Madeleine Delbrêl déclarée « vénérable »

La Congrégation pour les causes des saints reconnaît que Madeleine Delbrêl a vécu les vertus humaines et chrétiennes de façon « héroïque » selon l’expression technique consacrée, c’est-à-dire selon l’Evangile!

C’est une étape vers la béatification si un miracle ultérieur était authentifié. Les cardinaux de la Congrégation ont en effet donné leur avis favorable le 16 janvier dernier.

Et le pape François a autorisé, le 26 janvier 2018, la  publication d’un « décret » de ce dicastère concernant Anne-Marie Madeleine Delbrêl, laïque, née à Mussidan, en Dordogne (France) le 24 octobre 1904 et « née au ciel » à Ivry-sur-Seine, dans le diocèse de Créteil (France) le 13 octobre 1964.

La maison d’Ivry

Madeleine Delbrêl est une « figure de proue pour le diocèse de Créteil, a déjà une notoriété internationale, ou tout au moins européenne », souligne un communiqué du diocèse de Créteil qui indique qu’il entend se « tenir prêt à recevoir l’annonce de la béatification, qui c’est certain fera affluer des pèlerins jusqu’à sa maison rue Raspail à Ivry sur Seine ».

C’est pourquoi, en partenariat avec les Amis de Madeleine et la Ville d’Ivry sur Seine, le diocèse de Créteil lance un programme de restauration de cette maison confié aux architectes scénographes François Destor et Claire Desmartin. Ce projet sera présenté, demain, dimanche 28 janvier à Ivry.

Assistante sociale, Madeleine Delbrêl embrassa le christianisme à l’âge de 20 ans, et elle est reconnue comme une « mystique chrétienne ». Essayiste et poétesse, elle laissa également une importante œuvre littéraire.

A 20 ans, après l’entrée en religion d’un ami, elle « considère Dieu comme possible » et se met à prier. Jusqu’à son expérience, en l’église Saint-Dominique de Paris (14e), le 19 mars 1924: elle s’est dite « éblouie par Dieu ». Quelques mois avant sa mort, elle disait : « J’ai été et je reste éblouie par Dieu. »

Après sa conversion radicale à 20 ans, elle décide de s’installer avec quelques amies et travaille dans la banlieue ouvrière de Paris, à Ivry-sur-Seine, seule municipalité communiste de France en 1933.

Elle y vivra 30 ans, exerçant le métier d’assistante sociale, tissant des liens profonds avec la municipalité communiste, correspondant avec le député Maurice Thorez et avec les élus de la mairie, dont Venise Gossnat. Et elle ancre sa foi dans l’attachement à l’Eglise.

Elle se confronte alors avec l’athéisme marxiste, sans cesser d’annoncer l’Évangile : « Pour elle, la foi au Christ doit être dite à ce monde, les marxistes ont droit à l’Évangile, toute forme d’athéisme a droit à l’Évangile », a pu dire le père Bernard Pitaud, sulpicien, spécialiste de ses écrits, à l’occasion d’un colloque à l’Institut catholique de Paris, en 2014, à l’occasion du cinquantenaire de sa mort. Il ajoutait : « Cette admiratrice de Charles de Foucauld pressentait déjà, en son temps, le désert spirituel au cœur des cités industrielles et du matérialisme en train de se répandre. Ce qu’elle écrit sur la solitude du chrétien dans le monde est très beau. »

Elle fonde une communauté de jeunes femmes qui prennent comme nom « la Charité », et seront reconnues comme « Équipes Madeleine Delbrêl »: il s’agit « d’y être le Christ » et non « d’y travailler pour le Christ », de rencontrer les gens où ils vivent, devenir leur ami, les recevoir chez soi, s’entraider.

La réponse de Pie XII

Madeleine Delbrêl est revenue souvent sur l’importance, pour sa vie apostolique et sa compréhension du but de la mission, de sa rencontre, le 4 août 1953, à Castelgandolfo, avec Pie XII. Elle avait soigneusement consigné les paroles qu’elle a dites au pape et la réponse de Pie XII.

