Nettoyage religieux en Syrie

Le Père Firas Lutfi, 41 ans, originaire de Hama en Syrie, frère mineur conventuel, est le vicaire de la paroisse Saint-François et le Supérieur du Collège de Terre Sainte à Alep. Invité ces jours-ci du Meeting de Rimini, il est intervenu samedi au rosaire public organisé à Rimini par le Comité Nazarat pour les chrétiens persécutés , en mémoire du Père Jacques Hamel.
(…) Le texte qui suit est constitué de passages de son témoignage spontané de samedi dernier, sur ce qui se passe à Alep et plus généralement dans la guerre en Syrie, et la persécution des chrétiens en Syrie et dans le nord de l’Irak. 

Dans cette guerre, le nombre de morts est approximativement de 380 mille, pour moitié des enfants et des femmes. C’est le drame le plus immense du XXIe siècle. Par rapport au début, aujourd’hui les choses sont très claires: il y a un scénario de lutte internationale, de grands intérêts politiques et économiques qui se jouent sur ce terrain. Ceux qui en paient les plus lourdes conséquences, ce sont des femmes et des enfants, des innocents.

Depuis que la dernière route d’accès a été interrompue, Alep est devenue une grande prison. Avant le conflit, la ville avait 3 millions et demi d’habitants. Nous assistons aujourd’hui à un nettoyage ethnique et religieux peut-être jamais vu dans l’histoire de l’humanité. Les chrétiens étaient 150 mille, aujourd’hui, ils sont moins de 30 mille. Et ceux qui sont restés sont vraiment le ‘petit troupeau‘ et ce sont les plus pauvres. Notre présence en tant que Franciscains est de nous tenir à leurs côtés concrètement.

[…] Les djihadistes quand ils attaquent, attaquent avec des dizaines de milliers de soldats, ils font vraiment peur. En Irak, quand l’Etat islamique est entré dans la grande vallée de Ninive, et a fait table rase de 150 mille chrétiens qui y vivaient depuis deux mille ans, ils ont marqué les portes des chrétiens avec la lettre nun(Nassarah, chrétiens, ndlr), pour dire: le chrétien qui veut rester – mais personne n’est resté – doit payer le prix de sa présence, il doit être toléré, parce que, selon la loi islamique, dans un état où elle est appliquée sine glossa, un chrétien ne jouit pas des mêmes droits .

[…] Au père Jacques Hamel, on a coupé la gorge au nom d’Allah. Un autre martyr – et j’ai eu l’honneur de recueillir sa dépouille -, le père Murad, a été abattu. Le Père Frans Van der Lugt également, un autre jésuite hollandais qui était resté à Homs dans la vieille ville, à côté des musulmans et des chrétiens, a été liquidé avec deux balles dans la tête, la veille du jour où ils sont arrivés à un accord entre le gouvernement et les «rebelles» (i.e. les djihadistes!). Ce ne sont pas les seuls martyrs qui ont donné leur sang pour le Christ, pour la cause de l’Evangile, mais ce sont des centaines de milliers d’innocents qui meurent.

Voilà, ce courage, le martyre du sang, n’est peut-être pas demandé à chacun d’entre nous. Cependant, le mot martyr, qui vient du grec, désigne effectivemnt à la fois le martyre de la vie – vivre héroïquement la foi, l’espérance, la charité – et la disponibilité à offrir sa vie pour le Seigneur.

Eh bien, le terrorisme, le fanatisme, le fondamentalisme ne sont pas seulement vécus au Moyen-Orient, voilà une raison de plus pour vous encourager à persévérer dans la prière afin que ce fondamentalisme, ce fanatisme ne touche jamais cette terre belle et bénie d’Italie. Que ce sang versé pour le Christ soit vraiment la fin de toute la haine, la semence d’une chrétienté plus authentique, selon l’Evangile.

Après le martyre du Père Hamel, il y a eu le dimanche suivant la visite des [musulmans dans les] églises. Ces gestes sont bienvenus. Mais malheureusement, une dénonciation claire des grandes écoles de l’Islam, sur l’Isis et ses œuvres, n’a jamais eu lieu, il y a donc tout un chemin à faire. Nous encourageons à parvenir à ce courage de dire: plus jamais de violence au nom de la religion, au nom d’Allah.

Allah dans l’Islam est le Dieu de miséricorde, le Dieu de la paix, et donc une lecture fondamentaliste du Coran porte un discours vraiment tragique, sanglant, exclusiviste. Donc, aidons nos frères musulmans à comprendre aussi le vrai visage de ce Dieu, qui est un Dieu vraiment miséricordieux, il n’est pas égoïste, c’est un Dieu qui est ‘charité’, c’est-à-dire relation, un amour qui se donne et ne pense pas seulement à lui-même.

Il est clair que pour nous, cet amour infini a été manifesté à travers la personne de Jésus-Christ. Mais n’ayons pas peur de le dire! Tant de fois, au nom du pacifisme ou d’une peur de l’autre, nous nous refermons en nous-mêmes. Au lieu de cela, le geste du diocèse auquel appartient le Père Jacques, qui avait offert le terrain pour construire la mosquée, a malheureusement a été payé avec le martyre.

C’est un discours vraiment brûlant, aujourd’hui, mais une façon de ne pas avoir peur est aussi de revenir aux racines de notre foi. En Orient, nous n’avons pas peur de dire la vérité, et même de donner notre sang suivant l’exemple du Père Jacques, du Père Mourad, du Père Van der Lugt. Si le Seigneur le veut, nous n’avons pas peur de le faire, parce que dans ces terres il y a les racines du christianisme: l’Évangile, la vie apostolique, la vie de Jésus, de la Vierge Marie, la vie missionnaire de saint Paul, de Barnabé et de Luc qui a écrit le troisième évangile sont là, à Antioche, Jérusalem, en Syrie. Eh bien, si on coupe les racines de ce grand arbre du christianisme, le reste de l’arbre dessèche et finalement il meurt. Voilà pourquoi il est important de nous unir tous aux souffrances, à la douleur de nos frères chrétiens, de nos sœurs qui souffrent la persécution, la faim, la soif.

Au nom de toute la communauté du petit troupeau resté à Alep, je voudrais sincèrement et avec toute la chaleur de mon cœur vous dire merci pour votre présence, pour ce que vous faites pour nous.
Paix et bien.

http://benoit-et-moi.fr/2016/actualite/nettoyage-religieux-en-syrie.html