Jésus manifeste la miséricorde : non pas juger, mais sauver

jesus_misericordeNous aurions pu contempler les nombreux gestes de compassion et de miséricorde présents dans les Évangiles et dispensés par Jésus tout au long de sa présence parmi nous. Nous allons plutôt essayer de comprendre comment sa mission ne se comprend que dans cette lumière : Jésus manifeste par sa présence et par sa vie la miséricorde du Père envers nous.

TROIS GESTES PROPHÉTIQUES DE LA MISÉRICORDE

— Laisse faire, c’est ainsi qu’il convient d’accomplir toute justice (Matthieu 3, 13-17)

Alors Jésus arrive de la Galilée au Jourdain, vers Jean, pour être baptisé par lui. Celui-ci l’en détournait, en disant : « C’est moi qui ai besoin d’être baptisé par toi, et toi, tu viens à moi ! » Mais Jésus lui répondit : « Laisse faire pour l’instant : car c’est ainsi qu’il nous convient d’accomplir toute justice. » Alors il le laisse faire.

La façon dont Jésus, par sa venue en ce monde, a voulu s’abaisser jusqu’à se mettre au rang des pécheurs, lui le Pur et le Saint, est particulièrement frappante dans l’épisode de sa venue au Jourdain. Il prend place dans la file des pénitents pour recevoir le baptême de conversion donné par Jean-Baptiste. Ce dernier en est bouleversé, et ne l’accomplit que sur l’insistance de Jésus. Le Saint vient s’immerger dans le péché des hommes. Et Jean pourra dire : « Voici l’agneau de Dieu qui porte, qui enlève le péché du monde » (Jn 1, 29-30). La justice divine s’accomplit dans la miséricorde.

— Se baissant et se relevant… (Jn 8,1-11)

« Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d’adultère. Or, dans la Loi, Moïse nous a prescrit de lapider ces femmes-là. Toi donc, que dis-tu ? » Ils disaient cela pour le mettre à l’épreuve, afin d’avoir matière à l’accuser. Mais Jésus, se baissant, se mit à écrire avec son doigt sur le sol. Comme ils persistaient à l’interroger, il se redressa et leur dit : « Que celui d’entre vous qui est sans péché lui jette le premier une pierre ! » Et se baissant de nouveau, il écrivait sur le sol.

Sans doute un des épisodes les plus marquants dans l’attitude de Jésus est-il celui du pardon accordé à la femme adultère. Dans le récit qu’en donne Jean, lisez attentivement, par deux fois il est dit que Jésus se baisse et se redresse, en une sorte d’action symbolique. Peut-être pouvons-nous penser qu’en se baissant, il évoque la chute du pécheur ; et en se redressant, il exprime sa conversion. Mais aussi qu’en se baissant, il évoque sa propre Passion divine, miséricorde de Dieu qui vient chercher le pécheur dans son péché, et qu’en se redressant, en se relevant, il évoque sa Résurrection, signe de la réconciliation qu’opère le pardon miséricordieux du Père… « Il s’anéantit lui-même… aussi Dieu l’a-t-il exalté » (Ph 2, 6-11).

— Il fait bon accueil aux pécheurs et mange avec eux (Luc 15, 1-2)

Cependant tous les publicains et les pécheurs s’approchaient de lui pour l’entendre. Et les Pharisiens et les scribes de murmurer : « Cet homme, disaient-ils, fait bon accueil aux pécheurs et mange avec eux ! » Il leur dit alors cette parabole : « Lequel d’entre vous, s’il a cent brebis et vient à en perdre une… »

Il est essentiel de bien regarder l’attitude de Jésus. On lui reproche de faire bon accueil aux pécheurs, de manger avec eux… Son attitude, qui dépasse le clivage de la séparation entre le juste et le pécheur, c’est précisément celle de la miséricorde : elle dépasse la norme précise de la justice. Il se pourrait que notre recherche de sainteté et de fidélité aux commandements de Dieu joue comme un repoussoir par rapport aux attitudes païennes qui nous entourent. Nous devons donc apprendre de Jésus l’attitude de la miséricorde : approcher toute personne avec bienveillance, sans pré-jugés…

 

TROIS PAROLES DE JÉSUS SUR SA MISSION

 — L’Esprit m’a envoyé annoncer aux captifs la délivrance (Luc 4, 16-21)

Il vint à Nazara où il avait été élevé, entra, selon sa coutume le jour du sabbat, dans la synagogue, et se leva pour faire la lecture. On lui remit le livre du prophète Isaïe et, déroulant le livre, il trouva le passage où il était écrit : L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu’il m’a consacré par l’onction, pour porter la bonne nouvelle aux pauvres. Il m’a envoyé annoncer aux captifs la délivrance et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer en liberté les opprimés, proclamer une année de grâce du Seigneur. Il replia le livre, le rendit au servant et s’assit. Tous dans la synagogue tenaient les yeux fixés sur lui. Alors il se mit à leur dire : « Aujourd’hui s’accomplit à vos oreilles ce passage de l’Écriture. »

