L’Assomption de Marie comme condition du plein exercice de sa maternité spirituelle

L’Assomption de Marie comme condition du plein exercice de sa maternité spirituelle, un texte du P. Jean-Marie Hennaux, Institut d’Études Théologiques, Bruxelles.

1. Le dogme de l’Assomption

En l’année 1950, pendant la célébration du Grand Jubilé, au milieu du siècle et comme pour en éclairer les deux versants par la récapitulation solennelle de la tradition antérieure de l’Église et par la projection d’un « grand Signe » pour tous les siècles à venir, le 1er novembre, en la fête de tous les saints, le pape Pie XII définit le dogme de l’Assomption de Marie : « Par l’autorité de Notre Seigneur Jésus-Christ, des Bienheureux Apôtres Pierre et Paul et par notre propre autorité, Nous affirmons, Nous déclarons et Nous définissons comme un dogme divinement révélé que l’Immaculée Mère de Dieu, Marie toujours vierge, après avoir achevé le cours de sa vie terrestre, a été élevée en corps et en âme à la gloire céleste ». 1

Le Concile Vatican II, en 1964, dans le chapitre VIII de Lumen Gentium, couronnement de sa Constitution dogmatique sur l’Église, a proclamé à nouveau cette foi du peuple chrétien et en a exprimé la signification théologique d’espérance et de consolation : « La Mère de Jésus, glorifiée désormais dans le ciel en son corps et en son âme, est l’image et le commencement de l’Église qui doit avoir son accomplissement dans le siècle à venir, et c’est ainsi que, sur la terre, jusqu’à ce qu’advienne le jour du Seigneur, elle brille devant le Peuple de Dieu en marche comme signe d’espérance certaine et de consolation » (LG 68).

Pas plus que Pie XII, le Concile n’avait voulu trancher la question de la mort de Marie. Le pape Jean-Paul II a franchi sur ce point, dans l’exercice de son magistère ordinaire, un pas de plus. Dans ses magnifiques catéchèses mariales, qui furent données de septembre 1995 à novembre 1997, a nettement pris position en faveur de la mort de Marie. « En vérité, certains théologiens ont soutenu la thèse que la Vierge n’eut pas à mourir et qu’elle passa directement de la vie terrestre à la gloire céleste. Cette opinion est toutefois inconnue jusqu’au XVIIè siècle, alors qu’il existe en réalité une tradition commune qui voit dans la mort de Marie son introduction à la gloire céleste. Est-il possible que Marie de Nazareth ait fait l’expérience dans sa chair du drame de la mort ? En réfléchissant sur le destin de Marie et sur sa relation avec le Fils divin, il semble légitime de répondre de façon affirmative : puisque le Christ est mort, il semble difficile de soutenir le contraire en ce qui concerne sa Mère. (…) Participant à l’oeuvre de la rédemption et associée à l’offre salvatrice du Christ, Marie a pu partager la souffrance et la mort en vue de la rédemption de l’humanité. (…) Pour participer à la résurrection du Christ, Marie devait tout d’abord en partager la mort. (…) L’expérience de la mort a enrichi la personne de la Vierge : ayant subi le sort commun des hommes, Elle est en mesure d’exercer avec plus d’efficacité sa maternité spirituelle à l’égard de ceux qui arrivent à l’heure suprême de leur vie ». 2

Les significations théologiques, spirituelles et morales 3, du dogme de l’Assomption sont extrêmement riches et multiples. Le dogme éclaire en particulier la dignité du corps humain, sa destinée de gloire, notre foi en la résurrection de la chair. Je voudrais essayer ici de montrer que l’assomption corporelle de Marie est une condition du plein exercice de sa maternité à notre égard. Ce sera tenter de mieux comprendre la connexion des mystères de l’assomption et de la maternité spirituelle de Marie.

