Nous accusons !

On attendait de l’Assemblée des Évêques à Lourdes une parole forte et libératrice qui prenne position pour les victimes. Au lieu de quoi on a des demi-paroles et des demi-mesures qui ne sont que la manifestation d’une Eglise convaincue du bien-fondé de sa position, incapable de se remettre en question, une Église auto-référentielle, comme la décrit si bien le Pape François. Je préfère de loin, personnellement, ce « manifeste » plein de justesse, qui remet les pendules à l’heure, paru le 18 mars 2016 sur le site :

http://www.veritegroupesaintluc.fr/archives/autres-affaires/

Voici un texte que nous avons reçu de parents désireux de conserver l’anonymat, blessés dans leur chair de parents, d’avoir vu leur fils abusé par un prêtre, d’avoir vu leur confiance abusée par un prêtre « ami ».

Un texte qui n’engage que ses auteurs mais qui nous semble intéressant de vous faire partager de part la réflexion qu’il permet d’engager.

Nous accusons !

A la fois touchés dans nos fils victimes d’un prêtre pédophile et trahis dans l’amitié que nous avons eue avec le « prédateur » ;

à la fois très à l’écoute de toutes les révélations qui éclatent comme les champignons sortent de terre à l’automne ;

à la fois éblouis par la démonstration rigoureuse faite par le récent film Spotlight ;

nous avons réfléchi, une fois de plus, avec sérieux, aux dommages causés par la pédophilie dans l’Église et aux responsabilités des acteurs.

  1. LA VICTIME

Bien sur, il s’agit de SEXE et de sexe à un âge ou la victime est fragile ; elle l’est, soit parce que, à cet âge là, normalement il n’y a pas d’activité sexuelle explicite, soit parce que (un peu plus tard) c’est l’âge normal de la découverte de cette dimension de son corps et de l’apprentissage de la maîtrise  de sa sexualité ; et le prédateur arrive là-dedans comme un éléphant dans un magasin de porcelaine ! il casse, pour sa propre satisfaction, quelque chose de fragile, d’existentiel et de beau (et Dieu vit que cela était bon : c’était très bon !). Il faudra de longues années pour que la victime guérisse de cette blessure ; parfois elle n’y parviendra pas ! le processus de résilience dépend de très nombreux facteurs, nous reviendrons sur ceux-ci dans la suite de notre propos.

Bien sur, il s’agit de sexe, mais aussi (surtout ?) il s’agit de POUVOIR ; pouvoir d’un être humain sur un autre, pouvoir de l’adulte sur l’enfant, du fort sur le faible ; même s’il n’y a pas eu de viol au sens le plus commun du terme, il y a violence, il y a viol au sens le plus profond du terme.

Et puis, il y a la culpabilité, la HONTE ! Car, bien sur, l’enfant comprend vite que ce n’est pas comme ça que les choses doivent se passer, que c’est mal ; mais – est il permis de le dire ? – il y a des cas où les caresses, les attouchements peuvent éveiller un plaisir et c’est ainsi que la victime peut se sentit complice du mal qui lui est imposé ; et puis il y a le secret : il ne faut pas en parler… c’est notre petit secret… et l’enfant est honteux de se laisser enfermer dans ce silence honteux. Par un processus totalement pervers, la culpabilité et la honte du prédateur sont reportées sur sa victime ! Un comble !…

Comment l’enfant va-t-il pouvoir construire sa personnalité, comment peut-il devenir adulte, c’est à dire responsable, avec cette image de l’adulte, avec cette image de lui même ?

Ensuite il s’agit aussi de la FOI ; la plupart des hommes de notre âge que nous avons rencontrés et qui disaient avoir été dans leur enfance victimes d’un prêtre, souvent dans une école catholique, avaient perdu totalement la foi et quitté l’Eglise, ou continuaient dans une « pratique » religieuse purement sociologique ; nous reviendrons là aussi sur ce point dans la suite de ce propos.

2. LE PRÉDATEUR

Bien sur, les actes qu’il commet sont aujourd’hui considérés comme criminels (il n’en a pas toujours été ainsi) ; mais c’est plus fort que lui, il a le sentiment que tout ceci échappe à sa volonté ; et puis il se trouve de bonnes raisons : c’est parce qu’on s’aime, c’est parce que la sexualité, c’est beau ! et puis il (le prédateur-prêtre), il fait aussi de bonnes choses, il apporte la Parole de Dieu à quantité de gens, il fait du bien (et ceci est vrai aussi !)

Et puis dans les débuts, il en a parlé à son curé, voire à son évêque et ceux ci lui ont dit « que tout cela était bien fâcheux, on va vous déplacer à un endroit où on ne vous connaît pas, mais ne recommencez pas ! » Bref, finalement, rien de bien grave !

