L’Irlande encore…

Tiré du site « Benoît et moi »

George Weigel analyse les raisons qui ont conduit l’Eglise en Irlande à la crise actuelle, et propose rien moins que de renouveler entièrement le corps épiscopal, en nommant des évêques venus d’autres pays anglophones, Etats-Unis et Canada. Traduction (6/8/2011)

Nous avons récemment évoqué les « tensions entre Dublin et le Vatican », et j’ai en particulier traduit un long texte de Massimo Introvigne (cf. L’avocat de la défense! ), qui dénonçait l’extrême gravité de l’attaque contre le secret de la confession, et faisait justice de certaines accusations particulièrement odieuses, en particulier contre la personne du Saint-Père.


George Weigel livre une très intéressante analyse, historique et sociologique, du phénomène de christianophobie (il vaudrait mieux dire cathophobie) qui se déchaîne actuellement en Irlande. Mais elle n’explique qu’en partie le phénomène auquel nous assistons. La cathophobie a aujourd’hui des dimensions planétaires, le contexte particulier de l’Irlande (et du Canda, du Portugal et de l’Espagne, également évoqués) n’est que le terreau pour qu’elle se donne libre cours, et les medias « globaux » n’y sont évidemment pas étrangers: c’est ce que l’analyse de George Weigel néglige, se contentant d’y faire allusion, quand il parle de l’Eglise comme d' »une proie facile pour les loups laïcistes culturels ». Mais ces loups sont à l’affût tout le temps, et le problème se pose s’ils n’ont pas précédé, voire provoqué la crise. Et les évènements de « 68 » n’étaient pas des faits extérieurs, mais la cause elle-même. Au moins une cause. Rappelons nous ce que disait le Saint-Père dans sa Lettre aux catholiques d’Irlande:


« Au cours des dernières décennies, l’Eglise dans votre pays a dû affronter de nouveaux et graves défis à la foi, découlant de la transformation et de la sécularisation rapides de la société irlandaise. Un changement social très rapide a eu lieu, qui a souvent eu des effets contraires à l’adhésion traditionnelle des personnes à l’égard de l’enseignement et des valeurs catholiques. …Au cours de cette période, apparut également la tendance déterminante, aussi de la part de prêtres et de religieux, à adopter des façons de penser et à considérer les réalités séculières sans référence suffisante à l’Evangile. Le programme de renouveau proposé par le Concile Vatican II fut parfois mal interprété et en vérité, à la lumière des profonds changements sociaux qui avaient lieu, il était très difficile de comprendre comment les appliquer de la meilleure façon possible ».


Le regard de George Weigel, par ailleurs, est très américain, les religions entretenant paraît-il dans son pays des relations différentes avec le pouvoir. Mais là-bas aussi, la cathophobie s’est déchaînée, il suffit de voir l’énorme impact des affaires de pédophilie, et le rôle de la presse, NYT en tête – un impact qui se poursuit, et qui va même jusqu’à la prétention de faire témoigner le Pape devant une cour de justice.
Article en anglais ici: http://www.cathnews.com/.. Traduction.

Une proposition radicale pour la réforme dont l’Eglise irlandaise a désespérément besoin. George Weigel.

Alors que ces dernières semaines, l’attention de l’Amérique a été absorbées par des affaires domestiques, quelque chose de tout à fait remarquable est devenu parfaitement clair de l’autre côté de l’Atlantique: l’Irlande – où la Constitution commence ainsi: «Au nom de la Très Sainte Trinité» – est devenu le plus farouchement anti- pays catholique du monde occidental.

Son Taoiseach (Premier ministre), Enda Kenny, a récemment utilisé la scène du Dáil (Parlement) pour dénoncer le Vatican comme demeure de «dysfonctionnement, déconnexion, élitisme. . . [et] narcissisme », et commettre un acte de calomnie contre le Pape Benoît XVI, l’accusant d’avoir contribué à étouffer «le viol et la torture d’enfants». Le procureur général d’Irlande envisage d’introduire une nouvelle loi qui menace les prêtres de cinq ans de prison s’ils ne violent pas le sceau de la confession quand la pédophilie est avouée. Les sondages indiquent un appui considérable parmi les électeurs irlandais pour une telle violation sans précédent de la liberté religieuse, et la presse irlandaise s’est livrée à sa phobie anti-Eglise pratiquement sans aucune retenue.


Il ne fait aucun doute que la crise des abus sexuels – et la crise parallèle du leadership catholique local ,qui a échoué à résoudre le problème – a été particulièrement aigüe en Irlande. Benoît XVI a condamné les abus et la dissimulation d’abus dans une lettre cinglante adressée à toute l’Eglise en Irlande il y a 16 mois, une lettre qui condamne les agresseurs et ceux qui leur ont facilité la tâche, tout en offrant des excuses senties aux victimes. Des visites apostoliques dans les principaux diocèses irlandais et séminaires ont été entreprises, sur les ordres du Vatican, par des évêques des Etats-Unis, du Canada et de Grande-Bretagne; leurs rapports, on le comprend, ont été tranchants et impitoyables.


Ce qui ne s’est pas produit, et ce qui doit arriver tôt ou tard, c’est un remplacement massif de la hiérarchie irlandaise, associée à une réduction spectaculaire du nombre des diocèses d’Irlande. L’Irlande a un besoin désespéré de leadership catholique nouveau et crédible, et certains de ces leaders peuvent être importés: Si un natif de l’Irlande pouvait être archevêque de New York en 1850, pourquoi un natif, disons de Californie, ne pourrait-il pas être archevêque de Dublin en 2012? Les Etats-Unis et le Canada, en particulier, ont des évêques anglophones qui ont démontré leur capacité à faire le ménage et à redynamiser évangéliquement leurs diocèses. Ainsi le Vatican, qui n’a pas l’habitude des changements spectaculaires, pourrait bien envisager le « laboratoire » irlandais globalement, y amenant des évêques, de toutes origines nationales, capables de reconstruire l’Eglise irlandaise en prêchant l’Évangile sans compromis – et qui sachent comment lutter contre les totalitarismes « soft » du laïcisme européen.


