concélébré la Messe avec les autres prêtres, sans doute pour ne pas choquer.
    Ce qui me choque c’est qu’il y ait un degré d’appréciation différente. Un prêtre qui vivrait en concubinage à Paris serait destitué et pas en Orient?
    Le cas d’incompréhension pour moi se limite aux catholiques pas aux protestants, ces derniers ayant interprété la Bible à leur façon.. De même je comprends fort bien qu’un ex pasteur anglican converti au catholiscime demeure marié puisqu’il l’était antérieurement à sa conversion.

    Sinon je comprends fort bien l’exigence du célibat: dans une journée un prêtre a tant à faire que sa vie privée en pâtirait s’il était marié.

    Je me demande comment Pierre a résolu le problème s’il a tout quitté pour Jésus en laissant femme et enfants. Aujourd’hui ce serait objet de scandale: abandonner sa famille pour devenir prêtre! Et à l’époque il n’y avait ni pension alimentaire, ni sécurité sociale, ni retraite pour pourvoir aux besoins de la famille…

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