2. Le corps glorieux du Seigneur

Avant de nous engager dans cette voie, il ne sera pas inutile de nous arrêter quelques instants à la contemplation du Corps glorieux du Seigneur lui-même. En effet, l’élément distinctif du mystère de l’assomption réside dans le fait que Marie a été glorifiée en son corps, comme en son âme. La signification de cette assomption ou glorification corporelle est à chercher en premier lieu dans une théologie du Corps glorieux du Christ.

Cette théologie, nous pouvons la trouver présente, d’une manière particulièrement lumineuse pour notre sujet, dans le récit de l’apparition de Jésus ressuscité à Thomas, tel qu’il nous est raconté par l’évangile de saint Jean. Nous connaissons la scène et les exigences de Thomas, exigences de voir, de toucher, d’entrer : « Si je ne vois dans ses mains la trace des clous, si je n’entre mon doigt dans la trace des clous, si je n’entre ma main dans son côté, non, je ne croirai pas ! » (Jn 20,25). Nous connaissons aussi la réponse merveilleuse du Seigneur : « Porte ton doigt ici et vois mes mains, porte ta main et entre dans mon côté, ne sois pas non-croyant, mais croyant ! » (Jn 20, 27). 4

Le Père Donatien Mollat a discerné dans l’évangile de Jean les « fondements » de la « doctrine des sens spirituels » qui sera plus tard explicitée par les Pères de l’Église et qui tient une si grande place dans les Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola. 5 Pour saint Jean, l’expérience de la foi au Verbe de Dieu fait chair et ressuscité comporte un voir et un toucher spirituels. Tout son évangile est écrit en vue de notre foi (cf. Jn 20, 31). À travers le récit de l’apparition à Thomas, il nous est donné, à nous qui croyons, de voir et de toucher spirituellement les plaies glorieuses du Ressuscité, et même d’entrer dans son côté. La foi éveille en nous les « yeux de la foi », et non seulement les yeux, mais tous les autres sens spirituels. Nos sens corporels et imaginaires sont transmués par la grâce de la foi en sens spirituels. Les yeux de l’âme s’ouvrent, l’oreille du cœur écoute et entend, etc.

Lorsque Jésus conclut la rencontre en disant à Thomas : « Parce que tu m’as vu, tu as cru. Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru » (Jn 20, 29), il ne congédie pas toute vision. Replacées dans l’ensemble de la théologie johannique, ses paroles doivent plutôt s’interpréter comme suit : « Heureux ceux qui n’ont pas eu besoin, pour croire, d’un voir à la fois sensible et spirituel, comme Thomas, mais qui ont su croire à travers un voir uniquement spirituel ».

Il ne faudrait pas croire que l’expérience d’un voir et d’un toucher spirituels des plaies glorieuses du Seigneur fut réservée à Thomas. Elle fait partie de toute rencontre du Ressuscité. C’est ainsi que dans son apparition aux Onze le soir de Pâques, dans l’évangile de saint Luc, Jésus dit à ses disciples : « Regardez mes mains et mes pieds. […] Touchez-moi, regardez » (Lc 24, 39). Et Luc insiste : « A ces mots, il leur montra ses mains et ses pieds » (Lc 24, 40). Il s’agit, bien sûr, pour le Ressuscité de se faire reconnaître comme le Crucifié, mais il y a beaucoup plus que le don d’une preuve. Les apparitions sont le lieu où l’Église fait l’expérience bienheureuse de son salut, de son Sauveur, de son Époux. Le corps est expression de l’être, expression de la personne. Expression déficiente jusqu’à la mort. Expression parfaite dans les corps ressuscités.

Dès l’Ancien Testament, la « gloire » de Dieu est l’expression sensible de Sa Beauté, de Sa Sainteté. La gloire de Jésus ressuscité ne lui est en rien extrinsèque. Son Corps glorieux exprime, dans les limites de ce qui est possible sur la terre et selon des degrés divers dus à la différence des dispositions de foi, d’espérance et d’amour de ceux et de celles auxquels il se donne à voir, – le Corps glorieux de Jésus exprime ce qu’il est, – exprime par conséquent, autant qu’il est possible, Son Amour pour son Église. Comment dès lors Son Corps glorieux pourrait-il ne point porter les stigmates de Sa passion et de Sa mort par lesquelles Il a manifesté aux siens Son Amour extrême ? C’est impossible. Son Corps de gloire n’exprimerait plus sa gloire véritable, sa gloire d’aimer et d’avoir aimé.