Elle écrit : « Très Saint Père, nous sommes une petite famille, [nous existons exactement depuis vingt ans. Nous sommes seulement laïques, mais] nous avons choisi définitivement, pour pouvoir aimer tout à fait le Christ : la pauvreté, la chasteté, l’obéissance et la soumission à l’Evangile. Nous voulons apprendre chaque jour davantage de Notre Seigneur à traiter chacun de ceux que nous rencontrons comme un vrai frère en partageant avec lui ce qu’il n’a pas : notre pain, notre maison, notre cœur, notre foi, sans aucune distinction : de milieu social, de nationalité, de race, d’athéisme ou de péché.

Plus nous allons, plus nous comprenons que pour vivre cette vie, nous devons nous enfoncer dans l’Eglise. Nous sommes, à cause de cela, en relations pratiques et vitales avec nos Evêques : ils sont pour nous Jésus Christ. Mais, vous Très Saint Père, vous êtes Jésus Christ encore davantage et si vous vouliez bien bénir notre vie, cela nous donnerait la force d’aimer jusqu’au bout et de votre part chacun de ceux que nous devons aimer. »

Voici la réponse de Pie XII : « Oui, oui, je vous bénis, je vous bénis toutes, je bénis tout. Apostolat… Apostolat… Apostolat. »

Elle souhaitait des actions collectives en vue de faire évoluer les politiques sociales, comme elle l’écrit dès 1937 : « Il est peut-être plus touchant de visiter, dans sa journée, cinq ou dix familles nombreuses, de leur obtenir à grand renfort de démarches tel ou tel secours ; il serait sans doute moins touchant mais plus utile, de préparer le chemin à tel texte légal qui améliorerait l’état familial de toutes les familles nombreuses connues ou inconnues de nous. »

Une exposition intitulée « Madeleine Delbrêl, poète, mystique, assistante sociale » a été organisée par le Parti Communiste Français et la paroisse catholique Saint-Georges de la Villette (19e) du 22 avril au 3 mai 2014, toujours pour le cinquantenaire de sa mort.

Sa cause de béatification a été introduite à Rome en 1990 par Mgr François Frétellière, ancien évêque de Créteil. Le postulateur est le p. Gilles François, auteur avec le p. Pitaud de « Madeleine Delbrêl, genèse d’une spiritualité » (éd. Nouvelle Cité).

Le p. Pitaud a également publié un « Prier 15 jours avec Madeleine Delbrêl » (Nouvelle Cité), et « Madeleine Delbrêl, des rencontres décisives » (2017, cf. Le site des Amis de Madeleine Delbrêl).

Textes de Madeleine Delbrêl

• Faire de toutes petites choses pour Dieu nous le fait aimer autant que de faire de grandes actions. (Nous autres, gens des rues)

• Aujourd’hui dans beaucoup de vies urbaines, la prière n’est possible qu’en procédant à des forages où l’intensité supplée la durée. Ces plongées énergiques et obscures tendent vers Dieu par la profondeur. Elles sont des actes concentrés de foi, d’espérance et de charité. Leur persévérance est une ligne brisée, mais leurs sauts successifs en profondeur arrivent à l’heure que Dieu veut, là où on puise Dieu. (…) Il ne faut pourtant pas oublier que les forages ne s’improvisent pas. (…) Il faut, pour forer notre vie, pour y aménager des puits de prières, regarder d’avance les menus espaces disponibles, repérer les moments les plus possibles, reconnaître ceux qui pourront le mieux ravitailler les heures où notre foi, notre espérance, notre charité semblent s’user, s’épuiser. (Joie de croire)

• Si tu vas au bout du monde, tu trouves la trace de Dieu, si tu vas au fond de toi, tu trouves Dieu lui-même. Si tu aimes le désert, n’oublie pas que Dieu lui préfère les hommes. Pour qui cherche Dieu comme Moïse, un escalier peut tenir lieu de Sinaî. Mon Dieu, si vous êtes partout, comment se fait-il que je sois si souvent ailleurs ? Apprends l’art de la guerre sur toi, sur les autres l’art de la paix. Si tu veux devenir petit, ne méprise pas la grandeur des autres. N’appelle pas chez le voisin susceptibilité ce que tu appelles chez toi sensibilité. Alcide, guide simple pour simples chrétiens

