Être au clair

J’aimerais vous partager deux points de vue qu’on peut lire sur le site du journal La Croix (samedi 18 janvier), concernant la douloureuse « affaire Preynat » et le procès qui vient de s’achever. Ces propos ont été recueillis par les journalistes Céline Hoyeau et Clémence Houdaille.

Mgr Emmanuel Gobilliard, évêque auxiliaire de Lyon. « Ne plus agir en fonction de soi mais de la loi, de la souffrance des victimes ».

Toute la semaine, j’ai écouté les débats et rempli un carnet de notes pour analyser ce qu’on a manqué, afin d’en tirer des leçons et mettre en place des structures pour que cela ne se reproduise plus.

Quand j’entends que Bernard Preynat s’est coupé de la branche des scouts de France pour monter sa propre troupe, rattachée à aucun mouvement, ce n’est plus possible. Il était seul, décidait de tout. Cela doit nous alerter.

Je souhaite aussi, aujourd’hui, que les séminaristes passent leur Bafa, pour avoir des notions d’éducation avec les jeunes, mais certainement pas leur Bafd, car un prêtre n’a pas vocation à être directeur de camp de vacances. Sans quoi son autorité spirituelle se mêlera toujours dans l’esprit des jeunes à l’autorité du directeur, et c’est cela qui doit changer, le prêtre tout-puissant, qui concentre toutes les responsabilités.

Il y a des leçons à tirer aussi sur la formation à la confession. Quand le confesseur reçoit l’aveu de tels gestes, il devrait refuser l’absolution et la conditionner à la contrition, or une vraie contrition, c’est rendre compte de ses actes et se présenter à la justice. Dans le cas de Bernard Preynat, je suis convaincu qu’il a avoué à la barre ce qu’il a dit en confession. Je pense qu’il a parlé de « péché de chair ».

Et si on lui a demandé des précisions, il a pu dire « j’ai commis des actes impurs » ou « il y a eu des masturbations ». Mais de mon expérience et de celle de mes confrères, jamais un pédocriminel ne fait un vrai aveu de ses crimes en confession. Cela reste toujours flou et je pense, après avoir consulté des psychiatres, que lever le secret de la confession empêcherait la possibilité de ce recueil d’aveux si rares et serait contre-productif.

Je me suis placé cette semaine du côté des victimes dans la salle d’audience, car le diocèse doit d’abord être aux côtés de ceux qui ont le plus besoin de soutien. C’est aussi ce logiciel qu’il nous faut changer. Nous avons été beaucoup dans la défense de l’institution. Bien sûr, l’Église reste une institution humaine, il y aura toujours des erreurs, et nous avons un travail à faire sur la question du cléricalisme. Dire que « tout est réglé » serait déjà du cléricalisme.

Sur ces affaires, on est longtemps resté dans le subjectif et l’opinion. Ce que le procès Preynat, mais auparavant, La parole libérée et le procès Barbarin ont changé, c’est la conscience qu’il faut que tous les chrétiens sachent quoi faire face à des cas de soupçons de délits ou de crimes concernant des mineurs. Ne plus agir en fonction de soi mais de la loi, de la souffrance des victimes.

C’est cette objectivité à laquelle nous devons parvenir. Nous sommes désormais en lien direct avec le vice-procureur, nous avons aussi mis en ligne, en septembre, douze vidéos sur une plateforme pédagogique afin de donner la parole à tous les incontournables, experts et victimes, dans la lutte contre la pédocriminalité. Ces vidéos font partie de la formation que nous dispensons à tous les prêtres, diacres et laïcs en mission ecclésiale dans le diocèse et que nous proposons désormais à l’enseignement catholique et aux mouvements.