La présence des stigmates de Sa passion et de Sa mort dans le Corps glorieux de Jésus nous éclaire beaucoup sur la signification de la résurrection des corps. Notre corps véritable n’est pas seulement notre corps de chair ; il est aussi ce corps que nous nous donnons tout au long de notre existence terrestre par l’ensemble de nos bonnes actions, et tout particulièrement par nos actes d’amour. L’amour demeure ; il a une portée ontologique ; il fait notre être. « S’il me manque l’amour, je ne suis rien », dit Paul (1 Co 13, 2). « L’amour ne passe pas » (1 Co 13, 8), il est éternel (cf. 1 Co 13, 9-13). Lors de notre résurrection, Dieu nous donnera notre vrai corps : notre corps de chair, dans lequel, de notre conception à notre mort, nous aurons vécu l’amour de Dieu et des autres, mais pleinement expressif, révélé et transfiguré : corps glorifié qui exprimera éternellement tout l’amour que nous aurons reçu, accueilli, donné. Dieu nous révélera notre corps de gloire et le visage éternel qu’Il n’aura cessé de nous donner et que nous nous serons donnés à nous-même par notre vie de charité. Le corps de gloire est expression définitive, mémoire, mémorial, de tout l’amour vécu durant l’existence terrestre.

Jésus ressuscité ne nous communique pas, comme de l’extérieur, le salut qu’Il nous a acquis, ce qui serait le cas s’Il se contentait de nous imputer et de nous appliquer juridiquement les mérites de sa passion et de sa mort. Non, son Corps glorieux est un mémorial de ce qu’Il a souffert pour nous. Son Corps de gloire devient le Sacrement de notre salut, le Signe – pour notre foi, notre amour et nos sens spirituels – de son Amour sauveur : « Corps du Christ, sauve-moi… Passion du Christ, fortifie-moi… Dans tes blessures, cache-moi ».6 A partir de ce qui vient d’être dit, nous commençons peut-être à comprendre pourquoi il « fallait » – ou il « convenait » 7 – que le corps de Marie soit glorifié pour qu’elle puisse pleinement exprimer et exercer à notre égard sa maternité.

3. Le corps de Marie et la grâce de sa maternité

À l’Annonciation, Marie reçoit et accepte la vocation d’être la mère du Messie et la mère du Fils de Dieu. Elle va le concevoir, le porter en son sein durant neuf mois, le mettre au monde, l’envelopper de langes, l’allaiter, le prendre dans ses bras pour l’emmener au Temple de Jérusalem, puis en Égypte. Elle va lui sourire, lui parler, lui apprendre à parler, l’éduquer. Son cœur de chair va trembler d’angoisse en entendant la prophétie de Syméon annonçant la destinée de son enfant à laquelle elle sera associée. C’est l’angoisse encore lorsqu’à douze ans, Jésus demeure dans la « Maison de son Père ». Puis, c’est la joie paisible de la proximité physique de Jésus durant les années de la vie cachée à Nazareth. Mais vient l’heure du départ de Jésus pour son ministère ; suivent les inquiétudes sur son sort durant les années de sa vie publique, jusqu’à la terrible dernière semaine ; vient l’heure de sa compassion près de la croix, celle de l’ensevelissement. L’attente. Enfin, la visite bouleversante du Ressuscité dans la nuit de Pâques, suivie bientôt de la séparation de l’Ascension.

