Canonisation de John Henry Newman

Le cardinal et théologien britannique John Henry Newman sera canonisé dimanche 13 octobre, étape nécessaire pour qu’il soit, un jour, déclaré docteur de l’Église. Pour le père Keith Beaumont, oratorien et auteur d’ouvrages de référence (1) sur Newman, la spiritualité de ce dernier est accessible à tous. Propos recueillis par Claire Lesegretain, le 10/10/2019

Pourquoi la canonisation du cardinal Newman est-elle importante ?

Keith Beaumont : Newman mérite pleinement d’être reconnu comme saint : pour sa vie, mais aussi en tant que penseur, écrivain et guide spirituel. En le canonisant, l’Église propose son enseignement comme modèle. Et sa canonisation est une étape nécessaire pour qu’il soit déclaré docteur de l’Église, ce que tous les papes depuis Pie XII ont souhaité. À lire aussi

En quoi est-il, comme vous l’écrivez, un « maître spirituel, véritablement ébloui par Dieu » ?

K. B. : Newman a été effectivement un guide spirituel pour des milliers de personnes, à travers ses sermons (12 volumes : 10 pendant sa période anglicane, 2 pendant sa période catholique) et sa correspondance (32 gros volumes).

Une foule de personnes lui écrivaient en vue d’obtenir des conseils à la fois théologiques et spirituels, car pour Newman les deux étaient inséparables. Il répondait systématiquement à ses correspondants, en essayant toujours de saisir leur situation concrète.

À l’âge de 15 ans, Newman avait fait une expérience éblouissante de Dieu comme « présence » au plus intime de lui-même : « moi-même et mon Créateur », comme il en parle dans son autobiographie, Apologia pro vita sua. Ce sens de la présence de Dieu, qui semble ne l’avoir jamais quitté, l’a conduit à devenir pasteur anglican, puis à s’engager pour le renouveau spirituel de l’Église d’Angleterre, puis finalement à quitter celle-ci pour l’Église catholique romaine.

Quels conseils donnait Newman pour le combat spirituel et moral ?

K. B. : Newman pose une exigence morale élevée mais il n’est jamais moraliste. Chez lui, la morale, toujours en relation avec la vie spirituelle, est conçue comme une forme d’entraînement spirituel. Persuadé que Dieu respecte la complexité de chacun, il insiste sur l’importance du temps et de la croissance dans tout cheminement spirituel, invitant à avancer à son propre rythme.

Pour lui, seul l’Esprit Saint, œuvrant en chacun, peut rendre saint à condition de vouloir se laisser transformer et sanctifier. Cet abandon spirituel est autre chose qu’un « lâcher prise » ; le rôle de la volonté y est primordial.

À quelles sources puisait-il sa spiritualité ?

K. B. : Newman était un lecteur vorace de l’Écriture : il en mémorisait des passages entiers, et dans ses sermons il citait jusqu’à cinquante fois la Bible. Il puisait également aux Pères de l’Église : à Oxford, il les lisait systématiquement et en était devenu l’un des meilleurs connaisseurs de son temps.

Il y puisait une conception de la vie dans laquelle le chrétien est un homme « qui a un sens intime de la présence de Dieu au plus profond de lui-même ». Il y redécouvrait aussi une compréhension de l’Église comme « corps mystique du Christ », plus d’un siècle avant l’encyclique Mystici corporis (1943), et 130 ans avant Vatican II. Enfin, il puisait dans sa propre expérience spirituelle, ce qui lui donne une grande authenticité.

Pourquoi parle-t-on de lui comme du « penseur invisible de Vatican II » ?

K. B. : Il ne faut pas exagérer son rôle : Newman n’est cité nulle part dans les documents conciliaires. Mais quatre des théologiens experts au Concile étaient de fins connaisseurs de sa pensée : les Français Yves Congar et Henri de Lubac, l’Américain John Courtney Murray (pour le Décret sur la liberté religieuse), et le jeune Joseph Ratzinger. Les idées de Newman se sont fait sentir dans les domaines de la conception de l’Église, de la conscience, de la liberté religieuse et du rôle des laïcs – notamment pour l’appel à la sainteté de tous les fidèles –, mais aussi de l’œcuménisme, des relations de l’Église avec le monde et avec les religions non chrétiennes.

Par ailleurs, Newman était mal à l’aise avec la structure autoritaire de l’Église de son époque. S’il acceptait le dogme de l’infaillibilité pontificale, il s’insurgeait contre la conception « maximaliste » que certains conservateurs en faisaient. Dans un long essai d’ecclésiologie (tome I de la Via Media), il présente une grandiose vision de l’Église fondée sur trois « fonctions » essentielles – celles du théologien, du pasteur et du gouvernement – entre lesquelles la tension est inévitable et salutaire.

(1) La théologie spirituelle de John Henry Newman, Ad Solem, 2015 ; John Henry Newman et saint Philippe Neri, Ad Solem, 2008 ; Petite vie de John Henry Newman, DDB, 2005 ; Prier 15 jours avec le Cardinal Newman, Nouvelle Cité, 2005.