Réaction de La Parole Libérée après l’interview du pape François

« Il est certain que pour les victimes de prêtres pédocriminels, il y aura un avant et un après ce 17 mai 2016.
Un avant et un après cette interview de sa Sainteté le pape François par le quotidien La Croix.
Ce serait un euphémisme que de qualifier cette première réaction officielle du Pape de décevante.
Elle génère déception, désillusion et incompréhension et semble très peu en rapport avec les attentes des quelques 70 victimes du père Preynat mais aussi des Gérentet de Saluneaux, Despéron et cie…
La colère aussi est présente, même si elle est contenue, car nous n’entendons pas perdre ce qui, avec la détermination, est une des forces de notre action à savoir la dignité.
Selon l’AFP, si le diocèse de Lyon ne s’est pas encore exprimé « Une source proche du cardinal a [souligné] que c’était « une parole de confiance entre deux hommes qui se connaissent et qui s’estiment » ».
Mais cette estime que semble donc porter le Pape au Cardinal Barbarin ne peut pas entièrement expliquer le grand écart entre la tolérance zéro affichée voire répétée à l’envie, et l’appréciation visiblement positive de la conduite du dossier Preynat par le Primat des Gaules.
Dans l’article de La Croix, le Pape souligne en effet que «  Comme avait dit Benoît XVI, la tolérance doit être de zéro. D’après les éléments dont je dispose, je crois qu’à Lyon, le cardinal Barbarin a pris les mesures qui s’imposaient, qu’il a bien pris les choses en main. C’est un courageux […] »
Certes, il le dit lui-même : il réagit en fonction des éléments dont il dispose et sans nul doute, et ainsi que François Devaux a déjà pu le souligner, « Il lui manque pas mal d’éléments pour se faire une idée claire de la situation. Je pense que le pape n’a pas tous les tenants et les aboutissants pour considérer que le cardinal Barbarin doit rester en place » (Lyon Première, à paraître). Nous voulons encore croire en une mauvaise transmission des informations
Se contenter de pérenniser la décision de ses successeurs de déplacer le Père Preynat – sans oublier au passage de l’élever au rang de Doyen – , se contenter de croire dans les dires de ce dernier lorsqu’il jure ses grands dieux qu’il a « été ébouillanté » par ses actes passés – sans visiblement jeter un œil au dossier de l’intéressé dont on sait qu’il se battait contre ce que ses frères en Christ ont du appeler des démons intérieurs similaire depuis le séminaire –, refuser pendant des semaines de communiquer et envoyer au front une fidèle, mais simple, laïque, voilà ce qui constituerait donc du courage ?
A LPL, nous n’avons pas la mémoire courte et nous nous souvenons du coup de colère de l’Evêque de Rome dans l’avion qui le ramenait du Mexique : « «un évêque qui se limite à changer de paroisse un prêtre pédophile est un inconscient. La meilleure chose qui lui reste à faire, c’est de présenter sa démission» (Radio Vatican du 18 février 2016).
Certes, nous avons entendu, comme vous tous, que cette remarque ne s’adressait pas au cardinal Barbarin. Mais nous voulions croire qu’au Vatican, encore moins qu’ailleurs, il n’existait pas « deux poids deux mesures ».
Il semble bien qu’il n’en soit rien, puisque la démission du cardinal Barbarin apparait aujourd’hui au Pape comme « un contresens » voire « une imprudence »…
Et d’en appeler à la justice des Hommes.
Et c’est  sans doute là que nous ne comprenons plus du tout le Pape.
Le Cardinal Barbarin a-t-il aux yeux de ce dernier tellement de valeur qu’il ne puisse accepter qu’il démissionne pour ne pas avoir pris, de manière pleine et entière, la mesure du dossier Preynat, voire pour avoir commis « des erreurs dans la gestion et la nomination de certains prêtres », comme indiqué (avoué ?) devant la centaine de prêtres réunis à huis clos le 25 avril dernier ?
De la valeur, le Primat des Gaules en a visiblement beaucoup plus que les victimes dont il n’est absolument pas fait cas dans l’interview du Pape François : elles restent des enfants, détruits certes, mais des enfants. Comme si le fait de les confiner dans ce rôle était un moyen de les contraindre aussi au silence.
Quant à la référence faite à la justice civile, elle nous paraît des plus incongrues. Le Pape François semble confondre justice et morale, ou abandonner, de manière pleine et entière, la défense de la morale à la justice des Hommes. Mais à quoi peut donc bien servir notre Église si ce n’est à défendre des positions morales ? D’ailleurs, le Pontife ne se prive pas de le faire lorsqu’il s’agit d’avortement («l’avortement n’est pas un moindre mal, c’est un crime, un mal absolu», Radio Vatican du 18 février 2016), du mariage entre individus du même sexe (« Une fois que la loi est votée, l’État doit respecter les consciences. Dans chaque structure juridique, l’objection de conscience doit être présente car c’est un droit humain. Y compris pour un fonctionnaire du gouvernement, qui est une personne humaine »  – in interview de La Croix de ce jour) ou l’accueil des migrants (« Le pire accueil est de les ghettoïser alors qu’il faut au contraire les intégrer », ibid). Sur ces sujets-là, se positionner au-dessus des lois humaines est pour lui une évidence.
Mais, il s’en remet à la justice dans une affaire de pédophilie – sans doute l’une  des plus vastes, si ce n’est la plus vaste de France. A-t-il plus confiance dans la capacité de la justice française à combattre ce fléau qu’en ses ministres de mettre en actes ce qui est écrit dans le Droit Canon depuis près de 20 ans ?
Enfin, en même temps que nous prenons acte des propos du Sa Sainteté le Pape, nous prenons également acte de ce qu’il n’a pas exprimé.
Pas de compassion pour les victimes de Preynat et des autres : elles n’ont ainsi pas eu droit au qualificatif de « courageuses ». A notre grand regret, le Pape se contente de corporatisme là où nous aurions aimé entendre « protection des enfants » et « reconstruction des victimes ».
Pas de réponse quant aux demandes d’audience des victimes et notamment de la part de la parole libérée.
Pas de message clair indiquant qu’il était conscient que l’Eglise se devait d’assumer de manière responsable ses erreurs et ses manquements du passé en matière de lutte contre la pédophilie afin de retrouver la confiance des fidèles et de l’opinion publique.
Oui, nous prenons acte que par ses réponses  aux journalistes de La Croix, mais aussi par ses silences, le chef de l’Église Catholique et Romaine ne donne aucune assurance quant à sa volonté de mettre en œuvre de manière concrète la tolérance zéro à l’égard des prêtres pédocriminels.
Car la tolérance zéro ne doit pas rester un vœu pieu. Elle doit être accompagnée d’actes forts. Laisser un prêtre au long et lourd passé pédophile au contact d’enfants et sans garanties autres que sa simple parole est une faute. Et elle doit être sanctionnée.
Cela aurait dû être dit par la Très Saint Pèrede manière à rassurer des centaines de victimes, de milliers de fidèles aujourd’hui dans le doute.
Aux victimes, nous disons de ne pas se décourager…
De ne pas baisser les bras.
A celles qui n’ont pas encore osé parler, que ces paroles peu encourageantes du Pape ne les enferment pas d’avantage dans le silence.
Au contraire : qu’elles soient un ressort pour enfin parler !
Aujourd’hui, plus que jamais : libérez votre parole ! »