Accomplissant la révélation de l’A. T., Jésus exprime qu’il vient rendre l’amour du Père présent parmi les hommes. Il est très significatif que les hommes dont il parle sont surtout les pauvres qui n’ont pas de moyens de subsistance, ceux qui sont privés de liberté, les aveugles qui ne voient pas la beauté de la création, ceux qui vivent dans l’affliction du cœur ou qui souffrent à cause de la justice sociale, et enfin les pécheurs. C’est surtout à l’égard de tous ces hommes que Jésus affirme qu’il devient un signe visible du Père.

— La Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres (Luc 7, 18-23)

Arrivés auprès de lui, ces hommes dirent : « Jean le Baptiste nous envoie te dire : Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? » A cette heure-là, il guérit beaucoup de gens affligés de maladies, d’infirmités, d’esprits mauvais, et rendit la vue à beaucoup d’aveugles. Puis il répondit aux envoyés : « Allez rapporter à Jean ce que vous avez vu et entendu : les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent, la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres ; et heureux celui qui ne trébuchera pas à cause de moi ! »

Jésus répond aux envoyés de Jean-Baptiste en se référant au témoignage par lequel il avait inauguré son enseignement à Nazareth. Jésus révèle l’amour du Père au contact de la souffrance, de l’injustice, de la pauvreté, de tous ceux qui manifestent le caractère limité et fragile de l’homme, aussi bien physiquement que moralement. Cette manière dont l’amour se manifeste et son domaine, sont appelés en langage biblique : miséricorde. Et Jésus a bien conscience que la révélation plénière de ce mystère est révolutionnaire : « Heureux celui qui ne trébuchera pas à cause de moi ! »

— Je viens chercher ce qui est perdu (Luc 15, 3-10)

« Lequel d’entre vous, s’il a cent brebis et vient à en perdre une, n’abandonne les quatre-vingt-dix-neuf autres dans le désert pour s’en aller après celle qui est perdue, jusqu’à ce qu’il l’ait retrouvée ? Et, quand il l’a retrouvée, il la met, tout joyeux, sur ses épaules et, de retour chez lui, il assemble amis et voisins et leur dit : « Réjouissez-vous avec moi, car je l’ai retrouvée, ma brebis qui était perdue ! » C’est ainsi, je vous le dis, qu’il y aura plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se repent que pour quatre-vingt-dix-neuf justes, qui n’ont pas besoin de repentir.

« Ou bien, quelle est la femme qui, si elle a dix drachmes et vient à en perdre une, n’allume une lampe, ne balaie la maison et ne cherche avec soin, jusqu’à ce qu’elle l’ait retrouvée ? Et, quand elle l’a retrouvée, elle assemble amies et voisines et leur dit : « Réjouissez-vous avec moi, car je l’ai retrouvée, la drachme que j’avais perdue ! » C’est ainsi, je vous le dis, qu’il naît de la joie devant les anges de Dieu pour un seul pécheur qui se repent. »

Le chapitre 15 de l’Évangile selon saint Luc contient successivement trois paraboles qui sont reliées entre elles par ces deux mots : « perdu » et « retrouvé ». C’est le cas du fils cadet dans la parabole des deux fils. C’est le cas aussi de la brebis ou de la pièce de monnaie, dans ces deux petites paraboles qui mettent en scène la figure du pasteur à la recherche de sa brebis perdue, ou de l’épouse à la maison qui cherche la pièce de monnaie perdue. Les trois paraboles nous disent ce que fait Jésus, et se rejoignent dans l’expression de la joie : l’amour miséricordieux de Dieu est source de joie aussi bien pour le pécheur que pour Dieu lui-même.

TROIS IMAGES DU SALUT : LE FEU, LE GRAIN, LA NUIT

— Je suis venu jeter un feu sur la terre (Luc 12, 49-53)

« Je suis venu jeter un feu sur la terre, et comme je voudrais que déjà il fût allumé ! Je dois être baptisé d’un baptême, et quelle n’est pas mon angoisse jusqu’à ce qu’il soit consommé ! »

Jésus parle de nombreuses fois de sa Passion dans les Évangiles. Il emploie ici, pour la désigner, le mot de baptême. Il doit être plongé dans un baptême de souffrance et de sang (« Celui qui n’avait pas connu le péché, Il l’a fait péché pour nous, afin qu’en lui nous devenions justice de Dieu » 2 Co 5, 21) Il est impatient d’accomplir cet acte rédempteur pour lequel il est venu en ce monde. Car il sait que la réconciliation de l’humanité avec le Père, accomplie dans sa passion, sa résurrection et son ascension, libérera la venue de l’Esprit Saint, jeté comme un feu sur la terre pour embraser les cœurs humains de l’amour divin.