Mais la vie de Marie ne s’achève pas avec le départ de son Fils. Elle est au milieu des disciples de Jésus dans la prière de la Pentecôte ; désormais liée à Jean, elle vibre aux conquêtes et aux persécutions de l’Église naissante ; elle parle parfois de son Fils ; elle prie ; elle meurt. Les premiers théologiens de l’Assomption, dès le VIIIè siècle, ont affirmé que « le corps qui avait porté le Fils de Dieu n’avait pu connaître la corruption du tombeau ». Mais le principe peut être affirmé à partir de tous les événements que Marie a vécu en son corps du fait de sa maternité, – événements que nous venons de rappeler. La maternité est, par essence, liée au corps. La pleine reconnaissance de la maternité de Marie, par Jésus et par l’Église, impliquait sa glorification corporelle.

4. Elle l’a conçu par son esprit avant de le concevoir par son corps

Saint Augustin, puis saint Léon le Grand, ont posé un principe qui sera repris dans la suite des siècles par de très nombreux théologiens. On peut le synthétiser dans la formule suivante : « Prius mente, fide, corde, quam corpore, ventre, Maria concepit » : « Marie a conçu son Fils par son esprit, par sa foi, par son cœur, avant de le concevoir par son corps, par son ventre ».8 Ce principe ne signifie pas que ce que Marie a vécu dans son corps est secondaire, mais que tout ce qu’elle a vécu dans son corps, elle l’a en même temps et prioritairement vécu dans sa foi, dans son esprit, dans son amour. En effet, le principe, ici encore, doit être étendu, au-delà de la conception, à tous les actes corporels de Marie. À la lumière de l’axiome augustinien, il apparaît que Marie s’est engagée de toute sa liberté dans tous les événements de sa chair. Pensons par exemple à l’acte si extraordinaire, corporel et spirituel, de la mise au monde, – acte dans lequel la mère se détache de son enfant pour le donner à tous, l’expulse en quelque sorte d’elle-même, lui qu’elle protégeait avec tant d’amour, pour le livrer en jouissance à tous, mais aussi pour l’exposer à la violence du monde… En tous les actes corporels de sa maternité, Marie n’était pas seulement pleinement consentante ; elle s’y engageait de toute sa liberté ; elle les posait ; elle y faisait un don d’elle-même ; elle donnait corps à son amour.

5. « Voici ton Fils »

Il est bien remarquable que Jésus n’ait pas révélé et confié à Marie sa maternité universelle par une formule au pluriel, en lui disant par exemple : « Tous mes frères sont tes fils ». II a utilisé au contraire une formule au singulier : « Voici ton Fils » (Jn 19, 26). Le « disciple que Jésus aimait » (id.), dont le nom est toujours tu dans l’évangile et qui n’est signalé qu’à partir du nom de Jésus, était pour Jésus, dans le mystère de l’unique Vigne, un autre lui-même. En disant à sa mère au singulier « Voici ton Fils » (il convient d’écrire Fils avec une majuscule !), le Fils unique de Marie lui faisait comprendre que sa maternité à l’égard du disciple n’était pas une autre maternité que sa maternité à l’égard de lui-même, son unique, son Jésus. Il s’agit de la même et unique maternité. C’est en tant que le disciple est Jésus que Marie est sa mère.

Par conséquent, c’est la maternité même de Marie à l’égard de Jésus qui se continue dans sa maternité à l’égard de chaque disciple. Il n’y a pas en Marie deux maternités différentes, l’une qui aurait pour terme Jésus et l’autre qui ne l’aurait pas. C’est Jésus que Marie aime en nous. Elle nous aime de l’amour maternel dont elle a aimé et dont elle aime Jésus. Elle ne nous voit qu’en Jésus. Chacun de nous est une personne singulière, mais notre personne a été créée « dans le Christ » et ne trouve son ultime consistance qu’en Lui.

Du fait que la personne de Jésus est la personne divine du Verbe-Fils de Dieu, cette Personne peut contenir en elle toutes les personnes humaines, de telle sorte que l’unicité singulière de chacune de ces personnes n’est atteinte dans ce qu’elle a de plus irréductible et de plus singulier que si elle est atteinte et aimée dans le Fils unique de Dieu. Voilà à quoi Marie est appelée en sa maternité : engendrer et aimer le Fils unique et en Lui, tous ceux qui sont « fils dans le Fils ». Maternité unique donc de Marie à l’égard de Jésus et à l’égard de tous les disciples que Jésus aime et qui sont pour elle d’autres Jésus, maternité que Marie a vécue sur la terre après la mort de Jésus et qu’elle vit au ciel dans l’éternité.