• Chaque petite action est un événement immense où le paradis nous est donné, où nous pouvons donner le paradis. Qu’importe ce que nous avons à faire : un balai ou un stylo à tenir, parler ou se taire, raccommoder ou faire une conférence, soigner un malade ou taper à la machine. Tout cela n’est que l’écorce d’une réalité splendide, la rencontre de l’âme avec Dieu à chaque minute renouvelée, à chaque minute accrue en grâce, toujours plus belle pour son Dieu. (Nous autres, gens des rues)

• Sur l’Église : « L’Église, société de pécheurs, m’entraîne dans le mouvement de sa vie. Je ne peux dire ni elle ni moi, mais seulement nous. Dire ce nous, c’est dire l’Église. »

• Sur la prière : « La prière seule donne à la vie la robustesse. La prière est la jointure de notre vie. Cette robustesse que nous attendons de la prière, elle est à apporter à chaque jointure de la prière et l’amour fraternel. » « Aujourd’hui, prier, c’est le plus grand bien que l‘on puisse apporter au monde. » « Sans la prière, nous n’aimerions pas Dieu d’amour. Nous serions peut-être ses serviteurs, ses combattants, voire même ses disciples ; nous ne serions ni des enfants aimants de notre Père, ni les amis ou les amants de Jésus-Christ. »

• Sur la Parole de Dieu : « Les paroles de l’Évangile nous pétrissent, nous modifient, nous assimilent pour ainsi dire à elles. »

• Mystique de la rue : «…cette rue est le lieu de notre sainteté. »

Quelques ouvrages

– Œuvres complètes : Éblouie par Dieu, T. I ; S’unir au Christ en plein monde, T. II; Humour dans l’amour, T. III ; Le Moine et le nagneau, T. IV ; Alcide (Nouvelle Cité).

– Nous autres, gens des rues (Seuil, Livre de vie). – Joie de croire (Seuil, Livre de vie). – Missionnaires sans bateau (Parole et Silence).

– Madeleine Delbrêl : rues des villes, chemins de Dieu, par C. de Boismarmin (Nouvelle cité).

– Prier 15 jours avec Madeleine Delbrêl, par B. Pitaud (Nouvelle Cité).

– La foi des chrétiens racontée à mes amis athées, Dominique Fontaine, prêtre de la Mission de France, qui part de l’expérience de Madeleine Delbrêl à Ivry, Éd. de l’Atelier, mars 2006.

 

Prière à Marie

Sainte Marie qui, mieux que personne, savez que toute mission est la continuation de l’incarnation rédemptrice de votre fils, donnez-nous, à nous, missionnaires de notre pauvre temps, le sens authentique de cette incarnation et de cette rédemption. Donnez-nous de nous enfoncer jusqu’au plus profond de ce monde, pour y conduire la Parole de Dieu vécue de toute la force de notre cœur.

Donnez-nous de comprendre que, poursuivre cette incarnation, ce n’est pas conformer la grâce à la figure de ce monde, mais mettre en lui une vie si puissante et si nouvelle qu’il en soit revivifié et rajeuni. Donnez-nous de ne pas donner au Christ la taille du monde, mais d’exhausser le monde à la taille de Jésus-Christ.

Faites-nous comprendre que le deuxième temps de l’incarnation, c’est le retour à Dieu d’un monde auquel Dieu est venu. Dieu s’est fait homme, pour que l’homme soit fait Dieu. Apprenez-nous à tout « instaurer dans le Christ », et apprenez-nous que ce Christ est un crucifié, vous en qui a débuté l’incarnation, parce que vous étiez la première et la totalement rachetée.

Enseignez-nous à ne pas croire à des recettes de bonheur autres que celles des Béatitudes, à ne pas vouloir conduire à nos païens un Messie que le Christ n’a pas voulu être, le Messie opulent et adulé. Vous qui avez tenu dans vos bras le poupon de la crèche et le mort du Calvaire, gardez-nous de toute illusion qui nous ferait rougir de sa pauvreté et de sa croix.

Mais soyez surtout, Sainte Marie, Mère de Dieu, notre capacité de grâce, le silence où la Parole de Dieu pourra sans modification et sans gauchissement prendre possession de nous, la docilité où le Saint-Esprit modèlera le missionnaire que nous devons être.

(Missionnaires sans bateau)