Une personne religieuse ?

1. C’est quelqu’un pour qui Dieu est réel : il compte et pèse dans sa vie comme une présence lumineuse qui éclaire et soutient. Ce n’est pas une chose, ni un objet, ni une idée que l’on peut saisir et s’approprier, mais une réalité à la lumière de laquelle on existe avec bon­heur, à laquelle on s’ancre avec lucidité et sur laquelle on s’établit volontaire­ment.

2. Quelqu’un pour qui Dieu est « une personne». En conséquence, non pas une réalité aveugle et obscure, mais un visage accueillant, un regard d’amour, une parole qui lui est adressée, un proche que l’on peut invoquer, auquel on peut adresser la parole, par qui cha­cun est appelé par son nom, envoyé en mission, chargé d’une responsabilité.

3. Quelqu’un qui accepte son exis­tence avec amour dans une attitude de reconnaissance, parce qu’il sait que la Création est un acte de la générosité et de la liberté absolues de Dieu, qui suscite des amis et des compagnons d’alliance pour faire ensemble le voyage de l’existence. Face au ressentiment amer de celui qui considère l’existence comme un non-sens et une condamnation, il vit, lui, dans un consentement joyeux en lui-même et apaisant pour les autres.

4. Quelqu’un qui a assumé son autonomie, clairement théorique, et la pratique volontairement, sachant que rien ni personne ne le relève de ses responsabilités en ce monde, mais qui comprend cette autonomie avant tout comme ca­pacité à se reconnaitre comme don et grâce de Dieu, en conséquence de quoi il l’exprime en action de grâces, louange et adoration incessantes.

5. Quelqu’un qui transforme en re­connaissance envers les autres cette gratuité essentielle de Dieu, car il se comprend lui-même comme médiateur de la bonté divine envers les autres, et ne se reconnaîtrait pas lui-même dans une telle gratuité s’il ne faisait pas pour les autres ce que Dieu a fait pour lui : créer, servir, ouvrir des chemins, avan­cer vers la lumière.

6. Quelqu’un qui, se sachant fruit de l’amour, se sachant aimé et destiné à prolonger cet amour dans le monde, ne craint pas l’Avenir, car ce qui est devant lui est semblable à ce qui est à son ori­gine : l’Amour créateur se manifestera comme amour parfait. Qui se sait en­raciné non sur le hasard ou la nécessité, mais dans l’amour et le Logos, celui-là avance tranquillement dans l’histoire où tout peut se passer sans qu’il risque de trépasser.

7. Quelqu’un qui est profondément empli de paix et de miséricorde, parce que, en lui-même, ce n’est pas une obli­gation ni une exigence, car il se sait relié à un rocher qui le soutient, greffé sur une racine qui lui communique en per­manence la sève et lui permet de donner des fruits. C’est pourquoi, devant les autres, il offrira au lieu d’exiger et, au lieu de commander, il passera devant pour ouvrir un chemin et indiquer aux autres une possibilité offerte à leur li­berté.

8. Quelqu’un pour qui prier, supplier, implorer Dieu en privé ou en public (en quelque lieu de la nature et surtout dans les églises et les lieux où Il est notre voi­sin de quartier), est la respiration nor­male de son être: il le fait normalement avec la fréquence et la paix d’une respi­ration physique, sachant bien que sans cet air divin il mourrait, comme son corps défaillirait sans oxygène.

9. Quelqu’un pour qui la Création est un don du Père, c’est pourquoi il l’ac­cueille, la déploie, et en jouit avec tout l’élan de l’enfant qui joue pour le simple plaisir d’y être en liberté et de veiller sur elle.

10. Quelqu’un qui remet sa vie et sa mort entre les mains de Dieu, filiale­ment et sans crainte, parce qu’il sait que c’est là qu’il est le mieux : elles l’ont fa­çonné comme le potier modèle la glaise pour contempler avec joie ce qu’il a créé.

Ainsi devient possible cet abandon heureux de celui qui, tout en s’occupant, n’est jamais saisi d’angoisse, car il sait qu’un Autre veille sur lui. La piété nait de cette sagesse première qui consiste à se savoir créature, fruit et image d’une amoureuse liberté créatrice, existence appelée à la finitude et à la dé­cadence, mais aussi ouverte à l’absolu, appelée à la communion avec Dieu, donc capable d’adorer et de remercier.

Olegario Gonzalez de Cardenal, théologien catholique espagnol. Bonté, piété, amitié, trois mots-clés pour l'humanité. Revue Communio, XLVI, 2-3, mars-juin 2021, pp. 175-186.