La fécondation extracorporelle entre époux : aide à la nature ? ou substitution de personne ?

Professeur Jérôme Lejeune

La fécondation naturelle se produit normalement dans la trompe où l’ovule et le spermatozoïde sont des cellules libres. La fertilisation, qui réunit l’information apportée par la cellule masculine à celle contenue dans la cellule féminine, est le début de l’être humain. C’est un processus physiologique à l’échelle cellulaire, et il se produit spontanément quand les conditions sont remplies. C’est ce qui explique que la fécondation extra-corporelle soit techniquement possible.

Du point de vue de la morale chrétienne, le jugement dépend des conditions dans lesquelles les cellules se rencontrent. Ce qui fait le mariage, c’est la consommation. Le mariage catholique est un engagement, un serment, mais le sacrement lui-même n’est accompli que par la consommation. Il en ressort que seul l’acte sexuel entre époux est digne de poser les conditions qui, ensuite, permettront aux cellules reproductrices de se rejoindre. Et l’acte sexuel entre époux est très précisément la déposition dans l’organe féminin par l’organe masculin des cellules reproductrices masculines. Ensuite, la fécondation proprement dite est un processus naturel qui n’a plus rien à voir avec la volonté ou avec la décision délibérée des conjoints.

L’homme est le seul être qui ait eu conscience, et qui aura jamais conscience, d’une relation entre le comportement sexuel et l’apparition, neuf mois plus tard, d’un petit bonhomme qui ressemble à ses parents. Le chimpanzé le plus malin ne comprendra jamais cela. C’est donc une supériorité extraordinaire de l’être humain, et c’est une dignité spécifiquement humaine que de connaître cette relation et de la maîtriser. Il s’ensuit que la seule manière digne de déposer dans l’organisme féminin des gamètes masculins est indiscutablement le rapport conjugal. Tout le reste est soit adultère, si le sperme vient d’un autre, soit subsitution de personne si un technicien dépose les gamètes à la place du mari.

Une fois que les gamètes ont été déposés dans les voies féminines par le rapport conjugal, il est du ressort de la médecine de leur permettre de se rencontrer s’il y a un obstacle à surmonter. Il peut s’agir d’un médicament, d’une greffe de trompe, ou d’un transfert de l’ovule dans la trompe pour qu’il y soit ensuite fécondé: toutes les méthodes d’aide à la fécondation intra-corporelle qu’on va découvrir dans les années à venir me semblent être du ressort de l’aide à la nature.

Dans toutes ces questions, deux choses sont à considérer: ou bien l’action proposée est une aide à la nature et c’est de la bonne médecine, et je ne crois pas qu’il y ait d’obstacle moral; ou bien la technique remplace l’acte conjugal, alors il y a substitution de personne et l’Eglise ne peut pas admettre qu’une personne autre que le mari soit le porteur des gamètes.

Cette distinction peut paraître à première vue très théorique, mais c’est seulement une autre façon d’exprimer ce qui est dit dans le texte du cardinal Ratzinger (« Instruction sur le respect de la vie humaine naissante et la dignité de la procréation; réponse à quelques questions d’actualité » 22/11/87). Supposez, pour la facilité du raisonnement, que l’Eglise ait admis qu’il est licite de faire une fécondation extra-corporelle dans un cas particulier qu’on aurait défini. Il deviendrait alors nécessaire d’admettre aussi la grossesse par substitution et la congélation des embryons.

En effet, lorsqu’on pratique une fécondation extra-corporelle dans une éprouvette, il faut attendre environ trois jours avant de replacer le petit embryon directement dans l’utérus de sa mère. S’il arrivait, pendant ces trois jours où le tout jeune être humain se trouve dans l’incubateur, que la mère meure, ou qu’elle ait une maladie brutale ou tout autre empêchement absolu qui rende impossible le transfert dans son utérus, que ferait-on du petit? Le tuer, le jeter, serait tout-à-fait contraire au respect de l’être humain! Or nous n’avons pas le moyen d’élever un enfant complètement dans une bouteille. Il faudrait donc absolument soit le congeler en attendant que sa mère guérisse et puisse le recevoir, soit, si sa mère est décédée, le congeler aussi en attendant qu’une autre femme veuille bien l’accepter et soit à une période réceptive de son cycle. Donc, si l’on admettait qu’il y a des cas particuliers, on serait obligé d’admettre en même temps la congélation des embryons, la grossesse par procuration et toutes les expérimentations préalables, et toutes les sélections ultérieures!

