La conversion, remède au dépérissement

L’absurde et l’injuste

La radio, la télévision, le journal, sont pleins de faits divers semblables à ceux qui sont rapportés à Jésus : des juifs massacrés par Pilate au Temple alors qu’ils offraient des sacrifices, des personnes ensevelies sous les ruines de la tour de Siloé… Rien que des morts absurdes…

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Une mort en fin de vie, c’est l’ordre normal des choses. Il faut bien mourir un jour, dit-on résigné. Sous-entendu : puisque la vie n’est que terrestre. Mais une mort accidentelle ou criminelle, c’est une injustice : les personnes ont été lésées d’une partie importante de leur vie ; elles ne méritaient pas cela ! Et soudain s’éveille en nous le redresseur de torts qui cherche le coupable. Dans un cas, c’est Pilate ; mais quel insensé ira porter plainte auprès de l’empereur de Rome ?

Mais dans l’autre ? Jésus prend les devants en introduisant le mot pécheur. « Pensez-vous qu’ils étaient de plus grands pécheurs, ou plus coupables que les autres pour avoir un tel sort ? » Que la violence de leur mort est proportionnelle à la gravité de leurs fautes ? Et donc que le responsable de leur mort, c’est Dieu lui-même, qui les aurait punis ? « Qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu pour qu’il m’arrive une chose pareille ? »

Le mal que l’homme s’inflige à lui-même

La double négation de Jésus n’est pas un ‘non’ ordinaire mais une formulation intensive : PAS DU TOUT ! cette mort absurde N’EST PAS un châtiment divin. Jésus casse la chaîne de fatalité culpabilité-châtiment, aujourd’hui devenue le cliché ‘judéo-chrétien’ typique. Car notre besoin de sens nous amènerait presque à nous penser punis, plutôt que victimes d’un hasard absurde. Mais cette opinion est rejetée par Jésus ici.

Du coup, on doit accepter une réalité désagréable : le hasard absurde et la bêtise humaine sont réels, fréquents, et causent bien des malheurs. Tragédies dans lesquelles Dieu n’a rien à voir, déclare Jésus. Pire encore : le mal ne cesse de frapper les innocents. Le mal est comme une pierre qu’on jette en l’air et qui retombe toujours sur la tête d’un innocent. Et Jésus en fera la douloureuse expérience, lui le pur (amnos) de Dieu, l’agneau (agnos) de Dieu. Mais il la fera volontairement, comme un acte rédempteur qui portera le fruit de salut, et non pas dans l’absurdité.

Plus les hommes se détournent de Dieu, plus ils laissent aller leurs passions avides, plus ils deviennent alors complices du mal absurde qui frappe les innocents, plus le maillage d’amour qui tient l’humanité debout a tendance à céder, provoquant des tragédies sans fin. C’est ce que l’humanité vit à grande échelle, à certains moments. Et sans aller chercher si loin, c’est ce par quoi nos vies peuvent être frappées. Frappées de dépérissement, comme le figuier de la seconde parabole.

Le remède au dépérissement

Pour éviter au maximum un tel état de choses, Jésus propose la conversion, le retour volontaire à Dieu. Car il nous faut remarquer le mot employé par Jésus : non pas mourir, mais PÉRIR. Jésus ne dit pas : « Si vous ne vous convertissez pas, vous mourrez tous de même », mais « vous périrez tous de même ». Ce verbe grec apolluô traduit ici ‘périr’ signifie aussi ‘être perdu’. Comme le fils prodigue, en train de rater sa vie : mon fils était perdu (verbe périr) et il est retrouvé ! Expression synonyme et symbolique qui redouble la première phrase : il était mort et il est revenu à la vie ! (Lc 15,24.32)*. La réflexion ici n’est pas d’ordre moral, mais plutôt ‘existentiel’.

Le contraire d’une vie absurde, c’est une vie comprise comme le lieu du don de Dieu, un chemin de relation avec Lui. C’est là que la vie humaine trouve son poids et son sens. Jésus dit : tant mieux si ces tragédies vous sortent des fausses sécurités de votre routine ! Demandez-vous sur quoi vous fondez votre vie, sur quel chemin vous l’orientez actuellement : ça presse ! Car notre vie peut commencer à périr bien avant qu’on meure. La conversion, ici, c’est l’évaluation lucide de sa vie, en se rappelant que Dieu en est la source, le sens et l’avenir. Une question toujours urgente. À nous de reconnaître le temps où Dieu nous visite (Lc 19, 41-44).

* Autres exemples éclairants : Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu (Zachée ‘périssait’). Que sert à quelqu’un de gagner le monde s’il se perd (périt) ou se ruine lui-même ? (Luc 15,17.24.32 ; 19,10 ; 9,25)