Entendre et écouter

par Laëtitia Gonfalon

Deux extraits du rapport Sauvé

  • Le besoin d’un interlocuteur fiable
  • Le besoin d’une écoute bienveillante et indépendante

Ce sont ces deux besoins qui doivent amener l’Église de France (CEF et CORREF confondus) à mettre en place avec l’aide de tous un service national d’écoute et de recueil des plaintes ou témoignages relatifs à tous types d’abus.

C’est un besoin ancien qui a longtemps été l’objet d’un déni, mais c’est désormais un phénomène nouveau mis en valeur par le travail de la CIASE. Ce besoin était nié. Non seulement l’écoute était refusée, mais on refusait d’entendre. C’est ce qu’écrit Milan Kundera : « Il faut rappeler une règle générale : tandis que la réalité n’a aucune honte à se répéter, la pensée, face à la répétition de la réalité, finit toujours par se taire »1.

Ceux qui demandaient à être écoutés étaient des contestataires, faisant preuve de mauvais esprit car ils dénigraient l’église et son clergé ; ils s’opposaient aux vocations des jeunes, ils gênaient les évêques qui sont, comme chacun sait, des gens fort occupés.

Après le rapport de la CIASE, une fois passé le choc médiatique et émotionnel il est probable que les vieux démons chercheront à reprendre le dessus ; la pensée, face à la répétition de la réalité, aura tendance à se taire. Mais il est évident que rien ne peut plus être comme avant. Il faudra bien organiser l’écoute.

En effet à l’heure même où vous lisez cet article des abus sont perpétrés et devront à leur tour être révélés. C’est actuel et cela se passe chez nous. Ouvrez par exemple le journal SUD OUEST du 10 octobre 2021. Il titre ainsi : « Agression sexuelle dans une abbaye en Dordogne : « Ça m’a bousillée », témoigne la victime »et le chapeau de l’article est dépourvu d’ambiguïté : « Une Périgourdine affirme avoir subi une agression sexuelle par un prêtre. Les faits se seraient produits à l’abbaye d’Échourgnac. Une enquête est en cours »

Ce ne sont donc pas seulement des faits que l’on fait remonter aux années 50. Alors comment s’y prendre ?

Les plus qualifiés pour écouter sont les anciennes victimes.

Ils savent décoder à mi-mot ce qui est dit ou simplement suggéré, saisir les litotes.

Ils savent également décoder ce qui n’est pas exprimé, mais résulte du comportement non verbal de leur interlocuteur. Mais le désir de tourner la page est bien souvent présent chez ces personnes. Ils ont « refait » leur vie ou tentent de la refaire. Donc leur disponibilité est réduite et il leur est souvent trop douloureux de revivre leur propre situation en écoutant les autres victimes.

Il faudra donc procéder différemment et prendre des écoutants parmi des laïcs, des professionnels, des gens de bon sens. La première écoute est souvent inintéressante, anodine. En effet la victime ne vient pas pour être écoutée, mais pour tester l’écoutant, pour s’assurer si elle peut lui faire confiance, si elle peut vraiment lui raconter l’abus subi, ou encore l’aider à faire remonter les souvenirs dans sa conscience.

Dans ce premier contact c’est donc autant l’écoutant qui doit se présenter, se raconter, se livrer un peu, sans exiger l’inverse. La victime, elle, livrera peu d’elle-même.

Face à ce premier constat on comprend bien que les cellules d’écoute mises en place jusqu’à ce jour par l’institution ecclésiale, et encore plus en interne par des Communautés sont d’une efficacité douteuse. Elles sont en fait disqualifiées et doivent être supprimées. On ne saurait être à la fois juge et partie.

Ces cellules ont été mises en place en partant du principe que la victime continue à faire confiance à l’institution, à en espérer quelque chose. Rien n’est moins certain à quelques exceptions près.

La victime peut très bien avoir perdu la foi. Cela ne regarde pas celui qui écoute.

Elle peut très bien ne plus avoir confiance dans l’Église officielle : cela se conçoit.

Elle peut très bien se trouver encore sous emprise : l’écoutant doit s’en rendre compte et s’adapter à cette difficulté.

Elle peut très bien refuser de pardonner. Ce n’est pas le rôle de l’écoutant d’aborder la question du pardon.

Elle peut très bien être en colère. Il le faut d’ailleurs : pour sa guérison elle doit passer par un stade de colère. C’est pourquoi si l’écoutant est étranger à l’institution officielle cette colère libératrice peut être plus aisément reçue et entendue.

À ce propos la CIASE à eu la chance de pouvoir bénéficier des services de l’association France Victimes dont le professionnalisme et l’indépendance ont permis de libérer les paroles des victimes. Il faut bien comprendre que certaines questions posées à des victimes par des écoutants souvent bien-pensants, mais mal formés peuvent leur paraître une forme de voyeurisme insoutenable.

C’est pourquoi on ne questionne pas une victime, ou très peu : on apprend simplement d’abord à reformuler ce qu’elle dit pour l’aider.

La question de l’écoute est désormais d’une actualité brûlante. En effet, dès lors que la CIASE a rendu son rapport, elle cesse d’écouter.  C’est normal : elle a rempli sa mission, mais le besoin d’écoute des victimes n’a pas disparu pour autant, besoin double, d’abord d’être entendues, puis d’être considérées et donc écoutées, et enfin accompagnées, soutenues.

Cela va durer plusieurs années… Le besoin de commencer une autre histoire comme le dit fort bien le rapport Sauvé :

1 Le Rideau, édité à la NRF GALLIMARD, mars 2005, page 144.