L’icône de Roublev

Homélie pour la fête de la Trinité

Écouter l’homélie de la fête de la Trinité à la paroisse Saint Aubin, le 16 juin 2019.

L’arrière-fond de l’hospitalité d’Abraham Gn 18,1-10

01 Aux chênes de Mambré, le Seigneur apparut à Abraham, qui était assis à l’entrée de la tente. C’était l’heure la plus chaude du jour.

02 Abraham leva les yeux, et il vit trois hommes qui se tenaient debout près de lui. Dès qu’il les vit, il courut à leur rencontre depuis l’entrée de la tente et se prosterna jusqu’à terre.

03 Il dit : « Mon seigneur, si j’ai pu trouver grâce à tes yeux, ne passe pas sans t’arrêter près de ton serviteur.

04 Permettez que l’on vous apporte un peu d’eau, vous vous laverez les pieds, et vous vous étendrez sous cet arbre.

05 Je vais chercher de quoi manger, et vous reprendrez des forces avant d’aller plus loin, puisque vous êtes passés près de votre serviteur ! » Ils répondirent : « Fais comme tu l’as dit. »

06 Abraham se hâta d’aller trouver Sara dans sa tente, et il dit : « Prends vite trois grandes mesures de fleur de farine, pétris la pâte et fais des galettes. »

07 Puis Abraham courut au troupeau, il prit un veau gras et tendre, et le donna à un serviteur, qui se hâta de le préparer.

08 Il prit du fromage blanc, du lait, le veau que l’on avait apprêté, et les déposa devant eux ; il se tenait debout près d’eux, sous l’arbre, pendant qu’ils mangeaient.

09 Ils lui demandèrent : « Où est Sara, ta femme ? » Il répondit : « Elle est à l’intérieur de la tente. »

10 Le voyageur reprit : « Je reviendrai chez toi au temps fixé pour la naissance, et à ce moment-là, Sara, ta femme, aura un fils. » Or, Sara écoutait par-derrière, à l’entrée de la tente.

L’icône de 1411

L’icône peinte par Andrei Roublev vers 1411 se trouve à Moscou, galerie Tretiakov. Elle s’inspire de cette rencontre d’Abraham avec le Seigneur sous l’apparence des trois hommes…

La manifestation de la Trinité

Trois anges et une table. Au centre de celle-ci un calice. Dans le fond, une maison, un arbre et un rocher, qui rappellent la tente d’Abraham, le chêne de Mambré, et la montagne au pied de laquelle se déroule la scène. Les trois anges possèdent un bâton de pèlerin.

 Les trois personnages sont parfaitement identiques, avec le même bâton, le même trône, la même dignité. Les vêtements et couleurs sont différents. Les formes géométriques sont étonnantes :

le cercle (ext., ou int.) dont le centre se trouve entre la main et la coupe,

la croix si vous tracez une ligne verticale passant par ce centre (et donc en dessous la coupe, le rectangle, et au-dessus en partie la tête et l’arbre),

et surtout la coupe, cette immense coupe qui est comme une invitation à boire au mystère de la Trinité, à communier à l’Amour des Trois. Et on remarque aussi que le calice posé sur l’autel se trouve situé comme au centre des trois personnages.

Le personnage de gauche

assis bien droit, les deux autres inclinés vers lui. C’est le Père dont procèdent le Fils et l’Esprit. Vêtement couleur pourpre clair, orné de doré ; peu de bleu. La « maison » qui se dresse derrière lui, le temple.

 Le personnage central

• vêtement de couleur pourpre foncé, et, en guise de manteau, un vêtement de couleur bleu foncé, drapé de façon à laisser libre le bras droit. C’est le Fils.
• le sacrifice volontaire du Fils est évoqué par lui-même puisque sa main droite indique la coupe en forme de calice.
• l’« arbre » qui s’élève derrière le Fils, symbole de l’arbre de vie et du bois de la croix.
• la couleur bleue domine. Le Fils, quoique dans la chair, nous a révélé la « gloire » en tant que « Fils unique du Père ».

 Le personnage de droite

• il se penche vers le Père dont il procède. C’est le Saint-Esprit.
• il porte un vêtement de façon à laisser son bras libre. À la différence du Fils, il ne s’agit pas du bras droit mais du bras gauche : allusion à la doctrine ancienne (Irénée, 2° s.) selon laquelle le Fils et l’Esprit sont les deux « mains » du Père, par lesquelles il accomplit tout.
• le bleu ciel est bien visible. L’Esprit, que le Fils a envoyé d’auprès du Père comme l’« autre paraclet » s’est révélé à nous, comme le Fils.
• derrière l’ange de droite se dresse enfin un « rocher », que l’on peut interpréter comme le symbole de la montagne du Sinaï où Dieu donna à Moïse les dix paroles.

L’échange silencieux à contempler

 La perspective inversée. L’ouverture rectangulaire sous l’autel (c’est la place des reliques des martyrs) indique en effet qu’il s’agit de la partie orientale, invisible aux fidèles. l’image permet à l’observateur de regarder un événement qui n’est pas directement accessible à ses yeux.

 Les attitudes des trois personnages
• le Fils s’incline vers le Père et tourne vers lui son regard. sa main droite semble indiquer le calice et, en même temps, plus loin, l’Esprit.
• le Père ne rend apparemment au Fils ni son regard ni son geste, mais il regarde l’Esprit, vers lequel est orientée sa main droite levée en signe de bénédiction.
• enfin, l’Esprit incline humblement la tête devant le Père et sa main droite baissée sur la table semble vouloir souligner davantage ce mouvement.

Une icône de la Pentecôte

L’échange silencieux fait allusion à l’Esprit, auquel renvoient, chacun à sa façon, le Père et le Fils. Cet événement où l’Esprit Saint émerge en tant que personne de l’ombre du Père et du Fils est la Pentecôte. Envoyé par eux, il manifeste pleinement La Trinité.

 Le mouvement entre les trois personnes divines part du Fils : il regarde le Père en suppliant, tandis que sa droite indique le « calice » de sa passion et, au-delà, l’Esprit. ce regard et ce geste évoquent sa prière d’envoyer l’Esprit, envoi désormais devenu possible grâce à son sacrifice volontaire.

Le Père, qui écoute toujours le Fils, exauce cette prière : son regard se dirige vers l’Esprit, et sa droite lui impartit sa bénédiction pour l’achèvement de l’œuvre salvifique du Fils.

L’Esprit Saint lui-même incline la tête en signe d’humilité et d’acceptation, soulignant cette dernière par le geste de la main droite baissée.