Suicide des jeunes : on est tous responsables !

 La Journée mondiale du suicide, samedi, veut sensibiliser le public à l'ampleur du fléau. Un drame que le Sarthois Patrick Cottais a vécu et qu'il a accepté de raconter. Ouest-France, vend. 9 sept. 2022.

Page réalisée par Eric de Grandmaison

Le témoignage

Dans la région, le taux de suicide des jeunes est supérieur de 24 % au chif­fre national (lire ci-contre). Un fléau que dénonce Patrick Cottais. Avec son épouse, il a vécu le drame de la disparition volontaire de leur fille adoptive, Valentine, en mars dernier, à l’âge de 17 ans, alors qu’elle pour­suivait des études en architecture d’intérieur à Rennes. Depuis, il a déci­dé de consacrer « le reste de [sa] vie à la cause des personnes en souf­france« . Voici son témoignage.

« Nous nous sommes rencontrés avec ma femme en 1989, et mariés en 1995. Nous ne pouvions pas avoir d’enfant. Alors nous avons choisi l’adoption et notre fille, Valentine-Mei, est arrivée de Chine. Elle est entrée dans notre famille en 2006. Je suis devenu papa à 39 ans ! J’avais accu­mulé beaucoup d’amour que je ne pouvais pas donner jusque-là.

Le 18 mars dernier, vers 23 h, notre fille a sauté du dixième étage d’un appartement à Rennes, où elle était étudiante en architecture d’intérieur. Nous l’avions eue au téléphone la veille, vers 20 h 30. Elle avait desfragilités et une souffrance intérieure com­me d’autres adolescentes, mais rien ne laissait apparaître quoi que ce soit pour un tel geste. »

Deux élus à la porte d’entrée

« Son suicide, nous ne l’avons appris que le lendemain, à 15 h. Le corps de Valentine a été découvert à Rennes vers 8 h 30. Deux élus de Bonnétable [Sarthe] sont venus à notre domicile et nous ont annoncé brutalement : « Votre fille s’est suicidée« , entre la porte d’entrée et la porte du salon.

Imaginez-vous la souffrance de subir une telle épreuve? Je me suis effondré dans la salle à manger, en larmes … Et j’ai dit à mon épouse : « Je ne vais pas pouvoir le supporter.« 

On veut faire cesser cette souffrance intolérable et indescriptible, montée de zéro à mille. C’est ma femme qui l’a évitée en me disant : « Patrick, ne fait pas le c … J’ai besoin de toi ! »

La très grande humanité du policier qui nous a reçus

« Nous sommes montés le lendemain à Rennes, avec la marraine de notre fille et son mari. Nous avons été reçus par le policier qui a découvert son corps martyrisé et nous avons mesu­ré sa très grande humanité. Quand il t’arrive ça, c’est très important.

Voilà, à 55 ans, mon monde s’est écroulé, comme si le toit de la maison m’était tombé dessus. Je me suis dit : « Tout cela n’a aucun sens ! J’ai couru pendant des années après un enfant que je désirais avoir. Et maintenant, elle n’est plus là physiquement. » Je ne dormais plus, j’ai pleuré pendant deux mois, du matin au soir … »

Dire « je veux mourir« , ça n’est pas anodin

« J’ai appris deux mois après que Valentine avait écrit des messages où elle envisageait le suicide, dans des réseaux où ils ont été lus. Personne ne nous a avertis … Quand quelqu’un dit: « Je veux mourir« , ça n’est pas ano­din. Je dis aux jeunes qui liraient de tels messages : alertez les parents !

Après la mort de Valentine, des gens venaient chez nous et ne savaient pas que nous avions perdu notre fille. Ils comprenaient parfois, au bout de plusieurs minutes, lorsqu’ils nous voyaient allumer une bougie devant eux, près de sa photo. Nous sommes très soutenus par l’associa­tion Arc-en-Ciel, qui accompagne les familles en deuil. Ils sont super! »

« Un truc qui ne tourne pas rond« 

« Le 13 mai dernier, j’ai appris qu’un élève transgenre de 15 ans avait mis fin à ses jours au lycée Bellevue, au Mans. Là, je me suis dit : « Ça n’est pas possible ! Il y a un truc qui ne tourne pas rond. » J’avais l’impres­sion de revivre une deuxième fois l’annonce terriblement traumatisante du départ de notre unique enfant. Je n’ai pas dormi de la nuit.