6. Assomption corporelle et maternité spirituelle de Marie

La Mère de Dieu n’a eu qu’un Fils, Jésus. Elle est la Vierge-Mère et la Mère vierge. L’unicité du terme de sa maternité renvoie à l’unicité et à la singularité de sa maternité. Celles-ci renvoient à l’unicité de son corps, et l’unicité de son corps à l’unicité de sa personne. En effet, notre unicité personnelle ne dépend pas seulement de notre esprit, mais aussi de notre corps. En d’autres termes, pour que l’unicité et la perfection de la maternité de Marie soient sauvegardées au ciel, il faut que Marie y soit présente et en son corps et en son âme. En effet, nous l’avons vu : la maternité est par essence liée au corps.

Saint Bonaventure, au XIIIè siècle, faisait une réflexion semblable à propos de la perfection de la béatitude de Marie : « Montée au ciel, Marie ne serait pas comblée de délices par son Bien-aimé, le Christ (cf. le Cantique des Cantiques, 8, 5), si elle n’y était présente corporellement ; sa félicité, en effet, ne serait pas totale si elle n’y était en personne ; or la personne n’est pas l’âme seule, mais le composé humain (âme et corps) ; il est donc évident qu’elle y est selon le composé ; sans quoi elle ne posséderait pas la pleine béatitude. »9

La pleine reconnaissance de la personne de sa Mère et de la perfection de sa maternité implique donc, de la part du Fils de Marie, qu’Il la fasse participer à sa résurrection, qu’Il la glorifie en son corps et en son âme. Mais l’assomption corporelle de Marie n’est pas seulement exigée par l’amour et la reconnaissance de son Fils unique (en d’autres mots, par sa maternité à l’égard de Jésus), elle est également exigée par l’exercice de sa maternité à l’égard de tous ceux qui, dans l’Unique, sont aussi vraiment ses fils.

La maternité est acte de la personne, corps et âme. La perfection de la maternité de Marie à notre égard appelle donc la résurrection de son corps. Si nous sommes fils de Marie dans son Fils unique et si Marie doit nous aimer de l’amour maternel même dont elle a aimé Jésus, il faut, pour qu’elle puisse le faire, que la singularité et la perfection de son amour maternel ou de sa maternité soient sauvegardées au ciel ; il faut donc qu’elle y soit présente en corps et en âme.

Glorifiée corporellement, Marie garde en la vivante mémoire de son corps glorieux le souvenir des actes maternels qu’elle a exercés à l’égard de Jésus et c’est à travers ces souvenirs éternisés et en pleine continuité avec eux que Marie peut exercer à notre égard ces mêmes actes maternels : nous concevoir, nous porter, nous enfanter, nous éduquer, nous accompagner, compatir à nos souffrances, s’unir à nos joies. Elle peut ainsi être notre mère, corporellement et spirituellement, comme elle a été la mère de Jésus. Elle nous aime maternellement « comme » elle a aimé Jésus, en donnant ici au mot « comme » le sens fort qu’il a au chapitre 15 de l’évangile de saint Jean : « Comme le Père m’a aimé, je vous ai aimés… Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres… ».

Certes, nous le croyons, à notre mort le contenu de notre mémoire ne disparaît pas de nos âmes. Mais notre mémoire est à la fois corporelle et spirituelle ; la trace des événements s’imprime et dans nos corps et dans nos âmes. La résurrection des corps implique la résurrection de notre mémoire corporelle, lavée, purifiée, transfigurée et immortalisée. Marie, glorifiée en son corps, peut ainsi nous aimer à travers les souvenirs immortalisés de ses actes de tendresse pour Jésus. Pour nous aimer maternellement au ciel, de l’amour maternel même dont elle aima Jésus, Marie doit y être présente en corps et en âme.

