Si quelqu’un m’aime, il gardera ma Parole

Ce verset (Jn 14,23) est très clair et très emblématique du positionnement religieux de Jésus. Il vient nous attirer à lui pour nous diviniser à travers cette relation.

Si quelqu’un m’aime…

D’emblée, Jésus nous demande de l’aimer, il réclame l’amour de notre part, dans une relation libre (le conditionnel le manifeste). C’est la question qu’il pose à Pierre : « M’aimes-tu ? » Et Pierre ne peut que bafouiller qu’il lui est attaché d’amitié. Notre amour est bien court. Et nous avons besoin que Dieu lui-même nous donne l’amour dont nous devons l’aimer… En ce sens, Jésus priera quelque temps plus tard : « Je leur ai fait connaître ton nom, et je le ferai connaître, pour que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux, et que moi aussi, je sois en eux. » (Jn 17,26). Est-ce que je quête auprès de Dieu cet amour qu’il veut me donner pour l’aimer ?

Il gardera ma parole…

Jésus dit de façon similaire : « Si vous demeurez fidèles à ma parole, vous êtes vraiment mes disciples » (Jn 8,31). Pour Jésus, le signe de notre pauvre amour est l’observance de sa Parole, notre attachement amoureux à sa Parole. Il dit clairement deux versets plus haut : « Celui qui reçoit mes commandements et les garde, c’est celui-là qui m’aime… » Parce que sa parole est ce qu’il donne de plus précieux ; il est lui-même le Verbe, la Parole du Père, la Vie du Père. « Qui écoute ma parole et croit en Celui qui m’a envoyé, obtient la vie éternelle et il échappe au jugement, car déjà il passe de la mort à la vie » (Jn 5,24). Est-ce que je garde les paroles de Jésus amoureusement, dans mon cœur, comme la lumière la plus précieuse dont je puisse bénéficier ?

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Et mon Père l’aimera…

Toute marque d’amour que nous avons pour le Fils attire sur nous la bienveillance du Père. Nous sommes saisis à l’intérieur de ce mouvement trinitaire d’amour qui unit le Père au Fils. Rien de plus dynamique que la vie spirituelle chrétienne. Deux versets plus haut, nous lisons : «Celui qui m’aime sera aimé de mon Père ; moi aussi, je l’aimerai, et je me manifesterai à lui » (Jn 14,21). Jésus nous dit ainsi que le Père et le Fils se manifestent à nous par le troisième, l’Esprit Saint. Nous sommes aspirés dans ce mouvement circulaire de l’Amour. Est-ce que nous y consentons vraiment, et avec joie ?

Et nous viendrons chez lui…

L’Amour surpasse l’amour, il se déploie pour aller toujours plus loin. Solliciter l’Amour divin, c’est accepter de se laisser emporter vers un au-delà toujours plus grand (Adrienne von Speyr1 aimait à dire : « Dieu est autrement », toujours au-delà). C’est se laisser « animer », mouvoir de l’intérieur, sans mettre la main sur ce mouvement ni l’orienter. C’est vivre la venue intermédiaire du Seigneur dans toute sa puissance déconcertante. Entre la première venue de l’Incarnation, et sa venue glorieuse à la fin des temps, Jésus, toujours présent, ne cesse de s’approcher et de nous attirer vers le Père…

Et nous ferons chez lui notre demeure…

Cette demeure n’est pas la Jérusalem Céleste qui descend du ciel (Ap 21,10), mais elle en est l’annonce déjà présente. Elle prend consistance à travers l’union eucharistique : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi, je demeure en lui » (Jn 6,56). Nous devenons demeure de la Trinité, demeure du Père par le Fils dans l’Esprit. Et nous demeurons en eux. « Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour » (Jn 15,10). Ste Élisabeth de la Trinité, la carmélite de Dijon, a développé cette spiritualité, demeurer au coeur de l’Amour trinitaire : « Que le Père vous couvre de son ombre, que cette ombre soit comme une nuée qui vous enveloppe et vous sépare. Que le Verbe imprime en vous sa beauté, pour se contempler en votre âme comme un autre lui-même. Que l’Esprit Saint qui est l’amour fasse de votre cœur un petit foyer qui réjouisse les trois personnes divines par l’ardeur de ses flammes » (Lettre 278, du 10 juin 1906 à Germaine de Gemeaux).

1Adrienne von Speyr (1902-1967) était une protestante de Suisse romande, mariée et mère de deux enfants, médecin exerçant sa profession à Bâle, et vivant une vie spirituelle intense et mystique. Elle rencontre le théologien Hans Urs von Balthasar qui la reçoit dans l’Église catholique en 1940. Authentique mystique du XXe siècle. Elle est habitée par la vision d’un Dieu toujours plus grand et déroutant.