Peur de Dieu… peur du mal… la foi comme antidote

Après les paroles de Jésus en paraboles, nous sommes entrés dans une partie de l’Évangile (14-15-16) où Matthieu nous présente Jésus comme Pasteur de son Église (les deux multiplications des pains, la « section des pains »), et où il met en avant la figure de Pierre (marche sur les eaux, profession de foi). Marcher sur l’eau ? Regardons d’abord Jésus. Puis Pierre.

Jésus vint vers eux en marchant sur la mer

La vue soudaine de Jésus marchant sur l’eau suscite de l’effroi chez les disciples. Leur peur est déclenchée par la présence inexplicable de Jésus sur les eaux d’un lac qui est leur domaine d’activité : on ne marche pas sur la mer ! Ils poussent des cris prenant même Jésus pour un « fantôme », c’est-à-dire quelque chose d’irréel. La venue de Jésus est toujours bouleversante et déroutante.

La marche sur la mer n’est pas sans évoquer la sortie d’Égypte. Dieu, en traçant un chemin à travers la mer, a manifesté sa toute-puissance au bénéfice du peuple qui échappe à ses ennemis. Jésus, tel un nouveau Moïse, assurerait-il la traversée aux disciples ? Le fait de marcher sur la mer sans être englouti dit quelque chose de l’identité de celui qui marche, et le fait que la barque touche terre immédiatement après avoir pris Jésus à son bord semble suggérer le rapprochement avec la sortie d’Égypte.

Écouter l’homélie

Jésus les rassure en disant : « Ayez confiance, c’est moi, soyez sans crainte ». Jésus, tout en les invitant à la confiance, s’identifie : « C’est bien moi ». Non, ils ne sont pas victimes d’une hallucination. Ce sont des paroles de confiance et de paix qui ont pour but non d’apaiser la nature, mais les disciples, et aussi de se faire reconnaître d’eux. Jésus se révèle au cœur des difficultés sans les supprimer…

Il faut faire appel à Marc, pour mieux comprendre le caractère théophanique de l’épisode. Il écrit que Jésus « était sur le point de les dépasser » (Mc 6, 48). Pourquoi cette précision ? Dans les théophanies de l’A.T., Dieu ne peut être reconnu que de dos. Ainsi en Exode 33 pour Moïse, et en 1 R 19 pour Élie comme on l’a entendu (1° lecture) : Yahvé n’est reconnu qu’une fois qu’il est passé. Il se révèle dans la manifestation la plus fragile qui soit, celle de la brise.

Ici Jésus révèle son identité divine sans cacher sa face, mais en la donnant à voir. En passant devant les disciples, Jésus leur donne de comprendre que s’il se révèle ainsi, c’est parce qu’il agit comme Dieu. Il leur ouvre les yeux sur son identité singulière et adorable. C’est pourquoi les disciples se prosternent devant lui, d’après Mt 14,33 : « Vraiment, tu es le Fils de Dieu ! »

Pierre se mit à marcher sur les eaux

« Si c’est bien toi… ordonne-moi de venir vers toi sur les eaux ». Est-ce un doute ? Écoutons St Jean Chrysostome (+ 407) : « Vois combien grande est sa ferveur, combien grande est sa foi ; il ne dit pas : demande, prie, mais ordonne. Il n’a pas cru seulement que le christ pouvait marcher sur la mer, mais il a cru qu’il pouvait y faire marcher les autres ; et il désire vivement aller à lui ; car ce prodige qu’il demande, ce n’est point par ostentation, mais uniquement par amour. En effet, il ne dit pas : ordonne que je marche sur les eaux, mais ordonne que je vienne à toi. »

Pierre « se mit à marcher sur les eaux ». Cependant, il prit peur « en voyant le vent », car le vent n’a pas cessé malgré la présence de Jésus. Pierre s’enfonce. Il coule, il ne lui reste plus qu’à appeler au secours en criant vers Jésus : « sauve-moi ». Son cri révèle non seulement sa petite foi (oligopistos, v. 31), car il s’en remet à Jésus, mais aussi le doute vertigineux qui le saisit dans l’expérience de ses limites devant la puissance du mal (la mer, symbole biblique des puissances cosmiques et spirituelles maléfiques). Nul homme ne peut tenir debout sur l’élément fluide, si ce n’est Jésus et celui à qui Jésus le donne… C’est déroutant, cela exige pour chacun de participer en saisissant la grâce donnée.

Certes, Jésus choisit Pierre pour lui confier l’Église, mais il n’en fait pas un surhomme. L’apôtre ne pourra répondre à sa vocation qu’à la mesure de sa foi qui le fera tenir debout. Avant de monter avec Pierre dans la barque, Jésus tend la main Pierre et lui reproche son incrédulité : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? »

Oui, c’est bien la foi qui nous libère de la peur, de Dieu (les apôtres) et du mal (Pierre).