(…) De la même façon qu’un technicien ne peut pas remplacer le mari, une autre femme ne peut pas remplacer la mère sans qu’il y ait, là aussi, substitution de personne. le mariage consiste en l’union de deux personnes pour en procréer une troisième. Si vous faites intervenir d’autres personnes, vous n’êtes plus en face d’un mariage, mais d’une sorte de procréation sociale. Je pense que c’est ça le fondement de la position de l’Eglise. Si elle admettait qu’il y a des cas où la fécondation extra-corporelle est légitime, elle serait aussi obligée de réviser complètement la théologie du mariage. Par exemple, un homme impuissant pourrait parfaitement faire féconder in vitro un ovule de sa femme avec du sperme qu’on aurait prélevé par ponction dans ses testicules. Alors que l’Eglise a toujours considéré que la non-consommation du mariage est argument absolu de nullité, elle serait obligée de totalement réviser sa position, ce qui serait une injustice épouvantable pour les femmes. Pour le biologiste, l’Eglise a donc un position extrêmement logique: ou bien il n’y a pas de théologie du mariage, et l’union conjugale n’est qu’un contrat imprécis, ou bien c’est dans le mariage et exclusivement par les époux eux-mêmes que peuvent être posées les conditions dans lesquelles les cellules sexuelles peuvent se réunir.

(…) Si la fécondation est intra-corporelle, il n’est plus possible de faire courir à l’enfant les risques d’une manipulation génique. Il est ipso facto à l’abri. Toutes les histoires de jumeaux artificiels, de congélation, de mélage d’embryons, de tripatouillage génétique, de manipulations héréditaires planifiées, ou d’utilisation comme matière expérimentale, deviennent impraticables. L’enfant est protégé du fait même qu’il se trouve dans le sein de sa mère. Donc, en prudence, on s’aperçoit que la décision est effectivement juste, puisque ses conséquences sont d’empêcher d’horribles abus. Mais la décision est fondée sur la nature même du mariage qui est, comme nous l’avons vu, consentement et consommation.

(…) Le texte du cardinal Ratzinger dit que la fécondation estra-corporelle entre époux « n’est pas affectée de toute la négativité éthique… », ce qui me semble signifier que les parents et le technicien n’ont pas d’intention mauvaise dans ce cas. C’est le procédé qui n’est pas légitime: puisqu’il y a substitution de personne, il y a rupture du mariage chrétien.

(…) Quelle que soit la méthode de fécondation, légitime ou non légitime, l’enfant est toujours un don de Dieu. C’est aussi vrai, que l’enfant soit de père inconnu, d’un donneur, ou qu’il soit porté par une femme qui n’est pas sa mère. Ce qui est illégitime, ce sont les méthodes employées pour poser les conditions d’apparition d’une vie nouvelle. Mais cette vie nouvelle est indictutablement celle d’un enfant du Bon Dieu.

(…) A l’heure actuelle, des chercheurs réclament sans arrêt le droit de manipuler des embryons humains et de fabriquer in vitro ce qu’ils appellent des « embryons surnuméraires ». Il n’y a aucune raison scientifique démontrant que leurs recherches ne pourraient être menées sur d’autres êtres vivants, des singes par exemple. Mais il y a une raison terrible pour laquelle ils réclament des embryons humains: depuis que nos sociétés, longtemps civlilisées ont renié par un vote ce que pendant deux mille ans et plus tous les maîtres de la médecine avaient constamment juré: « je ne procurerai pas d’avortement », la loi ne protège plus la vie d’un être humain très jeune. La vue humaine précoce n’a plus aucune valeur. Mais un embryon de chimpanzé, lui, coûte très cher. Voilà l’atroce raison.

Professeur Jérôme Lejeune.

Docteur en médecine, docteur es-sciences, chargé de la consultation et du laboratoire de génétique de l’hôpital des Enfants Malades dédié aux patients atteints de débilité mentale, professeur de génétique fondamentale à l’Université René Descartes.

Ce texte est issu d’un entretien réalisé  par Agnès Bagleu pour l’hebdomadaire « Famille chrétienne », dans un numéron paru en 1987.

Le professeur Lejeune est décédé en 1994.  http://fr.wikipedia.org/wiki/Jérôme_Lejeune