Marie-Jo Thiel, médecin, théologienne et professeure d’éthique à l’université de Strasbourg. « Comprendre qu’il faut défendre les victimes avant tout. »

À mon sens, le procès Preynat est, en France, l’équivalent du grand jury de Pennsylvanie qui avait tant marqué aux États-Unis il y a deux ans. Il permet à la société de comprendre ce qu’est un abus sexuel sur mineurs, comment des dysfonctionnements ont eu lieu à tout niveau, dans l’Église et dans la société elle-même, comme l’ont par ailleurs rappelé récemment les écrits de Vanessa Springora sur Gabriel Matzneff.

Aujourd’hui encore, les citoyens, les paroissiens, les responsables d’Église commencent seulement à comprendre la profondeur de ces dysfonctionnements, et comment cela se répercute sur les victimes.

Ce procès nous a donné à voir ce qu’est la perversion. Grâce aux retours médiatiques, même si on peut éprouver une certaine lassitude, on comprend mieux ce qu’est un être double, clivé, narcissique ; comment on peut être un homme de pouvoir, adulé, et en même temps un redoutable prédateur, qui reconnaît les faits, et en même temps ne montre aucun remords ; qui est toujours dans l’emprise, minimise les faits et dénie la souffrance des autres.

Lors de ce procès, on a pu se rendre compte que Bernard Preynat avait parlé à maintes reprises de ses actes et que sa hiérarchie n’en a pas tenu compte. Ils ont vu et n’ont pas agi en conséquence. Y compris jusque dans les années 2000-2010, alors qu’on avait déjà commencé à travailler sur ces sujets avec la Conférence des évêques de France. Ce n’est pas acceptable. Cela illustre aussi le fait, et des diocèses comme Paris, Strasbourg et d’autres l’ont compris en signant des conventions avec la justice, que l’Église n’est pas en mesure de mener seule ses propres investigations pour éclairer les faits.

Un point très important du motu proprio Vos estis lux mundi, publié en mai 2019, exige des prêtres qu’ils signalent les faits d’abus dont ils ont connaissance. Mais cela reste un peu symbolique, car beaucoup de prêtres ont été formatés à défendre l’Église avant tout. Ce procès permet de montrer qu’il faut défendre les victimes avant tout ; elles sont, selon l’Évangile de Matthieu, chapitre 25, une représentation du Christ. Signaler des abus n’est pas faire du tort à l’Église ! Et ce n’est pas quelque chose de facultatif. Récemment encore un prêtre m’a dit : « Ce n’est pas facile de dénoncer un confrère… »

Bernard Preynat a aussi expliqué s’être plusieurs fois confessé de ses actes. Il faudrait avancer sur cette question, sans remettre en cause le secret de confession, pour que le prêtre puisse surseoir à l’absolution sacramentelle tant que le pénitent n’est pas allé se dénoncer ; car malheureusement un sujet pervers peut acquiescer à la demande du confesseur, mais n’obtempérera pas…

Enfin, c’est peut-être la première fois qu’on voit à quel point ces actes ont pu être traumatisants, sur le long terme, pour les victimes. Et c’est une instance neutre, la justice, qui le reconnaît.

Et dans mon diocèse ?

Que l’évêque partage à l’ensemble des prêtres du diocèse pourquoi il a été amené à suspendre de tout ministère l’un de ses prêtres, un confrère, c’est normal. Mais pourquoi ce prêtre avait-il été mis à la disposition d’un autre diocèse, dix ans plus tôt, alors qu’il existait déjà des rumeurs ? Et quel a été le suivi pendant ces 10 ans ? Puisque la mise en cause du prêtre provient de deux témoignages, l’un actuel venant d’une femme du diocèse où il avait été envoyé, et l’autre d’une autre femme dans notre diocèse pour des faits qui se sont déroulés dix ans plus tôt ?

Sortir de la schizophrénie

Il eût été plus juste et plus clair d’aller jusqu’au bout, et de regarder les réalités dans la durée, pour sortir de ce que certains appelleront une schizophrénie « entretenue » de l’institution Église… Si l’on veut jouer la carte de la transparence, il faut aller jusqu’au bout.

Être au clair. On ne sortira de la crise qu’au prix d’une transparence et d’une vérité totales…