L’abandon à Dieu

DE SAINT PHILARÈTE DE MOSCOU (1782-1867)

Sermon pour l’Annonciation de la très sainte Mère de Dieu

Toutes les grandes actions que nous présente la parole de Dieu se sont accomplies par un grand abandon à Dieu.

Qui ne connaît Abraham et son grand sacrifice? Comment put-il lever une main meurtrière sur son fils, en qui il avait reçu la promesse de sa postérité ? Comment ne douta-t-il pas? Comment ne dit-il pas à Dieu : « N’est-ce pas toi qui as promis, Seigneur, que « d’Isaac ma postérité recevra son nom » (Gn 21, 12) ? Où donc sera cette postérité quand le jeune Isaac sera brûlé sur l’autel ? » Le patriarche n’avait en ce moment ni pensée, ni désir, ni action qui lui fussent propres ; il remettait tout à Dieu, « espérant contre toute espérance » (Rm 4, 18) ; de cette manière, il accomplit un sacrifice d’un grand prix, il ne fut pas privé de son fils bien-aimé, et il doubla la bénédiction sur lui. « En vérité, lui fut-il dit, je te comblerai de bénédictions, je multiplierai grandement ta postérité et toutes les nations de la terre seront bénies en ta postérité. » (Gn 22, 17-18). Ainsi, l’abandon de soi-même à Dieu est le meilleur de tous les sacrifices à Dieu et le gage le plus sûr de sa bénédiction.

Qui n’a entendu parler de Job, dont Dieu lui-même a proclamé la vertu dans l’assemblée des puissances célestes ? (cf. Jb 1, 8). Or, en quoi consistait la force de sa vertu, si ce n’est dans son abandon à Dieu, aux décrets impénétrables duquel il s’en remettait avec reconnaissance, lui, ses enfants, ses richesses et sa santé? Et ce fut grâce à cet abandon de lui-même à Dieu qu’il rendit vains tous les efforts de l’ennemi de la vertu et de la félicité du genre humain : « Le Seigneur a donné, le Seigneur a repris : que le nom du Seigneur soit béni ! » (Jb 1, 21). Un pareil abandon à Dieu est un rempart inébranlable contre toutes les épreuves.

Voyez encore Moïse, à ce moment terrible où il avait devant lui la mer et derrière lui l’armée égyptienne. Le peuple crie vers Dieu, il murmure contre son chef. Et que fait le chef ? Il ne prépare pas le peuple à la résistance, il ne cherche pas un chemin pour s’enfuir, il n’élève pas sa verge miraculeuse, il ne prononce pas même un mot de prière à Dieu. Qu’est-ce que cela signifie ? Qu’il s’est entièrement remis à Dieu, et qu’il a entraîné le peuple dans cette attitude: « Le Seigneur combattra pour vous. Quant à vous, demeurez dans le silence » (Ex 4, 14). Tout se tut, mais ce silence retentit bien haut dans les lieux et réveilla la merveilleuse puissance de Dieu. « Et le Seigneur dit à Moïse : Pourquoi cries-tu vers moi ? Parle aux enfants d’Israël, et qu’ils marchent ; et que les enfants d’Israël entrent au milieu de la mer à pied sec » (Ex 14, 15-16). Ici, l’on voit que l’abandon à Dieu est la prière la plus puissante et la plus efficace.

Enfin – pour tout dire en peu de mots à des chrétiens – par quoi commence l’œuvre du Christ ? Par l’abandon du Fils Dieu à la volonté de Dieu son Père. « Voilà que je dois faire volonté, mon Dieu » (Ps 39-40, 9), dit-il en s’abaissant dans son Incarnation. Et comment se termine cette œuvre ? Par le même abandon. « Non comme je veux, mais comme tu veux, Mon Père, je remets mon âme entre tes mains » (Mt 26, 39). Ainsi, l’abandon de soi-même à Dieu est le commencement et l’accomplissement du christianisme et du salut éternel.