La vie éternelle commence dès ici-bas

Anne-Laure Gayet a accompagné son mari dans l'épreuve de la maladie. 
 Elle témoigne de son chemin parcouru en six ans, dans la foi, avec leurs six enfants, leur famille et amis, et de l'entrée dans la « gloire» de Jérôme, le 29 août dernier. Un témoignage dans l'hebdomadaire La Vie du 31 octobre 2019.

A l’annonce de la maladie, j’étais enceinte de notre sixième enfant et nous avons fait le choix de vivre cette première étape dans le secret de notre couple. Il était si important pour nous que ce bébé soit accueilli dans un ciel bleu, sans nuage. Nous avions le pressentiment, Jérôme et moi, que ce chemin avec la maladie serait long, nous avions à cœur de protéger nos proches. Les premières années, Jérôme, en tant que vrai entrepreneur, a reçu la maladie comme une« mission» de plus à gérer. C’est à la troisième récidive que nous avons véritablement entrepris un chemin de conversion, main dans la main et en communion avec nos enfants, nos familles et amis de cœur.

Dans une dynamique d’éternité

Dans sa prière, Jérôme demandait avec confiance, énergie et insistance sa guérison. Début juillet, quand tous les traitements ont dû être interrompus, il a eu le sentiment qu’il se retrouvait désormais à nu face au Seigneur. Il ne pouvait quasiment plus marcher. Installés au rez-dechaussée de notre maison, dans une partie du salon que j’avais aménagée pour que nous soyons bien tous les deux, nous avons vécu ces deux mois d’été dans la douceur: deux mois très forts, deux mois bénis, deux mois de cœur à cœur! Nous avons été portés et nous nous sommes portés mutuellement.

Malgré sa grande faiblesse, Jérôme était très présent, tout était pensé, organisé pour lui, tout était vécu avec lui et par lui. Il était là, simplement, lui qui avait l’habitude de courir le monde pour son travail et ses engagements. Nous étions donnés l’un à l’autre, nourris par la prière et les très nombreuses visites de nos amis et famille que Jérôme appelait des « visitatians» ! Ce fut un des plus beaux étés de notre couple! Le temps n’existait plus … Nous goûtions un sentiment d’éternité, portés par cette communion des cœurs qui nous reliait les uns aux autres. Le lundi 26 août, nous avions rendez-vous à l’hôpital pour une visite de contrôle. Jérôme se sentait encore bien vivant malgré la maladie qui l’affaiblissait de plus en plus. Le jour même, son état s’est très vite dégradé, et j’ai compris que nous vivions nos derniers instants avant la séparation. Dans sa chambre, au sein d’un service de soins palliatifs, nous avons prié, chanté, partagé, pleuré, veillé Jérôme,jour et nuit, dans la paix, avec tous ceux qui se sont sentis appelés à partager ces instants avec nous. Dans la nuit du 29 au 30 août, j’étais seule avec lui, et il m’a offert son dernier souffie … Au même instant,je me suis sentie totalement enveloppée de son amour.

J’ai vu les portes du ciel s’ouvrir

Sa messe, nous voulions qu’elle soit une fête pour rendre grâce. Réunis avec les enfants dans le petit oratoire pendant que l’église se remplissait, nous avons puisé force et paix dans ces liens qui nous unissent, en présence du saint Sacrement. Lorsque le prêtre est venu nous chercher, il a ouvert l’entrée qui séparait l’oratoire de l’église, et là, j’ai vu comme les portes du ciel qui s’ouvraient, nous avons pénétré dans la lumière, portés par les chants et la musique. Pas de doute, Jérôme était dans la gloire, il nous invitait à « faire famille et Église « , à goûter la joie du ciel ! À la sortie, comme une effusion de joie, l’assemblée a applaudi et nous avons tous chanté l’Ave Maria, du groupe Glorious sur le parvis, sans pouvoir nous arrêter ! La communion des cœurs a rendu possible cette fête incroyable. Nous avons pu offrir à Jérôme ce cadeau, avec la force qu’il nous transmettait, la lumière qu’il nous transférait, l’amour dont il nous enveloppait.

Cueillir les fruits du ciel sur terre

Sur le livret distribué à la messe, j’avais choisi d’écrire, avec l’accord des enfants, « Entrée de Jérôme dans la vie éternelle ». Mais je sens que c’est une erreur. La vie éternelle commence dès ici-bas quand on vit un lien fort avec le ciel, comme il nous a été donné de le vivre ces derniers mois. On ne peut pas dire alors que la mort est une coupure. C’est un peu comme une marche en montagne: lorsqu’on arrive à un sommet, un autre se découvre, qui était invisible auparavant.

Je sens Jérôme très présent à mes côtés. Beaucoup de proches me demandent: « Comment tu tiens? »Je ne fais rien de particulier,je suis entrée dans une démarche de confiance, je n’ai aucune attente, si ce n’est d’accueillir ce qu’il m’est donné de vivre. Quandje vois les fruits aujourd’hui autour de moi,je me dis que Jérôme était appelé à cette fécondité, rendue plus belle et plus forte par sa grande proximité avec le Christ; comme me le confie Côme: « Papa et Jésus, ils sont meilleurs copains maintenant, ils se voient tout le temps! »,

Interview V.D. Photo David Pauwels pour La Vie.