Et, de notre côté, c’est seulement si nous savons que notre Mère est présente au ciel en corps et en âme, que nous pouvons être sûrs qu’elle nous aime de l’amour maternel singulier dont elle a aimé Jésus. Son assomption corporelle est pour nous la garantie qu’il n’y a pas en Marie deux maternités différentes, mais que nous sommes enfants de Marie dans le prolongement même de sa maternité à l’égard de Jésus.

La contemplation de Marie – par les yeux de la foi, par les yeux de l’âme, par la vision spirituelle de la foi, – la contemplation de Marie glorifiée en sa maternité à la fois corporelle et spirituelle nous est nécessaire pour que nous puissions, en toute vérité, en toute paix, en toute sécurité, nous savoir aimés par Marie du même amour que Jésus a été aimé par elle. L’assomption corporelle de Marie est une condition du plein exercice de notre vie filiale à l’égard de Marie, la mère de Jésus.

7. Pour conclure

Faut-il ajouter quelques mots de conclusion ? On déduit souvent l’assomption de Marie de sa maternité à l’égard du Fils de Dieu, Jésus. Nous n’avons pas ignoré ce chemin. Cependant, il m’a semblé que la nécessité – ou la convenance – de l’assomption corporelle de Marie pouvait aussi se déduire de sa maternité à notre égard, – maternité dont la « mère de Jésus » a reçu la mission à la Croix : « Femme, voici ton Fils ! ».

JEAN-MARIE HENNAUX, s.j. Institut d’Études Théologiques, Bruxelles.

Notes

1. Constitution Apostolique Munificentissimus Deus, dans Acta Apostolicae Sedis 42 (1950), vol. XVII, pp. 753-773, définition p. 770. Traduction vaticane.

2. JEAN-PAUL II, Marie dans le Mystère du Christ et de l’Église. Catéchèse sur le Credo. Présentation de Jean-Michel Garrigues, Éd. Parole et Silence, pp. 173-175 : catéchèse sur « La dormition de la Mère de Dieu » du 25 juin 1997.

3. Cf. J.-M. HENNAUX, « Lumière mariale sur la bioéthique », dans Vie consacrée, 1999, n° 1, pp. 18-33, particulièrement pp. 28-30.

4. Traduction littérale de Sœur Jeanne d’Arc, dans JEAN, traduit par Sœur Jeanne d’Arc, Paris, Les Belles Lettres, Desclée de Brouwer, 1990, p. 135.

5. Cf. D. MOLLAT, Saint jean, Maître spirituel, Paris, Beauchesne, 1976, p. 103, dans le chapitre 2 intitulé « L’éveil des sens spirituels » (pp. 85-104). Sur la doctrine des Sens spirituels, on peut voir Mariette CANEVET, article « sens spirituel » dans le Dictionnaire de spiritualité, XIV, col. 598-617.

6. On a reconnu la prière Anima Christi, prière antérieure à saint Ignace, mais que celui-ci a popularisée, notamment en la donnant à réciter tout au long des Exercices Spirituels. Sur cette prière, on peut voir Daniel DIDEBERG, Contempler le Cœur du Christ, Namur, Éd. Fidélité, 1999.

7. Mais les « convenances » ici sont des « nécessités historiques » déterminées par le Dessein salvifique absolument gratuit de Dieu.

8. Cf. Lumen Gentium, 53 ; S. AUGUSTIN, De Sancta Virginitate, III, 3 : PL 40,398 ; Sermo 215,4 : PL 38,1074 ; Sermo 196,1 : PL 38,1019 ; De peccatorum mentis et remissione, I, 29,57 : PL 44,142 ; Sermo 25,7 : PL 46,937-938 ; S. LEON LE GRAND, Tractatus 21, De natale Domini, I : CCL 138, 86.

9. Saint BONAVENTURE, De Assumptione B. Mariae Virginis, Sermo 1, texte cité par la Bulle Munificentissimus Deus de Pie XII.