— Le grain de blé tombé en terre… élevé de terre (Jean 12, 23-33)

« En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il demeure seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. Qui aime sa vie la perd ; et qui hait sa vie en ce monde la conservera en vie éternelle. […] C’est maintenant le jugement de ce monde ; maintenant le Prince de ce monde va être jeté dehors ; et moi, une fois élevé de terre, j’attirerai tous les hommes à moi. » Il signifiait par là de quelle mort il allait mourir.

 Aux quelques personnes venues qui demandaient : « nous voudrions voir Jésus », la réponse faite est d’une profondeur insoupçonnable. Voir Jésus, c’est voir la miséricorde du Père du Fils et de l’Esprit. C’est voir le Fils qui entre dans la mort pour déposer en terre l’humanité pécheresse. C’est voir le Fils qui s’abandonne totalement au Père dans un oui total, seul capable de faire contrepoids à tous les « non » de tous les hommes de tous les temps. C’est voir le Fils élevé de terre sur la croix, relevé d’entre les morts par sa résurrection, attirant tous les hommes vers la gloire du Père. Telle est la miséricorde qui dépasse totalement la justice.

— Les actes et les paroles de l’Amour miséricordieux en croix (Mt 27,46/Lc 23,34)

– À partir de la sixième heure, l’obscurité se fit sur toute la terre, jusqu’à la neuvième heure. Et vers la neuvième heure Jésus clama en un grand cri : « Éli, Éli, lema sabachtani ? », c’est-à-dire : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »

– Lorsqu’ils furent arrivés au lieu appelé Crâne, ils l’y crucifièrent ainsi que les malfaiteurs, l’un à droite et l’autre à gauche. Et Jésus disait : « Père, pardonne-leur : ils ne savent ce qu’ils font. »

Les dernières paroles de Jésus sur la croix expriment à quel point lui, l’innocent, est venu nous innocenter auprès du père : « Ils ne savent ce qu’ils font ». Il vient porter sur lui seul la culpabilité et le châtiment du péché, suppliant le père d’exaucer cet acte de charité suprême. Dieu seul, en la personne du Fils fait homme, pouvait le présenter au Père de sorte à réparer l’offense qui lui était faite. Jésus s’était déjà présenté comme pénitent lors de son baptême au Jourdain, et il l’exprime ouvertement sur la croix : « Pardonne-leur ». Prenant sur lui le péché, il éprouve au plus intime de son humanité le vertige de la créature séparée de son créateur : « Mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné ? »

LA CLÉ : EN JÉSUS, LE JUGEMENT EST MISÉRICORDE

 — Le jugement : pierre qui tue ou parole qui libère ? (Jn 8,1-11)

Mais eux, entendant cela, s’en allèrent un à un, à commencer par les plus vieux ; et il fut laissé seul, avec la femme toujours là au milieu. Alors, se redressant, Jésus lui dit : « Femme, où sont-ils ? Personne ne t’a condamnée ? » Elle dit : « Personne, Seigneur. » Alors Jésus dit : « Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, désormais ne pèche plus. »

« Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter la pierre ». Par cette parole, Jésus rassemble les accusateurs et l’accusée, tous coupables devant Dieu. Il invite chacun à un examen de conscience, et à laisser retentir en lui la certitude qu’il est le premier pécheur. « Moi non plus je ne te condamne pas. Va, et désormais, ne pèche plus ». Cette parole de pardon nous renvoie à ce que Jésus a fait pour nous. Il a donné sa vie en rançon pour la multitude, afin d’obtenir pour tous le pardon du Père ; et pour cette raison, plus personne ne peut accuser un autre devant Dieu. Si nous accueillons notre pardon, il nous faut aussi accueillir le pardon que Dieu procure à nos frères.

 — Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger, mais pour sauver (Jn 3, 16-18)

Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle. Car Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. Qui croit en lui n’est pas jugé ; qui ne croit pas est déjà jugé, parce qu’il n’a pas cru au Nom du Fils unique de Dieu.

Jésus exprime clairement par ces paroles combien l’amour divin qui anime l’incarnation et la rédemption est un amour de miséricorde. Dieu ne vient pas juger, condamner, exécuter par sa justice. Il vient sauver, pardonner, libérer par sa miséricorde. D’où l’importance essentielle de la foi en l’amour miséricordieux de Dieu : qui croit en lui n’est pas jugé, il échappe au jugement de la justice ; qui ne croit pas en amour miséricordieux demeure dans la perspective d’une relation à Dieu qui relève du droit pénal et donc de l’exécution d’une sentence. Et Jésus dit encore : « Qui croit au Fils a la vie éternelle ; qui refuse de croire au Fils ne verra pas la vie ; mais la colère de Dieu demeure sur lui. » (3,36).

D. Auzenet +