Ainsi, le prédateur s’installe peu à peu dans le déni de la réalité, dans le déni du vrai ; et peu à peu s’installe une sorte de dédoublement de la personnalité : d’un côté le méchant qui n’arrive pas à contrôler ses pulsions, qui se trouve des excuses ; de l’autre le gentil qui ne veut pas penser à l’autre personne qui est en lui, qui est aussi lui, car ce serait vraiment et réellement insupportable.

Nous n’écrivons pas ceci pour excuser le coupable, mais pour tenter de comprendre comment cela fonctionne ou a fonctionné dans certains cas, voire dans de nombreux cas !

3. LE SYSTÈME

Dans toute institution organisée – l’Eglise ne fait pas exception – une hiérarchie est mise en place. Ainsi, outre la dimension pastorale (les évêques sont les successeurs des Apôtres), les évêques exercent une dimension hiérarchique vis à vis des prêtres et des laïcs ; dans un autre contexte, nous dirions qu’ils sont les « patrons » des prêtres et qu’ils sont des « leaders d’opinion » vis a vis des laïcs.

3.a – hiérarchiques, patrons, peu importe le vocabulaire, les évêques le sont : les prêtres sont ordonnés par un évêque auquel ils font serment d’obéissance, dans un diocèse donné (ils sont « incardinés ») ; ce sont les évêques qui font les mutations de « leurs prêtres », soit en fin de mandat, soit pour raison disciplinaire, soit parce qu’ils estiment que tel prêtre serait plus utile au diocèse dans une autre fonction. Or à l’évidence la fonction de responsable hiérarchique suppose la responsabilité.

3.b – nommés par le premier d’entre eux : le pape, les évêques se voient confier par celui-ci la mission pastorale : responsabilité de conduire, avec les prêtres, l’assemblée des chrétiens ; comme à un père, il leur revient de faire connaître l’Evangile de Jésus aux chrétiens de leur diocèse, de les aider à grandir dans la foi et, comme un père, de leur accorder attention et tendresse : de cette mission, de ces attitudes du cœur, les évêques sont responsables tant vis à vis du pape que vis à vis des chrétiens eux-mêmes

Or nous le disons d’expérience : les évêques ont gravement fauté

  • en ne se tenant pas informés de pratiques pédophiles possibles de « leurs » prêtres ; il n’est bien sur pas question d’espionner chacun des prêtres, mais de prêter une attention vigilante aux indices qui permettraient de détecter celles-ci
  • en se contentant de blâmer les prêtres convaincus de pratiques pédophiles, en les déplaçant à l’intérieur du diocèse ou en les « refilant » à un autre évêque sans l’avertir, selon la politique qu’ailleurs on appellerait la politique de « la patate chaude »
  • en laissant croire à ces prêtres que le système les couvrira si l’affaire vient à être connue
  • en pratiquant l’omerta, c’est à dire en tentant d’étouffer des affaires, au motif que « le linge sale se lave en famille », afin de ne pas ternir l’image de l’Eglise, ou en mentant lorsqu’ils affirment, quand une affaire est découverte, qu’ils n’étaient au courant de rien, afin de tenter de sauver leur propre respectabilité
  • en envoyant aux familles blessées de vagues formules de compassion, mais sans les recevoir, sans les entendre, ni les voir ni leur parler en père aimant ; en essayant – mal – de traiter un dossier, mais en n’ayant pas le courage de regarder les victimes dans les yeux ni d’échanger cœur à cœur.
  • en se défendant de manière irresponsable lorsque les choses sont connues : « j’ai fait comme l’Eglise me disait de faire » ; ou infantile : « la pédophilie, ça existe aussi dans l’Education Nationale et dans les colonies de vacances » !
  • en ne cherchant pas à s’informer sur les ravages que cause la pédophilie sur les victimes
  • en ne cherchant pas à imaginer les ravages que cause l’omerta sur la foi des victimes, de leurs familles, sur l’opinion publique
  • en incitant consciemment ou non les chrétiens et même les parents des victimes à prendre fait et cause pour le système clérical contre les victimes elles-mêmes, comme si l’honorabilité valait plus que la vérité et/ou que la vie même des victimes
  • en prenant des voies détournées voir mafieuses pour éviter que des affaires viennent à la connaissance du public, ou, si elles éclatent, pour dégager leur responsabilité

Or on peut comprendre qu’un évêque est un homme, qu’il peut avoir peur pour son honneur, qu’il peut avoir peur d’être contraint de quitter ses fonctions, qu’il peut craindre éventuellement une condamnation pénale ; personne n’est infaillible ! Constater cela n’excuse en rien les personnes, ne diminue en aucune sorte leur responsabilité,

mais à nos yeux, c’est l’appareil d’Eglise, c’est le SYSTÈME qui est fautif, et gravement fautif :

