Quand les pertes deviennent des gains

« Le cours de notre vie est une inévitable succession de pertes. Elles nous changent la vie ainsi que les racines : ce qui était auparavant le centre de notre vie (une personne, une position, un travail, un mode de vie … ) n’existe plus. Ce qui nous donnait une identité, un sens et une orientation, le confort et l’appui, disparaît. Notre vie ne redeviendra jamais plus la même, mais la fonction de la perte consiste à nous libérer pour avancer vers l’avenir en clôturant le passé. Alors, cette perte, une fois acceptée et encaissée, devient un don précieux. Nous ne sommes plus les mêmes qu’auparavant, mais nous pouvons devenir quelqu’un de tout à fait nouveau.

C’est justement quand nous n’avons rien, lorsqu’il nous semble qu’il ne nous reste plus rien que nous sommes dans la disposition d’apprendre. En effet, nous possédons, au plus profond de nous-mêmes, quelque chose que personne ne peut nous enlever et qu’il est impossible de perdre, des dons en abondance jamais découverts ni touchés auparavant, un souffle qui est train d’attendre que nous lui ouvrions la porte. Bien plus, tout ce que nous avons progressivement développé au centre de nous-mêmes (le courage, l’espérance, la séré­nité, la confiance absolue en Dieu malgré des aléas du sort) se trouve maintenant en nous, comme l’or caché dans une mine, pour être extrait, contemplé, admiré et pour briller comme une nouvelle vie. Nous portons en nous le matériau brut de la vie destiné à être utilisé.

Fréquemment, seule la perte permet d’apprécier toute cette richesse accumulée. C’est alors que nous nous voyons réduits à notre principale ressource: nous-mêmes. Privés de la sécurité du passé, nous nous trouvons dans l’obligation de rester seuls, de trouver en notre fonds la force spirituelle qui nous permet de survivre à ce qui nous paraissait insupportable, de nous confier à Dieu, qui nous a faits pour vivre debout. La perte est, paradoxalement, l’occasion d’un renouvellement, la porte ouverte sur d’autres régions de l’âme qui restent en léthargie en nous, mais où la vie palpite toujours.

C’est une invitation à commencer une autre vie, à concentrer nos énergies et à nous tourner vers une autre direction. La vie n’est pas qu’un seul chemin : il y en a de nombreux, beau­coup d’entre eux encore inexplorés ; et lorsque se produit la perte, Dieu en tant que créateur vient à nous pour nous ou­vrir des chemins qui peuvent nous conduire vers la nouvelle création qu’il a commencée en chacun de nous. Nous devons nous demander ce qu’il y a en nous qui ne soit pas achevé, à commencer par tout ce que la volonté de Dieu veut compléter en nous. »

Joan Chittister, Doce momentos en la vida de toda mujer : la hisoria de Rut hoy, Sigueme, Salamanca, 2004, pp. 21-30