Dans le sillage de la diatribe hystérique du Taoiseach Kenny au Dail , le Vatican a rappelé son nonce en Irlande pour consultations, signe clair de mécontentement envers les politiciens irlandais qui, pour une raison quelconque, ont délibérément fomenté l’hystérie anti-catholique. Pourtant, aussi déplaisantes et irresponsables qu’aient été les attaques Kenny, elles soulignent le fait que des changements radicaux sont nécessaires dans le leadership de l’Eglise catholique en Irlande – aujourd’hui , et pas à un moment indéterminé dans l’avenir.


La question la plus profonde que les dernières semaines d’attaques contre le catholicisme en Irlande a soulevé – Comment diable le plus catholique des pays est-il devenu violemment anti-catholique? – touche à l’histoire moderne de l’Irlande indépendante; des réponses sérieuses à cette question sont susceptibles d’offrir peu de réconfort à la fois aux romantiques irlandais et aux défenseurs de la vieille alliance entre l’Église et l’État.


Jusqu’aux années soixante du 20e siècle, l’Irlande, l’Espagne, le Portugal et le Québec ont été parmi les nations les plus intensément catholiques sur la planète. Cinquante ans plus tard, le Québec est l’espace le plus religieusement aride entre la Pointe Barrow et la Terre de Feu, le catholicisme portugais, en dehors du lieu de pèlerinage de Fatima, n’est guère solide; l’Espagne a le gouvernement le plus consciemment laïc d’Europe, et l’Irlande est devenue l’épicentre de l’anti-catholicisme en Europe. Qu’est-il arrivé?


Peut-être qu’un peu d’histoire comparative et de sociologie pourraient suggérer une réponse. Dans chacun de ces cas, l’Etat, par l’intermédiaire d’un gouvernement autoritaire, a délibérément retardé la confrontation de la nation avec la modernité. Dans chacun de ces cas, l’Eglise catholique était étroitement alliée à la puissance de l’État (ou, dans le cas du Québec, à la puissance du parti dominant libéral). Dans chacun de ces cas, la vie intellectuelle catholique s’étiolait, largement restée à l’écart, au milieu du 20e siècle, du mouvement de renaissance catholique des études bibliques, historiques, philosophiques et théologiques qui ont pavé la voie vers le Concile Vatican II. Et dans chacun de ces cas, le Catholicisme local était très clérical, avec l’ordination à la prêtrise et à l’épiscopat entendu par tous, clercs et laïcs, comme conférant l’appartenance à une caste supérieure.


Puis vint le déluge : le déluge de Vatican II, le déluge que les Européens appellent «1968», et le déluge de la «Révolution tranquille» dans la Belle Province. Une fois enfoncées, les fortifications de la Contre-Réforme catholique en Espagne, au Portugal, au Québec, et en Irlande se sont rapidement effondrées. Et en l’absence des ressources intellectuelles pour résister aux flots du laïcisme, ces quatre ex-hyper-catholiques nations ont été emportées, subissant le cours accéléré d’une sécularisation radicale qui a aujourd’hui, dans chaque cas, donné naissance à un grave problème de Christianophobie: pas de simple indifférence à l’Église, mais d’hostilité active contre elle, dont il n’est pas rare qu’elle se manifeste à travers la puissance coercitive de l’État.


C’est là le fait brutal qui doit être affronté par les évêques, les prêtres et les laïcs catholiques qui veulent construire l’Eglise de Vatican II, de Jean-Paul II et de Benoît XVI – l’Eglise d’une nouvelle évangélisation – hors de l’épave du passé récent irlandais: en Irlande, comme dans les trois autres cas, les relations étroites de l’Eglise avec le pouvoir séculier ont renforcé le schéma du cléricalisme et de l’irresponsabilité qui ont mis les jeunes en danger, qui ont entravé la proclamation de l’Evangile, et qui ont fait de l’Église, dans ces lieux, une proie facile pour les loups laïcistes culturels (et politiques) une fois qu’ils ont émergé sur la scène.


Et c’est pourquoi le leadership dont a besoin l’Irlande catholique, peut être importé, au moins en partie. Des hommes d’intégrité indiscutable et de passion évangélique, qui n’ont aucun lien avec cette triste et, dans certains cas sordide, histoire, sont nécessaires pour mener la réforme catholique irlandaise à laquelle Benoît XVI a appelé. Je ne connais aucun observateur sérieux de la scène irlandaise catholique, nulle part, qui conteste la nécessité de nettoyer l’actuel collège des évêques; je ne connais personne qui pense qu’un épiscopat irlandais reconfiguré, même avec moins de diocèses, puisse être tiré entièrement du clergé résident de l’Irlande d’aujourd’hui. Une telle démarche explique l’indolence actuelle dans la réforme de la hiérarchie irlandaise, et cette lassitude est ce qui a donné au Taoiseach Kenny l’ouverture pour sa dernière attaque enragée contre l’Eglise, le Saint-Siège, et le Pape. Raison de plus, alors, pour faire la réforme de l’Eglise en Irlande, de façon vraiment radicale, en cherchant à l’extérieur de l’Irlande des hommes capables de diriger cette Église autrefois grande vers le retour à la santé évangélique.