  • quand un prêtre pédophile peut à bon droit arguer qu’il avait de longue date prévenu sa hiérarchie et que celle-ci, dans son incurie, a pu, si peu que ce soit lui laisser entendre qu’il ne risquait rien de vraiment grave (sans souligner que les victimes, elles, vivent des choses très graves) ;
  • quand un évêque dit à juste titre que c’est l’omerta qui a toujours prévalu dans l’institution et qu’il n’a fait que suivre les instructions venues d’en haut;
  • quand un pape prestigieux, Jean-Paul II, plusieurs fois averti par le Cardinal Ratzinger de la gravité du problème ne prend pas de décisions ferme sur le sujet, ou qu’il accorde sa confiance au Père Maciel, responsables des Légionnaires du Christ !
  • quand nous constatons qu’il a fallu attendre que cardinal Ratzinger soit élu pape pour qu’il demande pardon aux familles pour le mal que les prêtres avaient commis
  • quand nous constatons qu’il a fallu attendre le pape François pour que celui-ci demande pardon aux familles pour le mal que l’institution, par son type de gouvernement, avait commis

nous disons que le système est gangrené, que la vérité et la charité sont bafouées et que le message de paix et d’amour de Jésus est traîné dans la boue.

4. LES DÉGÂTS POUR L’ÉGLISE ELLE-MÊME 

ll faut voir à quel point le message de Jésus est bafoué pour comprendre beaucoup de choses :

  • un prêtre nous a dit des choses magnifiques sur Jésus ; il nous a lu le texte : « Jésus appela un petit enfant ; il le plaça au milieu d’eux, et il déclara : « Amen, je vous le dis : si vous ne changez pas pour devenir comme les enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des Cieux. Mais celui qui se fera petit comme cet enfant, celui-là est le plus grand dans le royaume des Cieux. Et celui qui accueille un enfant comme celui-ci en mon nom, il m’accueille, moi.[…] Celui qui est un scandale, une occasion de chute, pour un seul de ces petits qui croient en moi, il est préférable pour lui qu’on lui accroche au cou une de ces meules que tournent les ânes, et qu’il soit englouti en pleine mer. » ; mais ce même prêtre commet des actes innommables, scandaleux, et personne ne parle de lui attacher une meule au cou : quelle hypocrisie !

Alors comment s’étonner que tous ces jeunes désertent l’Église ? comment s’étonner qu’ils perdent la foi ?

  • des parents mis au courant des actes qui nous ont blessés nous enjoignent de nous taire pour ne pas nuire à l’Eglise !

Alors, comment s’étonner que ces jeunes se sentent une nouvelle fois bafoués par des adultes qui devraient les protéger plutôt que de leur faire honte, par une Eglise qui oublie qu’elle est le sel de la terre et la lumière du monde ? alors ils ne veulent même plus entendre parler de Jésus

  • un évêque commence par dire qu’il n’était au courant de rien, qu’il n’a rien fait de mal, que ce n’est pas de sa faute, mais de la faute du système qui a dysfonctionné (un accident de parcours !) ; un jour la vérité finira bien par lui revenir en pleine figure comme un boomerang !

Alors comment s’étonner que le monde profane, que les médias toujours friands de scandales, fassent leurs choux gras de l’affaire et tournent cet évêque en dérision, tournent toute l’Eglise en dérision !

  • les évêques se réunissent à Lourdes et la premier acte public qu’ils font est d’apporter leur soutien fraternel à un confrère en difficulté !

Qui comprendra qu’il s’agit de charité chrétienne et non d’un réflexe corporatiste, d’une tentative désespérée de lui sauver la mise ? de leur sauver à tous la mise ? comment ne pas voir que c’est dans l’institution de la Conférence des Évêques de France que va revenir le boomerang ?

  • « Famille Chrétienne », dans son commentaire du film Spotlight dit y voir une attaque en règle contre l’Église ! Alors comment s’étonner de ce que la société laïque rejette tout en bloc, le bébé avec l’eau du bain.

Et pendant ce temps, la hiérarchie nous parle de « nouvelle évangélisation » : elle veut faire sortir les laïcs sur les places et dire quelle est notre Foi à ceux que ça intéressera encore, alors qu’il serait peut-être judicieux de faire profil bas et d’écouter le monde avant de lui parler ; en gros, elle veut envoyer les laïcs au casse-pipe avec un slogan qui pourrait être : « évangéliser a toujours suscité des martyrs ».

Et pourtant, que des gens biens dans cette Eglise ! que d’excellents prêtres ! que de laïcs dévoués, croyants, généreux !

Et pourtant, pour nous qui ne l’avons pas quittée, cette Eglise, notre pensée profonde est celle-ci :

« à qui irions nous, Tu as les paroles de la vie éternelle ? »

Oui, nous sommes en colère, oui nous accusons : quel gâchis !

Robert et Anne B.