L’incrédulité et la miséricorde

Écouter l’homélie du dimanche 23 avril, à la paroisse Saint Aubi (72), dimanche de la Divine Miséricorde.

Le Caravage, L’Incrédulité de saint Thomas, v. 1595-1600. Huile sur toile, Potsdam

« Le tableau fait l’effet d’un coup de poing dans l’estomac. Et qu’est-ce qui frappe ainsi ? D’abord la compacité, ce bloc de personnages serrés et comme soudés entre eux, formant une seule formidable figure, symétrique, dotée de quatre têtes réunies au centre de la toile, de trois mains qui littéralement « disent » le texte, et de quatre regards dirigés vers le même point. Ce qui frappe, c’est surtout ça : ce faisceau de regards, si intenses, si tendus, comme des vrilles dont la pointe serait le doigt de Thomas.

Cette pénétration du doigt et le geste de Jésus guidant la main de l’Apôtre n’étaient pas nouveaux ; on les trouvait déjà, notamment, chez Dürer, un siècle plus tôt. Mais, comme toujours chez le Caravage, l’idée redevient réalité, par le truchement d’une peinture qui sait recréer l’épaisseur, le poids et la sensibilité des choses et des êtres, au présent, comme si elles advenaient à l’instant où nous regardons le tableau. Dès lors, cette main du Christ qui prend Thomas à la lettre (« Avance ton doigt ici… ») pousse réellement en avant, ce doigt s’enfonce de façon insupportable et obscène, et ces regards sont plus terribles encore. De son doigt, Thomas rouvre la plaie ouverte par la lance de Longin, son incrédulité réitère la violence de l’agression première. Douter ravive les plaies du Sauveur, telle serait l’idée. Et les deux autres Apôtres, joints à Thomas par l’avidité de leur regard (et par les plis sur leur front, qui disent l’état de leur âme), participent à son doute. Ce trait, consistant à étendre l’incrédulité aux autres Apôtres, est inhabituel (et une copie ancienne du tableau rajoutant encore d’autres têtes, montre que l’idée était bien celle-là). Gageons qu’il faille voir dans cette « extension » l’image de la communauté chrétienne, tout entière concernée par la question du doute.

Pour nous, ce qui prime est la façon dont la question du regard est mise « en vue », cette façon sidérante de peindre le regard « en acte », l’œil doté d’une main (ce qu’est aussi un peintre…). Et comment la peinture de ces regards en acte enflamme le spectateur, le suffoque, frappe au cœur. » (Manuel Jover, La Croix du 22/4/17).

Paroles du pape avant le Regina Coeli

Chers frères et sœurs, bonjour !

Chaque dimanche, nous faisons mémoire de la résurrection du Seigneur Jésus, mais en cette période d’après Pâques, le dimanche revêt une signification plus éclairante. Dans la tradition de l’Eglise, ce dimanche, le premier après Pâques, était appelé “in albis”. Qu’est-ce que cela signifie ? L’expression entendait rappeler le rite qu’accomplissaient ceux qui avaient reçu le baptême à la Vigile pascale. A chacun d’eux était remis un vêtement blanc – “alba”, blanc – pour indiquer leur nouvelle dignité d’enfants de Dieu. Encore aujourd’hui on fait cela : on offre aux nouveau-nés un petit vêtement symbolique, tandis que les adultes en endossent un vrai, comme nous l’avons vu à la vigile pascale. Et ce vêtement blanc, dans le passé, était porté durant une semaine, jusqu’au dimanche in albis. Et de là dérivait le nom in albis deponendis, qui signifie le dimanche où l’on enlève le vêtement blanc. Et une fois le vêtement enlevé, les néophytes commençaient leur nouvelle vie en Christ et dans l’Eglise.

Il y a autre chose : au Jubilé de l’An 2000, saint Jean-Paul II a établi que ce dimanche serait dédié à la Divine Miséricorde. C’est vrai, cela a été une belle intuition, c’est l’Esprit-Saint qui l’a inspiré ! Il y a quelques mois, nous avons conclu le Jubilé extraordinaire de la Miséricorde et ce dimanche nous invite à reprendre avec force la grâce qui vient de la miséricorde de Dieu. L’Evangile d’aujourd’hui est le récit de l’apparition du Christ ressuscité aux disciples réunis au cénacle (cf. Jn 20,19-31). Saint Jean écrit que Jésus, après avoir salué ses disciples, leur dit : « De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. » Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et il leur dit : « Recevez l’Esprit Saint. À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. » (vv. 21-23). C’est le sens de la miséricorde, présenté au jour de la résurrection de Jésus comme pardon des péchés. Jésus ressuscité a transmis à son Eglise, comme première mission, sa propre mission d’apporter à tous l’annonce concrète du pardon. C’est le premier devoir : annoncer le pardon. Ce signe visible de sa miséricorde porte en lui la paix du cœur et la joie de la rencontre renouvelée avec le Seigneur.

La miséricorde à la lumière de Pâques se laisse percevoir comme une véritable forme de connaissance. C’est important : la miséricorde est un vrai mode de connaissance. Nous savons que l’on connaît à travers de nombreuses formes : les sens, l’intuition, la raison et d’autres encore. Eh bien, on peut connaître aussi à travers l’expérience de la miséricorde, parce que la miséricorde ouvre la porte de l’esprit pour mieux comprendre le mystère de Dieu et de notre existence personnelle. La miséricorde nous fait comprendre que la violence, la rancœur, la vengeance n’ont aucun sens, et la première victime c’est celui qui vit de ces sentiments, parce qu’il se prive de sa dignité. La miséricorde ouvre aussi la porte du cœur et permet d’exprimer la proximité surtout envers tous ceux qui sont seuls et marginalisés, parce qu’elle les fait sentir frères et enfants d’un seul Père. Elle favorise la reconnaissance de ceux qui ont besoin de consolation et fait trouver des paroles adaptées pour réconforter.

Frères et sœurs, la miséricorde réchauffe le cœur et le rend sensible aux besoins des frères, par le partage et la participation. La miséricorde, en définitive, engage tout le monde à être instruments de justice, de réconciliation et de paix. N’oublions jamais que la miséricorde est la clé de voûte dans la vie de foi et la forme concrète par laquelle nous donnons de la visibilité à la résurrection de Jésus.

Que Marie, la Mère de la Miséricorde, nous aide à croire et à vivre avec joie tout cela.