La mort d’un enfant par suicide est le tabou absolu. J’ai la certitude que le suicide des jeunes, ça n’est pas seule­ment du domaine médical et psycho­logique : il s’agit d’un problème de société. Ma colère et ma peine se sont transformées en énergie. C’était ça ou se foutre en l’air. Alors j’ai décidé de dédier le reste de ma vie à la cause des personnes en souffrance. »

« J’ai essayé de forcer des portes » « J’ai décidé de créer l’association Résilience-Mei (Message d’espéran­ce intergénération), qui servira à récolter des fonds pour financer des opérations de prévention efficaces. Depuis janvier, j’ai entamé une recon­version pour me consacrer aux plus fragiles d’entre nous, alors que notre fille était encore parmi nous. J’ai écrit le 31 mai à douze autorités et élus sar­thois autour de cette question. Il n’y a pas aujourd’hui de stratégie globale, pas de coordination des moyens.

Certains m’ont écouté, d’autres non. J’ai essayé de forcer quelques portes, parfois ça s’est mal passé. Nous som­mes pourtant l’un des cinq départe­ments qui comptent le plus de suici­des en France. Je me suis fixé un seul cap : réduire de moitié le nombre de suicides en Sarthe en un an.

On est tous un peu responsables de ce problème de société, qui devrait tous nous mobiliser car les enfants, c’est l’avenir de la France, ce qu’il y a de plus précieux. Redonnons la priorité à nos enfants ! Et ne restons pas chacun dans notre coin ! »

Principale cause de décès chez les jeunes

En Pays de la Loire, selon Santé Publi­que France, « les suicides représen­teraient la plus forte part des causes de décès chez les jeunes : 26 % chez les 25 à 29 ans, 24 % chez les 30-34 ans et 22 % chez les 20-24 ans« . La Sarthe se situe au cinquième rang des départements français par le nombre de suicide (environ 150 par an). Les Pays de la Loire sont l’une des régions les plus touchées en France : en 2019, 750 habitants se sont suicidés ici.

L’Observatoire régional de la santé constate que « les passages aux urgences en lien avec le trouble mental sont en forte hausse chez les filles de 11 à 18 ans, à partir du second confinement, entre décem­bre 2020 et avril 2021. Le nombre de jeunes femmes de 13 à 18 ans trai­tées par psychotropes est en haus­se de 23 % dans le même temps. Il est encore plus fort chez les jeunes filles de 13 à 14 ans(+ 50 %) ».

« Ce brouillard où ils se perdent…« 

En Pays de la Loire, dans les sei­ze services d’urgences analysés, le nombre de passages aux urgences en lien avec un trouble de santé men­tale a plus fortement augmenté après le premier confinement chez les filles que chez les garçons. Il atteint un pic de 275 passages au mois de mars 2021 chez les filles, soit plus du double que chez les garçons (110).

Interrogé sur les conséquences du Covid sur la santé mentale des jeu­nes, le Pr Philippe Duverger, au servi­ce de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent au CHU d’Angers, cons­tate que « finalement, ce n’est pas le virus du Covid qui inquiète ces jeu­nes mais ce brouillard dans lequel ils se perdent. [ … ] Habitués à vivre dans l’instantanéité, la durée de la crise sanitaire et le fait de ne pas savoir quand elle prendra fin est difficile­ment supportable pour eux. Limita­tions de liberté, contraintes sociales, incertitudes scolaires bouleversent leurs habitudes et sont difficiles à penser. Cela conduit à un découra­gement et à un épuisement. [ … ] Ce mal-être semble notamment lié à l’incapacité de se projeter dans l’ave­nir et l’impression d’être perdu.« 

Prévention suicide : où s’adresser ?

Où s’adresser en cas de difficultés et lorsqu’un jeune va mal ? Il existe un numéro national de prévention : le 31 14. Une boîte mail existe pour détecter des personnes en fragilité : suicides.sarthe@gmail.com.

Parmi les autres structures : asso­ciation Ditesjesuisla (plateforme de prévention du suicide) ; Nightline Pays de la Loire (ligne d’écoute ano- nyme pour étudiants de 21 h à 2 h du matin, au 02 52 60 11 12) ; associa­tion Arc-en-ciel (prévention du suici­de, 06 84 88 17 55); réseau Vigilans (réseau de veille de trente-quatre éta­blissements ligériens auprès de patients ayant réalisé une tentative de suicide). L’Agence régionale de san­té a publié un annuaire des acteurs ressource contre le suicide.